Comment prendre le guidon d'une direction marketing?
François Tarrou est un passionné de moto. Mais c'est bien pour son expertise marketing qu'il a été choisi par Yamaha Motor pour devenir le nouveau CMO en France. Il revient pour nous sur ses 100 premiers jours au sein de l'entreprise, tout en partageant sa vision du marketing et du management.
"La route me manquait ! Je vous l'ai dit, autour de la moto, il y a une communauté de fidèles et de passionnés", confesse François Tarrou, directeur marketing et communication de Yamaha Motor France depuis octobre dernier. Arlésien et " fou de corrida ", il ne pouvait rester longtemps loin de ce "mundillo" . "J'ai beaucoup appris chez Publicis, mais ma passion pour les marques m'a poussé à franchir le pas en l'an 2000, quand j'ai rejoint Harley-Davidson France. C'est une boîte qui a beaucoup apporté au marketing depuis un siècle, il y a un héritage énorme !" En 2013, il décide de changer d'air en allant successivement chez Weber et chez Nikon. "Elles aussi sont des marques passionnelles, autour desquelles il existe une forte communauté. Ce sont les chefs avec qui j'ai organisé les championnats de France de barbecue qui m'ont appris à cuisiner ! Et j'ai adoré le monde de la photo et, plus généralement, la culture du business qu'ont les Japonais, après 15 ans de sociétés américaines", explique François Tarrou.
J-1 "Je suis plus un passionné de marketing et un pratiquant de moto que l'inverse"
Mais, chez Yamaha, autre entreprise nippone, François Tarrou est clair : "Je n'arrive pas chez Yamaha pour ne faire que de la moto ! Je suis plus un passionné de marketing et un pratiquant de moto que l'inverse. Il ne faut pas oublier que Yamaha, c'est également des scooters, des quads, des bateaux, des générateurs électriques ... Je vais devoir apprendre." Une aptitude qu'il a développée dans ses précédents postes, tout en prenant soin de conserver intact son esprit critique : "Chez Nikon, j'ai essayé d'amener plus d'inattendu, le marketing traditionnel de l'entreprise ne répondant pas au défi d'un marché en train de devenir de plus en plus premium. J'ai travaillé au développement des solutions de financement échelonné. Il fallait encourager l'achat de l'usage, plus que du produit, et lutter contre l'image d'une marque inaccessible, réservée aux pros." Outre son expérience de la gestion des réseaux de distribution et de la relation avec le headquarter européen d'une entreprise internationale, c'est cette capacité à secouer des pratiques parfois figées qui a séduit son nouvel employeur.
Jour J "Un vrai marketeur doit toujours être sur le terrain"
En prenant son poste chez Yamaha, François Tarrou a des objectifs concrets : accompagner la montée en gamme de la marque et clarifier son offre. "Historiquement, les marques japonaises faisaient du volume, mais le marché a changé. Il faut miser sur la qualité et proposer une expérience de marque plus large : celui qui achète l'un de nos scooters doit venir chez nous s'il veut un jour une moto, un quad ou même un hors-bord !" Mais le 1er octobre 2018, il trouve les locaux vides : "Les équipes préparaient le Salon de la moto, qui ouvrait le lendemain. J'étais donc venu me présenter une semaine avant afin d'avoir un premier contact et de leur parler de moi, de mon parcours, mais aussi de mes passions, de ma famille. C'était assez inhabituel chez Yamaha ! Le lendemain, j'ai profité du salon pour renouer avec l'écosystème. Pour moi, un vrai marketeur doit toujours être sur le terrain, à la rencontre des clients, des concessionnaires, ou pour assister à des conférences et chercher de l'insight. À l'heure du digital, on doit se remettre en question tous les six mois." Une approche qu'il théorise volontiers : "Je suis un fervent militant de la poignée de main, du fait d'aller au contact, d'appeler là où beaucoup préfèrent envoyer un mail. C'est une maladie du marketing aujourd'hui, on pense créer une relation durable avec une newsletter ! Ce n'est pas cela qui va pousser un fan de Giacomo Agostini ou de Valentino Rossi à s'offrir une Yamaha et à dépenser un an de salaire, même s'il en rêve ... Il faut lui tendre la main et l'accompagner."
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J+50 "À l'image d'un ghostbuster, je fais la chasse aux fantômes"
Un régime que François Tarrou a néanmoins du mal à s'appliquer les premiers mois : "Après le salon, j'ai passé du temps à rencontrer tous les collaborateurs, pour établir un lien direct et mieux connaître la société. Dans toutes les entreprises, il y a un historique. Des usages qui ne sont jamais remis en question, des non-dits qui parasitent l'efficacité des équipes. Mon rôle est de jouer un peu les ghostbusters, de pourchasser les fantômes. Ma priorité, c'est d'aider mes collaborateurs à progresser, de faire en sorte de dresser une muraille entre eux et les problèmes de l'entreprise afin qu'ils soient libres et créatifs. L'une de mes grandes fiertés est d'avoir vu mes bras droits me succéder, tant chez Harley que chez Nikon, et qu'ils soient toujours en poste !" En parallèle, il se penche également sur les données dont il dispose : "Il y a une culture de l'insight à développer chez Yamaha. L'idée était de voir non pas les actions qui produisaient le plus de chiffre d'affaires ou de volume, mais celles qui engendraient le plus de profits, afin d'en tirer des enseignements pour bâtir le plan stratégique 2019, mais aussi pour lancer les investissements les plus urgents." Sans nous révéler les actions en question, il avoue avoir parfois un peu brusqué ses collaborateurs en faisant tomber des totems : "Il faut être bienveillant, mais pas complaisant. Il ne faut pas se cacher pendant sa période d'essai. Au contraire, c'est le moment de prendre des risques ! Je ne suis pas là pour enfiler des charentaises et simplement faire ce que tout le monde faisait déjà avant".
J+100 "Il faut que je renforce mes défenses immunitaires"
Maintenant que sa période d'essai est terminée, François Tarrou va pouvoir à nouveau prendre la route et aller sur le terrain. "Je vais faire le tour des points de vente de notre réseau. Ce sont nos vendeurs qui nous font vivre, il faut aller à leur écoute. Et puis, arriver en moto dans une concession, ça force le respect !", s'amuse-t-il, tout en mettant le doigt sur l'importance de prendre du recul par rapport à ses trois premiers mois de fonction : "Désormais, je dois penser à moi. Je ne dois pas laisser les fantômes de l'entreprise perturber la vision que je suis en train de construire. On utilise souvent l'expression "apporter du sang neuf" : je dois renforcer mes défenses immunitaires afin de rester dans cette dynamique et de déployer cette vision sans entrave."
J+200 "C'est un monde de traditions, il y a donc plein de choses à inventer"
Cet amoureux des marques aura alors la chance de plancher sur les célébrations du 65e anniversaire de Yamaha, après avoir été en poste à l'occasion des 60 ans de Weber et des 100 ans d'Harley-Davidson et de Nikon. En attendant, il découvre avec envie ses nouveaux terrains de jeu : "J'ai la chance d'être à nouveau au sein d'une marque forte, dans un domaine de passionnés où l'humain est mis au centre. Prenez le monde de la mer : ces gens ont le même rapport à l'océan que leurs aînés. C'est un monde de traditions, et il y a donc plein de choses à inventer et d'opportunités à saisir pour le marketing !"
Mini-bio
À la fin de ses études à Aix-en-Provence, François Tarrou fait ses armes dans une agence du sud de la France, avant de rejoindre Publicis en 1994. Cinq ans plus tard et après un passage chez Stratëus, sa passion des marques et de la moto le pousse à prendre, en 2000, la direction marketing de Harley-Davidson France. Treize ans après, il relève un nouveau défi en tant que CMO pour l'Europe du Sud de Weber jusqu'en 2015, puis de Nikon en France et au Benelux en 2016, à la suite de l'obtention d'un M2 en marketing digital. En juin 2018, il est approché par Yamaha, qu'il intègre en octobre.
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