Gaspard Gantzer : "Il faut accepter d'avoir des formes d'expression plus courtes qui correspondent à notre temps"
À l'occasion de la sortie de son ouvrage "Êtes-vous encore de gauche ?", Gaspard Gantzer, ancien chef du pôle communication de la présidence de la République de 2014 à 2017 et fondateur de Gantzer Agency, sa propre agence de communication, nous explique sa conception de ce que doit être une communication de crise.
Je m'abonneFort de son expérience passée au Palais de l'Élysée qui l'a notamment amené à gérer des crises comme celle des attentats terroristes de 2015, Gaspard Gantzer est une figure incontournable dans le domaine de la communication de crise. Dans le livre Êtes-vous encore de gauche ? publié le 14 septembre 2022 aux éditions Flammarion, l'ancien conseiller de François Hollande revient sur les deux dernières décennies et toutes les crises qui ont impacté la situation de la social-démocratie et plus généralement l'état de notre société.
Vous avez été chef du pôle communication à l'Élysée de 2014 à 2017. Dans votre livre, vous dites regretter que François Hollande, alors président de la République, ait passé autant de temps à écrire de longs discours car à l'heure des réseaux sociaux, les gens n'en retiennent pas grand-chose. Comment adapter sa communication avec son temps ?
Je pense que le discours demeure un exercice important, mais il doit rester assez rare pour prendre toute sa solennité et avoir tout son impact. On ne peut pas faire un grand discours tous les jours. Aujourd'hui, et c'était un peu pareil lorsque j'étais conseiller de François Hollande, les présidents de la République font des discours tous les jours. C'est un problème. Trop de discours tue le discours. Le second problème est que nous sommes dans l'ère de l'immédiateté sur les réseaux sociaux. Il faut donc accepter d'avoir des formes d'expression plus courtes, écrites ou orales, qui correspondent à notre temps. Il faut également savoir varier les plaisirs : de temps en temps, faire un grand discours avec toute la solennité qui y est attachée et, au quotidien, être plutôt sur une communication très directe sur les réseaux sociaux.
Vous parlez aussi dans l'ouvrage Êtes-vous encore de gauche ? des histoires personnelles de François Hollande qui avaient fuité dans la presse. Comment communiquer lorsqu'un individu est personnellement visé ?
Défendre une image qui a été attaquée sur son flanc privé est ce qu'il y a de plus difficile ! Dans ce cas-là, il faut avoir de la distance et de la hauteur pour être dans une communication non émotionnelle. Après, tout dépend toujours de là où la personne conseillée situe le curseur entre vie publique et vie privée.
Après votre passage à l'Élysée, vous avez créé Gantzer Agency, votre propre agence de communication spécialisée dans la communication de crise. Quelles sont vos missions au quotidien ?
Gantzer Agency est une agence spécialisée en communication de crises et en communication sensible qui aide ses clients à analyser les risques réputationnels qui peuvent peser sur eux. Il peut s'agir de risques exogènes liés à l'environnement économique, politique et énergétique ou il peut s'agir de risques endogènes. Nous leur proposons en amont de mettre en place des procédures qui permettent de prévenir les attaques réputationnelles. Nous pouvons aussi proposer des formations en interne, des guides ou des outils pour leur permettre de faire face aux crises. Si la crise se déclenche malgré tout, nous sommes au quotidien auprès de nos clients pour les aider à la gérer. Nous nous retrouvons quasiment à intégrer de fait leur équipe de direction pour la gestion de ladite crise. Parfois, les choses ne se passent pas dans cet ordre-là. Nous ne commençons pas toujours par de la prévention avant de passer au traitement : il peut nous arriver de commencer à intervenir en urgence, avant de mettre en place des procédures.
Les entreprises sont-elles libres de suivre ou non les suggestions que vous leur formulez ?
Nous sommes une agence conseil, donc nous sommes là pour faire des recommandations et puis ce sont nos clients qui décident. Cela étant, ils nous demandent parfois de les aider dans la mise en oeuvre en gérant nous-mêmes les relations avec la presse.
Quels types de clients conseillez-vous ?
Notre agence a trois types de client : nous conseillons des grandes entreprises privées ou publiques comme des entreprises du CAC40. Nous avons également comme clients des entreprises du secteur de l'innovation et de la Tech, donc nous pouvons avoir des start-up ou des licornes. Enfin, nous avons des clients dans le domaine des industries culturelles et créatives. Cela va donc de la PME de cinq personnes à la multinationale de plusieurs centaines de milliers de personnes. Nous conseillons majoritairement des entreprises privées, et nous avons arrêté de collaborer avec des personnalités politiques.
Récemment, le vice-président de KFC France a ouvertement critiqué Kylian Mbappé à la suite de l'affaire du boycott des sponsors, obligeant la marque à s'excuser et à se désolidariser des propos de son vice-président. Quelle attitude faut-il adopter lorsqu'une personne d'une entreprise ou d'une institution dérape et émet des messages contraires aux consignes ?
Dans un premier temps, il faut déjà essayer de comprendre pourquoi ces personnes ont eu cette communication orthogonale (à l'opposé, N.D.L.R.) avec celle qui était initialement prévue. Cela permet de corriger le tir plus facilement. Je ne pense pas qu'il faille être dans l'autoritarisme dans ce genre de cas. Il faut comprendre et après, de façon emphatique, il faut pousser l'autre à s'expliquer ou à s'excuser si c'est nécessaire.
Selon vous, une entreprise a-t-elle tout à gagner ou tout à perdre à communiquer sur ses différents engagements politiques ou à réagir à l'actualité chaude ?
Il faut trouver le bon équilibre entre rester dans le tempo médiatique et ne pas se laisser dévorer par celui-ci. Il n'y a pas de règle finalement. Nous pouvons être amenés dans une situation de crise à communiquer beaucoup parce que les faits le nécessitent, mais il ne faut jamais parler pour ne rien dire. Francis Blanche, vieux comique du milieu du XX siècle, disait "si vous n'avez rien à dire, ce n'est pas la peine de le faire savoir à tout le monde". Je pense qu'en communication, cela reste une très bonne façon de voir les choses.