"Qu'est-ce qui se cache derrière la fin programmée du prospectus ?" par Vincent Mayet
Il semble que nous ayons atteint les limites de la course à la part de voix prospectus. Pourtant, le prospectus n'est pas mort. Il doit muter sur trois fronts : le front de la relation et de l'image prix, le front du local et du digital et le front de la qualité et du service.
La quête de solutions alternatives aux prospectus a déclenché une vaste réaction en chaîne dans les états-majors. Il semble que nous ayons atteint les limites de la course à la part de voix prospectus, les limites d'un modèle de communication qui consiste à créer chaque semaine une forme d’urgence sur une catégorie de produits. La faute à qui, la faute à quoi ? L’urgence de la bonne affaire commence à sonner dans le vide. Les mécaniques promos sont aussi éculées que les stocks limités. Le consommateur ne réagirait plus aux mêmes stimuli. Plus on crée l'urgence, plus il décide qu'il a du temps ! Enfin, et c’est sans doute l’un des éléments les plus déstabilisants, le trafic magasin ne se crée plus aussi mécaniquement qu’avant. Les semaines passent et ne se ressemblent pas. Et tel un patient en phase terminale, la dose de potion (prospectus + mécanique promo) ne garantit pas totalement l'intensité du trafic en magasin.
Le premier à siffler la fin du prospectus, c'est E. Leclerc. Sa déclaration d’intention "Zéro prospectus", qui prend pour échéance l’année 2020 – c’est-à-dire deux mandats présidentiels au-delà du président en exercice –, pose des questions lourdes sur la place du prospectus dans les media trafic, certes, mais avec lui, c’est la question de la place de la promotion qui est posée.
Comme Leclerc, les enseignes qui traversent cette crise sont celles qui n'ont pas confondu image prix et dynamique promotionnelle. Si Leclerc peut annoncer la fin du prospectus, qui ne mourra sans doute jamais totalement d'ailleurs, c'est que son image prix est suffisamment ancrée dans l'esprit des consommateurs pour s'affranchir d’un levier promotionnel, vital pour d'autres.
Il faut dire qu’image prix et dynamique promo sont deux leviers qui ne sont pas régis selon les mêmes règles. La promo met l’accent sur un produit ou une gamme de produits, l’image prix sur tous les produits du magasin. La promo crée l’urgence, l’image prix est valable toute l’année. La promo pousse à la consommation (plus pour moins cher), l’image prix invite à consommer juste. La promo envahit les boîtes aux lettres. L'image prix est écologique.
Jacques Séguela disait : « Trop de pub tue la pub ». On peut appliquer cet adage à la promo et aux prospectus.
Les solutions existent. Le chemin est droit et la pente raide. Avant de stigmatiser le prospectus, il faut s'interroger sur la pertinence des business models, l'efficacité des mécaniques promotionnelles et les avantages compétitifs des enseignes au-delà du seul item prix. C’est ce dernier chantier qui est le plus excitant, mais aussi le plus urgent pour les enseignes. Les premiers à tirer seront sans aucun doute les gagnants.
Quitte à paraître anachronique, le prospectus n'est pas mort ! C'est encore le média le plus puissant pour valoriser l'offre, avec le media magasin, pour une très grande majorité de clients. Il n'existe pas d'équivalent. Le prospectus n'est pas mort. Il doit muter sur trois fronts : le front de la relation et de l'image prix, le front du local et du digital et le front de la qualité et du service. Le prospectus nouveau a sa place dans des dispositifs qui arrêtent de reproduire les mêmes schémas. Comme les pâtes à la carbonara pour le gourmand que je suis, ce n'est pas le plat qui est "mauvais", c'est le fait d'en manger tous les jours.
Les nouveaux modèles de communication vont devoir préparer ces changements. L’engagement "Zéro prospectus" en 2020 paraît d'ailleurs bien lointain pour une industrie de la communication qui fait de l'innovation un levier de réponse à la crise.
Lire aussi : Zéro prospectus: vrai ou faux combat ?
Les enseignes vont devoir passer du modèle de la promo et de l'urgence au modèle de la proposition et du temps pour consommer. Serge Papin, le patron de Système U, se débrouille bien sur ce registre. Sur les arbitrages financiers, l'analyse de chaque zone de chalandise, la quantification des potentiels et la consommation des médias sur chaque zone vont largement conditionner la vitesse et l'intensité des mutations. Les outils d’études développés en local n’ont jamais été aussi performants pour mener ces arbitrages.
Nous préparons déjà l'étape d'après, engagement d’enseigne versus promo, e-CRM versus CRM, cross canal versus multicanal… Ces travaux ne sont plus seulement prospectifs, ils sont vitaux. Mais en déclenchant ces mutations, il ne faudrait pas tuer ce qui marche et accompagner les enseignes vers le futur plutôt que de les encourager à se battre avec le présent.
Vincent Mayet, 43 ans, débute sa carrière chez Équateur en 1991. Après un passage chez Synergie et Euro RSCG GBHR en tant que directeur de clientèle, il devient responsable du développement chez Euro RSCG Works. En 2002, il rejoint Euro RSCG Compagnie en qualité de manager puis se voit confier la responsabilité des sites de Lyon, d’Annecy et de Reims avant d’être nommé directeur général adjoint de l’ensemble des sites Euro RSCG 360 en 2008 puis directeur général délégué en 2010, vice-président de l’agence en octobre 2011 et co-CEO d'Havas 360 avec Matthieu Habra depuis avril 2012. Il a travaillé sur bon nombre d'enseignes : Champion, Carrefour Market, Marionnaud, Intersport, Speedy, King Jouet, les Opticiens Krys et Point S.
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