Nicolas Favre, directeur marketing de Team Vitality : "L'eSport, c'est la recette magique"
Alors directeur général d'adidas France, Nicolas Favre a été confronté à l'eSport dès 2016, quand l'équipementier est devenu le fournisseur officiel de Team Vitality, équipe française référente sur la scène internationale,. Il a depuis rejoint Team Vitality en tant que CMO. Il nous explique pourquoi l'eSport est devenu incontournable pour toucher les nouvelles générations.
Je m'abonnePourquoi avez-vous rejoint Team Vitality en 2021 en tant que CMO, alors que vous étiez directeur général d'adidas en France ?
J'ai eu la chance de travailler pendant plus de vingt ans pour Adidas, une des plus belles et des plus fortes marques qui existent. Avant de prendre la direction générale de la France, j'ai fait ma carrière dans le marketing et j'ai toujours été particulièrement engagé sur toutes les thématiques d'innovation, du mobile aux réseaux sociaux, et surtout sur l'approche communautaire et le travail autour de la "youth culture", dans laquelle l'eSport et le gaming sont incontournables. Mon intérêt pour le projet de Team Vitality a été assez naturel, d'autant que c'est moi qui, en tant que directeur marketing, avais signé l'accord de partenariat avec Adidas en 2016. C'est un secteur auquel je crois depuis longtemps, et au moment de franchir le pas pour rejoindre Team Vitality, j'ai été séduit par l'opportunité de construire une marque forte, avec une forte dimension internationale et qui dispose d'une large communauté très engagée. J'ai également été séduit par l'opportunité de transmettre mon expérience à des équipes beaucoup plus jeunes que moi.
Êtes-vous joueur personnellement ?
Pas du tout ! Je suis bien plus vieux que la plupart des personnes qui opèrent sur ce marché, et même si j'ai connu les débuts du jeu vidéo, je n'ai jamais trop joué. Ce qui m'intéresse, c'est de suivre ce changement générationnel, bien que je retrouve beaucoup de similitudes avec le marché du sport classique. Mais j'aime beaucoup regarder les compétitions d'eSport, notamment sur League of Legends et Counter Strike, car ce sont des jeux très spectaculaires mais aussi très techniques, avec beaucoup de stratégie, et c'est fascinant pour un non-joueur de découvrir ces mécanismes.
Quels parallèles faites-vous entre marketing sportif et eSportif ?
Les enjeux pour les marques sont identiques, tant en matière de développement de la notoriété et de l'engagement auprès d'un public spécifique, mais aussi du développement du capital de marque, ou encore l'opportunité de travailler sa marque employeur par exemple. Les façons d'activer des partenariats entre les ayants droit et les sponsors sont assez similaires. La différence, c'est qu'en investissant dans l'eSport, vous investissez dans l'avenir ! Les acteurs du sport classique en sont conscients. Les 18-25 ans passent aujourd'hui plus de temps à regarder des compétitions eSportives, ce qui conduit les clubs à investir le secteur, mais aussi des joueurs comme Neymar ou Gérard Piqué.
Où en sont les marques de cette prise de conscience ?
Le dynamisme du secteur a été accéléré par le Covid, qui a entraîné une explosion des audiences et des participations de sponsors qui cherchent à cibler le coeur de cible des 15-25 ans. Les audiences augmentent de 8 à 10 % chaque année. 700 millions de personnes regardent des compétitions d'eSport dans le monde, et deux milliards connaissent ces compétitions. 500 millions de fans sont notamment en Chine, ce qui fait de l'eSport un levier stratégique pour les marques qui cherchent à s'implanter sur le marché. Plus globalement, les marques qui travaillent sérieusement le sujet voient leurs performances démultipliées avec, à partir de trois ans de collaboration, une préférence de marque augmentée de respectivement 16 % et 9 % auprès des fans d'eSport et des gamers, par rapport au grand public, selon les études réalisées pour nos sponsors. L'eSport, c'est la recette magique, entre dynamisme, impact et efficacité. Le secteur offre des possibilités d'implantation géographiques fines et un potentiel en matière de création de contenus et d'UGC hallucinant. C'est justement ce que recherchent les marques, qui savent que la publicité classique a de moins en moins prise sur les jeunes.
Qu'entendez-vous par travailler "sérieusement" l'eSport ?
Les nouvelles générations sont très conscientes du marketing. Les gamers sont exigeants. Quand vous voulez communiquer autour d'une de leur passion, il faut bien maîtriser les codes et montrer que vous n'êtes pas opportunistes car ils vont décoder chacune de vos actions. Seules les marques qui ont un vrai propos et qui apportent quelque chose à la communauté sont adoubées. Par exemple, nous avons mis en place avec Adidas, notre équipementier depuis cinq ans, un programme de détection pour les jeunes gamers qui ont les capacités de transformer leur passion en véritable métier. Ils ont formé une équipe nommée Yellow Stripes, qui évolue dans les ligues inférieures et nous les accompagnons comme de vrais professionnels. Adidas offre des actions sérieuses et utiles qui sont appréciées.
D'un autre côté, les joueurs qui ne deviennent pas professionnels peuvent toujours faire une carrière de streamers... S'adresser aux amateurs, et plus largement s'emparer du gaming, est-ce une solution pour les marques qui cherchent à toucher les gamers sans pouvoir s'implanter dans la scène compétitive ?
Le gaming est transgénérationnel, et c'est un marché d'entertainment. Mais il faut avoir en tête que le coeur de cible, le public le plus engagé, est celui des 15-25 ans, qui suit l'eSport et qui répond à des codes très spécifiques. Chercher à être trop grand public, c'est prendre le risque de perdre en clarté et de ne pas être assez concret. Pour autant, il faut savoir jouer des liens entre eSport et entertainment. Je suis venu chez Team Vitality pour créer une marque forte. Cela passe par de bonnes performances sportives et des titres bien sûr, mais aussi par la capacité à créer une marque culturelle, qui accompagne au quotidien ses fans. Si vous êtes crédible, et que vous arrivez à développer une certaine transversalité, vous comprenez que le potentiel est infini. C'est en quelque sorte une pollinisation, et je ne dis pas ça car l'abeille est notre symbole ! Le marché américain répond particulièrement à ces modes de fonctionnement. C'est un gros marché d'entertainment, et il est très intéressant d'y travailler avec des streamers ou des médias sociaux. Avec ses 45 millions de spectateurs mensuels, Twitch est incontournable dans un mix.
Quels sont les enjeux de la marque Team Vitality pour 2022 ?
L'enjeu est de valoriser nos performances sportives et de construire une plateforme de marque claire et différenciante, tout en accélérant sur l'international. Nous avons le plus gros palmarès français, et nous sommes dans le Top3 en Europe et le Top10 dans le monde. Nous fêtons nos neuf ans cette année, et nous menons notamment des opérations en Inde pour développer notre base de fans dans le pays et en Asie. Nous fédérons 20 millions de fans dans le monde, au travers du club, de nos joueurs, de nos streamers et de nos médias... Au-delà de ce reach, c'est notre capacité à engager notre communauté que recherchent les marques avec qui nous travaillons, et qui n'ont bien souvent pas de personnes dédiées à l'eSport en interne. Le gaming et l'eSport sont des secteurs pionniers, à l'avant-garde de nombreuses pratiques et qui sont au contact des plus jeunes, qui sont les premiers à embrasser ces nouveautés. Nous étions parmi les premiers à nous emparer des réseaux sociaux pour engager nos fans, et aujourd'hui nous sommes les plus matures sur des plateformes comme Twitch, Reddit ou Discord, qui ne sont pas encore couramment utilisées par les marques, mais cela va venir !
C'est aussi le sens de votre partenariat avec la blockchain Tezos, qui est devenue votre sponsor maillot et vous aide à développer votre stratégie Web3 ?
C'est un de nos plus gros partenariats, et nous sommes particulièrement attentifs à la manière d'utiliser ces nouvelles technologies pour nous rapprocher de nos fans. Il y a un grand potentiel en matière de récompense de la fidélité. Je ne peux pas vous en dire plus : nous allons faire des annonces concrètes cet été, avant un déploiement au second semestre 2022. Mais encore une fois, cela va alimenter l'ADN pionnier de Team Vitality.
Allez-vous annoncer votre entrée sur un environnement immersif du type "métavers" ?
Le métavers offre un potentiel intéressant en matière de création d'expériences de gaming. Des éditeurs comme Epic Games propriétaire de Fortnite a déjà annoncé et engagé sa mutation en metavers. Depuis 2000, les jeux massivement multijoueurs ont pavé le terrain des metavers. La technologie qui devient aujourd'hui plus puissante et la capacité de mobiliser des investissements plus forts, vont clairement permettre une expansion plus puissante vers ce modèle. Les défis restent importants, à l'exemple de la problématique de l'équipement. Mais le potentiel n'a jamais été aussi fort et aussi proche et constituera surement une occasion de renforcer l'expérience de nos fans.
Mini-bio de Nicolas Favre
Après un début de carrière comme chef de produit chez Nestlé et Valéo, Nicolas Favre entre sur ce même poste chez Adidas en 1998. Il progresse dans l'organigramme de l'équipementier sportif jusqu'à devenir en 2017 Directeur Général pour la France. Nicolas Favre a été confronté à l'eSport dès 2016, quand l'équipementier est devenu le fournisseur officiel de Team Vitality, équipe française référente sur la scène internationale, qu'il a rejoint en tant que CMO à l'été 2021.