Développement durable : les marketers en décalage
Le développement durable est un enjeu de taille pour les marques de la grande conso. Si certaines relèvent le défi avec brio, beaucoup tombent dans les travers du greenwashing. Conseils et retours d'expérience avec Stéphane Petitjean, associé fondateur du cabinet Greenflex.
Je m'abonne- Marketing et développement durable font-ils bon ménage chez les marques de la grande conso ?
Pas vraiment. Beaucoup de marques se contentent de s'engager dans cette voie dans une logique "d'imitation du voisin", sans réellement se préoccuper de ce sujet essentiel. Ce qui donne, in fine, des stratégies se limitant à du greenwashing (procédé marketing consistant à investir dans une communication orientée écologie non pas en rapport avec l'offre commercialisée mais pour se donner l'image d'une entreprise responsable, ndlr).
Nous avons réalisé chez Greenflex le baromètre #GoodProduct, évaluant la contribution positive des produits de grande consommation à la transition écologique. Celui-ci montre clairement une déconnexion entre les produits proposés aux consommateurs et les discours marketing. Les propositions de valeurs des marques sont largement en-deçà des enjeux de société actuels.
Stéphane Petitjean est directeur associé de Greenflex, cabinet de conseil et d'accompagnement des entreprises pour les aider à concilier économie et développement durable. Après avoir exercé six ans dans le marketing direct pour l'agence DDB, il passe un master en management du développement durable à HEC, à l'issue duquel il rejoint Ethicity, cabinet d'étude sur la consommation durable qui aujourd'hui a été racheté par Greenflex.
- A quoi est dû ce décalage entre le discours des marques et leurs offres?
Les marketers sont sans doute parmi les collaborateurs les plus créatifs et novateurs de l'entreprise, mais aussi les plus court-termistes. En 60 ans de marketing, ce sont toujours les mêmes méthodes employées (les 4P, les cinq forces de Porter etc...) et donc les mêmes grilles de lecture pour analyser les offres. Or, le contexte a changé : les scandales se multiplient dans l'univers de la grande consommation. Ce sont autant de signaux forts qui alertent le consommateur. Face à cela, certaines marques continuent d'agir comme si de rien était. Certaines osent opérer un changement, mais cela n'est pas facile.
Les marketers ont un faible pouvoir d'influence en interne
- Quelles-sont les difficultés rencontrées par les marketers pour reconnecter offre et discours ?
Beaucoup d'entreprises de la grande consommation se sont restructurées ces dernières années, avec pour conséquence des équipes marketing se retrouvent de plus en plus concentrées géographiquement, mais aussi déconnectées des autres services de l'entreprise (achats, production, R&D...)
Ce type d'organisations amenuisent le pouvoir d'influence des marketers en interne pour faire valoir un changement en faveur du développement durable. Par ailleurs, peu d'entre eux sont habitués à travailler sur un sourcing responsable et à en discuter avec des fournisseurs, ni même à oeuvrer pour une chaîne de valeurs environnementales et sociétales... Ils ne sont pas formés pour ça.
Dans ce contexte, les marketers doivent faire preuve d'une forte conviction et de beaucoup de courage. En ouvrant la voie du développement durable, ils s'exposent au risque d'être pointés du doigt par les consommateurs et les associations...
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- Comment éviter qu'un réel engagement vers le développement durable ne soit perçu comme du greenwashing ?
La première chose est d'aligner les différents services de l'entreprise, afin que le service marketing soit impliqué et ait une parfaite connaissance du cahier des charges du produit. Ainsi, il sera possible de bâtir une stratégie de marketing et communication adéquate. Un très bel exemple est celui du partenariat entre Système U et Terrena (cf.encadré).
Système U & Terrena : un partenariat en faveur d'une agriculture raisonnée
Pour ses viandes vendues en MDD (porc, poulet, lapin), Système U s'est associé à Terrena, un groupe de coopératives agricoles défendant l'agriculture écologiquement intensive. L'équipe marketing du groupe a dû réaliser un travail pédagogique auprès de la clientèle pour expliquer cette nouvelle valeur sociétale ajoutée au produit : étiquetage, rédactionnel média et hors média mais aussi film sur la politique transparence diffusé en magasin. Initié il y a deux ans, le projet a été récompensé aux Grands prix de la Distribution Responsable de l'Essec en 2016.
Par ailleurs, il faut que les marketers prennent du recul, et comprennent que l'enjeu du développement durable se situe au-delà de leur marque... Certains y parviennent très bien et n'hésitent pas à conseiller leurs clients pour moins et mieux consommer. C'est le cas notamment de L'Arbre Vert, qui communique beaucoup sur les conseils d'utilisation de ses produits (composition, dosages maximum...) mais aussi sur ses axes d'amélioration.
En effet, les marketers doivent impérativement jouer la carte de la transparence, communiquer sur ce que la marque fait ou ne fait pas en matière de développement durable. Cette démarche doit s'inscrire dans le temps. C'est la meilleure arme pour affronter les scandales. Exemple concret avec la marque Patagonia, reconnue depuis longtemps pour son engagement en faveur du développement durable, et qui s'est pourtant faite épinglée par l'association protectrice des animaux PETA en août 2015 car son fournisseur de laine maltraitait les moutons. Le fabricant de vêtements a immédiatement lancé une enquête et communiqué auprès du grand public, reconnaissant sa part de responsabilité dans le choix et le suivi de ce fournisseur peu scrupuleux. Un franc-jeu qui a permis à la marque de ne pas être éclaboussée par cette affaire.
- Quel ROI les marques peuvent-elles attendre d'une politique orientée développement durable ?
Nous observons de très bons résultats en termes de ventes pour les marques ayant misé sur cette stratégie. Notons le cas de Lu'Harmony, charte du fabricant de biscuits visant notamment à favoriser la biodiversité et à s'associer avec des agriculteurs plus respectueux de l'environnement. Lancée en 2011, cette initiative a permis une croissance de 9% des ventes. Autre exemple : celui de Fleury Michon, qui a pris plusieurs mesures pour proposer un surimi de meilleure qualité, supprimant au passage certains produits chimiques de sa recette. Résultat : les ventes ont grimpé de plus de 15% !
Enfin, il est intéressant de noter qu'il n'y a pas que les marques alternatives qui s'y mettent. Le fait que de très grandes marques investissent le créneau du développement durable a tendance à tirer l'ensemble du marché vers le haut.