Marketers, et si vous intégriez des start-up?
Si les groupes montrent un intérêt croissant pour l'expertise des start-up, le chemin reste long pour aboutir à une coopération fluide entre des acteurs aux méthodes très différentes. Mode d'emploi.
Je m'abonne 50% des start-up qui ont collaboré avec des grandes entreprises ont jugé leur expérience médiocre ou mauvaise(1). Alors que les grands groupes montrent un intérêt croissant pour ces jeunes entreprises capables de s'affranchir des règles établies, notamment dans le domaine des fintech, une certaine incompréhension règne encore entre les partenaires. Délais de paiement à rallonge et process figés risquent d'épuiser rapidement les ressources de start-up naissantes, qui n'ont pas encore complètement trouvé leur marché et leur business model.
Le rapport "From Tech to Deep Tech - Fostering collaboration between corporates and startups", publié par Boston Consulting Group et Hello Tomorrow, édicte un ensemble de bonnes pratiques destinées à faciliter ces unions éphémères ou plus durables.
À l'heure de l'open innovation, la rapidité des start-up constitue un avantage concurrentiel considérable.
Plusieurs systèmes coexistent, plus ou moins paternalistes, qui répondent à des besoins différents. Vinci Autoroutes investit dans un accélérateur de start-up. Des groupes tels que Saretec ou La Poste optent pour l'intrapreneuriat, qui mobilise des salariés sur un sujet décorrélé de leurs tâches quotidiennes et donne parfois lieu à la création d'une nouvelle entreprise. Des incubateurs, internes ou externes, sont également développés au sein de grandes écoles ou d'entreprises (la SNCF a récemment créé son propre incubateur, après s'être investie dans Le Camping).
Autre formule plus souple: des intermédiaires tels que Whyers mettent en relation start-up et entreprises pour des collaborations ponctuelles, des missions qui peuvent durer de quelques heures à plusieurs mois. Une chose est sûre: la dépendance n'est pas unilatérale. À l'heure de l'open innovation, la rapidité des start-up constitue un avantage concurrentiel considérable.
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(1) Source: étude "The State of Startup/Corporate Collaboration 2016", menée par l'accélérateur de start-up à but non commercial MassChallenge.
1. Quid du corporate venture capital?
59% des entreprises du CAC 40 ont tenté l'aventure du corporate venture capital, selon l'étude "David avec Goliath" publiée par le fonds d'investissement Raise et le cabinet Bain & Company. Proche des pratiques des business angels, il s'agit d'un fonds d'investissement géré en propre par une entreprise ou par un regroupement de sociétés. À l'instar de SNCF Digital Ventures ou Orange Digital Ventures, ces entités prennent part au capital de jeunes entreprises et enrichissent leur veille stratégique.
Le modèle externalisé ne requiert pas de compétences particulières pour les grands comptes et apparaît pertinent lorsqu'ils désirent explorer de nouveaux territoires. Il est possible ainsi de diversifier ses investissements pour un coût égal à celui qu'aurait généré la création d'un fonds propre.
2. Collaboration ou intrapreneuriat?
Sur quels types de sujets faire appel à une start-up pour une collaboration ponctuelle? "Pour repenser la perception client, implanter une nouvelle technologie, monétiser le big data", répond Julien Masson, CEO de Whyers, entreprise spécialisée dans la mise en relation entre grands comptes et start-up. Le domaine des fintech regorge de start-up innovantes. Les grands groupes peuvent ainsi faire appel à des petites entreprises innovantes sur le mode de la prestation, ce qui préserve leur indépendance.
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Si le partage d'expertise est à valoriser, l'intrapreneuriat (entités nouvelles créées via des concours au sein des entreprises) et les hackathons demeurent sujets à controverse. Selon Julien Masson, ces concours d'idées entre start-up demeurent avant tout une stratégie de communication et rencontreraient un faible succès.
L'analyse est tout autre au sein de la société Vinci Autoroutes. "Le Vinci Startup Tour et les hackathons qui ont eu lieu à Bordeaux et à Nice ont permis de faire émerger des jeunes pousses en phase de levée de fonds et de développer des services en synergie avec ceux de Vinci Autoroutes, à l'instar de Wever, spécialisée dans le covoiturage urbain sur la Côte d'Azur", affirme Paul Maarek, directeur général pour le réseau Escota de Vinci Autoroutes, en charge de la stratégie digitale.
3. Incubateurs et accélérateurs
44% des grandes entreprises possèdent un incubateur ou un accélérateur en interne ou en externe (1), destiné à aider des start-up à trouver leur business model. Suite au succès de Y Combinator et Techstars aux États-Unis, le Crédit Agricole fonde Le Village by CA, BNP Paribas crée Innov & Connect, Orange lance son Orange Fab. Ces structures sont décriées par certains (notamment Julien Masson, cofondateur de Whyers), car elles impliquent que les grands groupes jouent un rôle financier dans le développement des jeunes pousses.
Le mentorat constitue une alternative intéressante. Vinci Autoroutes, par exemple, identifie les projets liés à la mobilité et fournit aux start-up sélectionnées un lieu de travail ainsi qu'un accompagnement matériel, mais a décidé de ne pas entrer au capital.
Il importe de demeurer vigilant, toutefois, face à ce modèle: l'incubateur apparaît comme une solution idéale pour les groupes internationaux, qui tirent parti d'un recrutement à grande échelle parmi des jeunes pousses dont le cycle de développement est identique et dupliquent leur mentorat. Dans le domaine des "deep tech" (technologies liées à l'intelligence artificielle, réalité virtuelle, Internet des objets), par exemple, les besoins des entreprises diffèrent et il demeure compliqué de mettre en place des programmes à grande échelle.
De plus, le stade de développement de la start-up est déterminant pour la définition des modalités de collaboration. Un projet naissant, créé par des personnes tout juste sorties d'école, nécessite un accompagnement plus solide, voire paternaliste, qu'une entreprise qui compte déjà plusieurs contrats à son actif.
4. Connaître les points faibles des start-up
"Il apparaît primordial de challenger les idées foisonnantes de ces professionnels souvent très jeunes, met en garde Paul Maarek, et de leur poser des questions identiques à celles de potentiels investisseurs. Les entreprises établies se doivent d'apporter de la rationalité dans leurs projets." Autres points faibles: la capacité à industrialiser un service, la difficulté à respecter les normesréglementaires, à soigner les procédures de sécurité.
Les groupes excellent généralement sur ces points. Julien Masson (Whyers) les compare ainsi à "de grosses API, qui doivent ouvrir une partie de leurs datas et de leur technologie à des tiers, lesquels aideront à identifier de nouvelles opportunités". La construction d'un véritable écosystème est primordiale. Les groupes doivent ainsi identifier les ressources qu'ils peuvent mettre à la disposition de leurs protégés: données, base clients, réseau, connaissances métier, expertise technique complémentaire. Une politique de protection des données spécifique doit être mise en place pour qu'agilité rime avec sécurité.
Pour ne pas perturber le fonctionnement du groupe dans son ensemble, il importe de créer une équipe dédiée, notamment pour gérer l'approvisionnement (les start-up sont enregistrées en tant que fournisseurs, ce qui permet de les payer plus rapidement), les aspects légaux et financiers.
5. Quels KPI pour les start-up?
La création de structures dédiées pour évaluer les risques en termes de business est nécessaire. Plus largement, "l'acquisition des KPI par les start-up demeure compliquée, il importe de les aider sur ce point", indique Paul Maarek (Vinci Autoroutes).
L'équilibre entre KPI stratégiques et financiers dépend du niveau de maturité de la jeune entreprise. Une structure naissante doit être jugée avant tout sur sa maîtrise technologique: capacité à servir le marché, compétitivité, attractivité, innovation, insights technologiques. Plus mature, elle doit également répondre à des objectifs de rentabilité potentielle: chiffre d'affaires, ROI en sortie d'incubateur, capacité à rester dans les prix du marché...
6. S'adapter aux jeunes pousses
Travailler avec une start-up implique de s'efforcer de comprendre sa culture afin d'instaurer un échange fructueux. "Leurs cycles de développement sont très courts, elles sont en permanence dans une logique de test et pivotent rapidement, y compris lorsqu'il s'agit de leur business model", explique Paul Maarek (Vinci Autoroutes). La rapidité doit être au centre des préoccupations.
La rapidité doit être au centre de toutes les attentions.
Ainsi, un projet ne doit jamais excéder quatre mois, selon Julien Masson (Whyers). Il importe de se fixer des buts à court terme, parfois quelques heures seulement.
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Les achats constituent aussi une problématique récurrente: il importe de sortir de sa logique administrative et de mettre en place des circuits courts. En effet, une start-up manque de trésorerie et ne peut affronter les délais de paiement à trois mois, de même qu'elle manque de personnel pour fournir des reportings complets et se plier à une paperasserie trop lourde. Les groupes doivent assouplir leurs règles de fonctionnement, faire preuve de pédagogie pour expliquer leurs outils et process, tout en aidant les start-uppeurs à optimiser leur temps. Payer les proofs of concept dans le cadre de l'open innovation participe également de cette aide financière sans laquelle une jeune pousse ne peut survivre.
De même, il est temps de se mettre aux outils cloud: accès à Slack coupés, non-utilisation de Dropbox... Les professionnels aguerris ont beaucoup à apprendre des plus jeunes en termes de fluidité.
Au-delà des bonnes pratiques, il s'agit pour les grandes entreprises de changer leur état d'esprit et, selon la formule de Julien Masson (Whyers), d'"opter pour l'expérimentation continue, développer la culture de l'action et non celle de l'estimation".
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Quelle différence entre un start-uppeur, un consultant et un freelance ?
Pourquoi choisir de faire appel à une start-up plutôt qu'à un consultant ou un free-lance? Julien Masson, CEO et cofondateur de Whyers, y voit une façon de sortir du conformisme: "Les experts business appliquent une méthodologie et des recettes existantes pour résoudre certains problèmes précis. Faire appel à une start-up apporte une vision neuve aux grands groupes mais surtout, le but des jeunes entreprises est de générer du cash et de la valeur." Moins d'expérience, donc, mais davantage de pragmatisme. Il importe que la collaboration soit fructueuse pour les deux parties: "Attention à ne pas transformer une start-up en SSII", précise Julien Masson.