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[Tribune] "Influenceur, mannequin malgré lui ?"

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À l'heure où la première loi sur les influenceurs a été adoptée, comment les marques peuvent-elles contractuellement encadrer leurs relations d'affaires avec ces nouveaux acteurs, face au risque de requalification en contrat de travail fondée sur la présomption de salariat attachée au mannequinat ?

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Le 9 juin 2023 a été adoptée une loi visant à encadrer l'activité des influenceurs. Première du genre, elle définit ces acteurs du numérique comme des « personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public, par voie électronique, des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d'une cause quelconque ». Cette loi a pour ambition de réguler l'activité de ces nouveaux acteurs du numérique, à laquelle elle applique certaines des règles régissant la publicité. Elle interdit la promotion, par les influenceurs, de certains produits et services, par exemple dans le domaine de la médecine ou de la finance, et encadre encore les contrats qu'ils concluent, en particulier avec leurs agents. Plus globalement, cette loi vise à responsabiliser les influenceurs dans leur activité professionnelle de communication promotionnelle.

Une possible confusion entre le statut d'influenceur et celui de mannequin

Néanmoins, certains aspects de cette activité, pourtant liés à la promotion de produits et/ou services, ont été oubliés par cette loi. C'est notamment le cas de la possible confusion entre le statut d'influenceur et celui de mannequin. Il aurait en effet été appréciable que le législateur se positionne sur cette question. En effet, le mannequinat est défini juridiquement par le Code du travail comme l'activité de présentation directe ou indirecte au public de produits, services ou messages publicitaires, par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, ou par l'activité de pose comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image.

Le Code du travail précise encore que tout contrat par lequel une « personne » s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un mannequin est présumé être un contrat de travail. Cette personne peut être une agence de mannequin, ou l'annonceur lui-même.

Ces dernières années, le statut de mannequin a fait l'objet d'une interprétation jurisprudentielle particulièrement extensive puisque la Cour de cassation a pu l'appliquer à des sportifs professionnels, dans plusieurs arrêts rendus en 2021 et 2022. Dans deux décisions récentes, la Haute Cour a en effet considéré que des sportifs professionnels, chargés, au titre d'un contrat de sponsoring, de porter des vêtements ou équipements portant la marque de leur sponsor lors de la pratique de leur activité sportive (à l'entraînement et en compétition), devaient être considérés comme des mannequins. Par conséquent, le contrat de sponsoring était présumé être un contrat de travail, et la contrepartie financière versée à ce titre par le sponsor devait être soumise aux cotisations URSSAF.

Une telle application de la notion de mannequin à l'activité des sportifs nous paraît pour le moins critiquable. Le coeur de l'activité du sportif consiste en effet à pratiquer son sport et à participer à des compétitions, et non à faire la promotion des équipements qu'il peut porter dans ce cadre, pour l'exercice de son sport. Son activité principale, à proprement parler, est donc significativement différente de celle du mannequin.

Une requalification du contrat de travail ?

Mais alors, quid de l'influenceur ? Selon les profils, son activité principale peut soit consister à faire la promotion de produits ou de services de tiers, moyennant le versement d'une contrepartie, soit véritablement créer un contenu original exclu de toute notion de promotion quelconque, usant davantage du « placement de produit », sa notoriété étant le moyen de toucher un large public. Sur cette base, le contrat conclu avec une marque, qu'il présentera de façon directe ou non, est-il systématiquement condamné à être requalifié comme contrat de travail sur la base de la présomption de salariat attachée au mannequinat ?

À l'heure actuelle, la question se doit d'être posée car le risque de requalification semble élevé, notamment via le prisme de la notion de mannequinat. Néanmoins, limiter l'activité de l'influenceur à un acte de promotion nous semble réducteur. L'influenceur, au même titre que le sportif, est bien plus qu'un homme-sandwich. Dans sa communication, même faite en faveur des produits ou services d'un tiers, et moyennant contrepartie, il apporte toujours sa touche personnelle voire artistique, adaptée à sa communauté, ce qui l'éloigne d'autant d'une prestation régie par un cahier des charges strict, ou des directives précises d'un donneur d'ordre exerçant un lien de subordination. Plus qu'un publicitaire, l'influenceur est un véritable créateur de contenus.

Quoi qu'il en soit, le choix, pour une marque, de faire appel à un influenceur, supposera de prendre des précautions dans la rédaction du contrat avec celui-ci. Une attention particulière devra d'abord être portée à la forme juridique adoptée par l'influenceur, en tant que co-contractant, et à sa manière de communiquer. Le choix du vocabulaire contractuel est tout aussi important, la grande liberté de l'influenceur dans sa communication devra ainsi être préservée, afin d'éviter tout élément de nature à favoriser la qualification de lien de subordination entre l'influenceur et la marque, élément clé du contrat de travail. Le type de rémunération, quel qu'il soit devra encore être envisagé avec attention, afin de s'éloigner au maximum d'une notion de salaire, propre aux salariés, tâche particulièrement ardue sur ce point, tant le texte sur les mannequins est favorable au salariat. Enfin, plus encore dans le cadre de l'exécution du contrat notamment, il y aura lieu d'éviter tout signe d'appartenance de l'influenceur à l'entreprise ou à un service organisé de cette dernière.

En somme, même si les marqueurs de l'indépendance de l'influenceur dans l'exécution de la prestation permettront de combattre au mieux le risque de requalification en contrat de travail fondé sur le mannequinat, l'absence de prise de position par le législateur sur cette question est susceptible de rendre ce combat périlleux et quelque peu incertain sur son issue.


Les auteurs : Jessica Sandowski & Édouard Péchaud, avocats au sein du cabinet BCTG Avocats.

 
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