La publicité, recette payante pour le microcrédit ?
Comme tout autre organisme financier ou entreprise commerciale, les institutions de microfinance (IMF) doivent aujourd'hui communiquer pour survivre et pour se développer. Afin de recruter des investisseurs et d'augmenter le montant des sommes investies, une image soignée, valorisant l'éthique et l'engagement solidaire, reste un argument décisif. Mais au-delà d'être éventuellement contre-nature, la publicité est-elle vraiment décisive pour les IMF?
Sur les marchés financiers, la création de l'investissement socialement responsable (ISR) vise deux objectifs nobles : la diminution de la pauvreté dans le monde et l'augmentation du bien-être social. Rassemblant particuliers, entreprises et institutions diverses, l'ISR rencontre un franc succès et se concrétise notamment, depuis plus de vingt ans, par la pratique du microcrédit.
Le développement des microcrédits – définis par Maria Nowak, fondatrice de l’Adie (Association pour le droit à l’initiative économique), comme des « prêts de faible montant destinés à des personnes à bas revenus, généralement exclues des banques » – représente une solution souvent salutaire pour les petits entrepreneurs dont l'accès aux prêts classiques est difficile, sinon impossible.
Communiquer, une obligation
Comme tout autre organisme financier ou entreprise commerciale, les institutions de microfinance (IMF) doivent aujourd'hui communiquer pour survivre et pour se développer. Afin de recruter des investisseurs et d'augmenter le montant des sommes investies, une image soignée, valorisant l'éthique et l'engagement solidaire, reste un argument décisif.
Mais en microfinance, la communication sert aussi à « traduire » en langage ordinaire le langage financier pour assurer le partage de contenus, de règles, de valeurs et de pratiques propres au microcrédit. Au-delà, il s'agit de l'héritage et de l'apprentissage d'une axiologie ancrée dans la responsabilité sociétale.
On dénombre aujourd'hui de multiples interfaces entre investisseurs et bénéficiaires du microcrédit, arborant des discours et des positionnements distincts. Une professionnalisation grandissante de la communication institutionnelle est observée, confiée désormais à des spécialistes du marketing et de la communication.
Certaines IMF bâtissent – et nourrissent en même temps – une réelle identité de marque, en phase avec leurs positionnements stratégiques. La marque s'avère être un capital indispensable qui produit des valeurs et du sens.
De vrais dispositifs de communication conjuguent différents outils et techniques : identité visuelle, brochures, site internet, communiqués de presse, relations publiques, réseaux sociaux, affichage, radio et même cinéma.
Raconter des histoires, sortir de la compassion
En France, l'Adie a récemment fait ce choix stratégique de communication multicanal pour augmenter sa visibilité et renforcer son positionnement. Elle a en celui suivi l'exemple d'Oikocredit, l'une des plus anciennes institutions modernes de microcrédit au monde, fondée en 1975 aux Pays-Bas.
En 2011 cette IMF a lancé une campagne de communication d'envergure en Autriche, pour améliorer sa notoriété et recruter des investisseurs, grâce à une promesse qui valorise l'investissement davantage que le don, la fierté de la réussite des projets davantage que la charité.
La campagne a été articulée autour de deux messages insolites : ne pas confondre Oikocredit avec une ONG (ni avec toute forme de compassion) et donner bonne conscience aux gens qui prêtent de l'argent (contre une rémunération supérieure à celle proposée par les banques).
Quatre mille affiches ont ainsi couvert toute l’Autriche, accompagnées d'une forte présence dans la presse et cinéma. En termes de résultats, le succès de la campagne a dépassé toutes les attentes.
Quelles en sont les raisons ? Le registre testimonial notamment, qui implique davantage les passants, rend plus crédible et plus vivant le discours des affiches. La fierté de la réussite grâce au travail manuel et l'authenticité de l'environnement étaient systématiquement valorisées.
Sur les affiches, des marchands de poisson, des tailleurs, des bouchers, des mécaniciens et des commerçants racontaient de vraies histoires sur leur façon de sortir de la pauvreté par leurs propres moyens – mais aidés indirectement par Oikocredit.
Les slogans publicitaires insistaient sur l’investissement et non pas sur le don. En rejetant la compassion, l’IMF se présentait comme l'instrument efficace de la réussite individuelle.
Actionner le levier de la « philanthropie lucrative »
On assiste aujourd'hui à une prise de conscience globale des avantages matériels et immatériels des microcrédits pour les investisseurs, à la recherche d'un retour aussi bien financier que social sur leur capital. Dans ce contexte, les IMF se retrouvent un peu entre deux feux.
Par exemple, si Oikocredit propose aux investisseurs un taux d'intérêt attrayant (2%), il néglige volontairement cet argument financier dans sa communication publicitaire. L'enjeu est, avant tout, de préserver et d'imposer l'image d'une organisation éthique et responsable.
Comme toujours, on peut imaginer que l'adhésion au microcrédit relève d'un investissement social et éthique, mais elle peut aussi traduire une forme intéressée d'engagement. Au-delà des discours mis en avant par telle ou telle IMF, il s'agit bien de proposer aux acteurs prêts à se mobiliser une éthique, en lien avec des valeurs équilibrées entre partage et intérêt. Ce que l’on nomme « philanthropie lucrative ».
Les organisations de la microfinance communiquent donc comme toute entreprise commerciale. Elles œuvrent à consolider leur identité et leur capital sympathie comme toute marque, et il est positif de voir la communication accroitre la réussite de ces organismes, et ainsi le nombre d'investisseurs et les sommes investies.
Cependant, si le microcrédit aide à accomplir des projets, il peut également constituer un risque et même s'avérer dangereux pour certains, générant parfois échecs et drames. C'est peut-être là que la communication a encore une carte vertueuse à jouer, en permettant de mettre en lumière cette face sombre du microcrédit, et par exemple sensibiliser davantage aux pièges des projets surévalués ou insuffisamment accompagnés.
Tribune écrite en collaboration avec Cornelia Caseau, responsable du département Langues et Cultures du Groupe ESC Dijon-Bourgogne, dans le cadre d'une réflexion menée pour la Chaire Banque Populaire en Microfinance.