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[Naming] Au nom de la marque

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GDF-Suez devient Engie, Bongrain est rebaptisé Savencia, pour l'UMP ce sera Les Républicains ... L'occasion nous est donnée de faire le point sur un métier qui a l'obligation d'évoluer.

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Pourquoi la création de nom fascine-t-elle ?

Parce que l'acte de donner un nom est chargé d'émotions. Nous avons tous réfléchi aux prénoms de nos enfants et commis l'erreur de partager nos premières réflexions avec notre famille ou nos amis. Les réactions sont parfois déroutantes, comme l'a montré avec humour le film "le prénom".

Les noms de certaines personnalités semblent avoir été pensés pour faciliter leur carrière. Charles De Gaulle n'est-il pas un nom extraordinaire pour présider aux destinées de la France ? Et que penser du premier gouvernement de François Mitterrand ? C'est comme si ses ministres avaient été choisis en fonction de leurs patronymes (à moins qu'il s'agisse d'humour involontaire) tant ils évoquaient le ministère dont ils avaient la charge: Defferre à l'intérieur, Delors aux finances, Cresson à l'agriculture, Lang à la culture, Lalumière à la consommation, Le Pensec à la mer...

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Avoir un nom mémorable et pertinent, tel est l'enjeu.

Beaucoup de personnalités, de Mère Theresa (de son vrai nom Anjezë Gonxhe Bojaxhiu) à Stromae (né Paul Van Haver) sont passées par là, jusqu'au chanteur Marylin Manson qui avait composé son nom de scène, selon son propre aveu, en se référant à des icones (claires ou obscures) de notre temps: Marylin Monroe et Charles Manson. Richard Melville Hall avait choisi le pseudonyme de Moby en référence à son ancêtre, l'auteur de Moby Dick. Un gage de crédibilité pour raconter une histoire.

Qui sont les vrais créateurs de noms ? Ce ne sont ni des sémiologues (prisonniers de leurs grilles d'analyse), ni des linguistes (qui n'osent pas jouer avec les mots de peur de les dénaturer) et encore moins les publicitaires que la recherche de l'immédiatement spectaculaire conduit à des créations anecdotiques. Les vrais créateurs de noms sont des oiseaux rares, des amoureux de la langue, des champions de Scrabble et de mots-croisés (et oui...), des poètes méthodiques doués de ce sixième sens qui leur permet de comprendre en quoi un mot est éligible pour se transformer en une marque.

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Marcel Botton est le fondateur de l'agence Nomen, spécialisée dans le naming. En quoi consiste son métier ?

Le créateur de nom est un chercheur d'or en perpétuelle quête de " pépite ".

Encore faut-il être capable de reconnaître cette "pépite". Savoir repérer un bon nom, c'est un talent, un subtil alliage d'intuition et d'expérience. Il faut croire à la puissance intrinsèque de certains mots, à ce qu'ils révèlent quand on les dissèque : la richesse de leurs sonorités, la puissance de leurs évocations, la diversité des images qu'ils véhiculent. Personne n'a créé Évian, certes, mais il est facile de démontrer - sans tomber dans les excès de la post-rationalisation - que tout prédestinait ce nom à baptiser l'eau des bébés, la source de jeunesse. Dans Évian, il y a Ève, vie, an. Ses anagrammes: veina, naïve et même nivea ("couleur de la neige" en latin avant d'être une marque de cosmétiques bien connue). Tout, dans ce nom, ramène à l'eau et à l'enfance. Même fulgurance chez Légo qui outre son sens danois (Legt Godt, je joue), signifie "je relie" dans beaucoup de langues latines et se rapproche de "legen" (disposer) en allemand.

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Comment trouve-t-on un nom de marque original ?

À l'heure où toutes les informations sont accessibles à tous en un temps record, le nom de marque se trouve rarement sur la toile, devenue un vaste champ labouré par tous. Les bons noms se trouvent dans les livres, dans les dictionnaires et celui qui ne croit pas à la sérendipité a peu de chances d'aboutir. Il n'y a pas de secret : il faut fouiller, filtrer et chercher encore. Cela s'appelle la persévérance. Tous les créateurs sont passés par là. Mozart travaillait la nuit. Bob Marley s'est enfermé dans un studio pendant un an pour écouter sans relâche d'autres musiques avant d'en composer lui-même. Pourquoi ce discours ? Parce qu'il est temps que les équipes de création de noms se renouvellent et abandonnent leur routine. Monopolisée par quelques agences historiques, l'offre française de création de noms s'appauvrit.

"Oo", "is", "cia"...Les modes de nom de marque se succèdent.

Les modes de noms qui nous accablent en disent long: il y eut les noms en "oo" (Wanadoo, Kelkoo, Ooshop), puis les noms en "is" (Aventis, Itineris, Altadis, Novartis), les noms en "cia" (intescia, vivescia) et depuis quelques temps, c'est le triomphe du "q". Sans parler de l'abus du latin dont il faut savoir s'éloigner au profit d'autres langues rares ou étrangères. Comment se renouveler? L'avenir appartient aux agences de branding. La création d'une marque est une chose trop sérieuse pour être confiée à des agences de création de noms dont c'est l'unique expertise. Car une marque se compose d'un ensemble de signes. Il faut accepter que le contenant (la forme) soit aussi important que le contenu (le fond). Dès lors, celui qui crée le nom doit être sensible au graphisme. Le bon nom est l'alliance parfaite du mot (ses sens, ses évocations), des sonorités et du potentiel graphique.

Sans oublier le "story-telling", car un bon nom est souvent le début d'une histoire, la promesse d'un concept. Là encore, qui mieux qu'une agence de branding peut déceler ce potentiel et l'exploiter jusqu'au déploiement de la marque sur ses marchés?

La création de noms, ludique et divertissante sur le papier, peut s'avérer longue et fastidieuse. Ce n'est pas qu'une affaire de création, semble-t-il. Analysons les principaux obstacles qui se dressent sur la route des entreprises et des agences qui les conseillent.

Ne pas céder à la peur du juridique

Il fait figure d'épouvantail. Il est vrai que certaines classes de produits (classe 3 pour les parfums ou classe 5 pour les produits pharmaceutiques) sont cauchemardesques. Il est devenu presqu'impossible de trouver un nom disponible, aussi beau et intelligent soit-il. Le juriste ou le cabinet juridique avec lequel travaille le client doit assister à toutes les réunions de présentation. C'est sur la base des échanges constructifs entre le juriste et le créateur de nom que des solutions satisfaisantes pourront être trouvées. Il faut que le juriste soit ouvert d'esprit, audacieux dans ses recommandations (envisager une enquête d'usage ou une négociation par exemple) et impartial (il ne peut pas appartenir à l'agence conseil, car on ne peut être juge et partie).

La maîtrise de l'internationalité : un vrai défi

Il est rare qu'un nom franchisse les frontières sans dommages. Un nom, unanimement salué en Europe, peut s'avérer désastreux au Japon ou au Moyen-Orient. Le mandarin, parce qu'une même écriture peut générer plusieurs sens en fonction de sa prononciation, est souvent problématique. Plus proche de nous, le basque et le finnois peuvent aussi réserver de mauvaises surprises. Ce n'est pas qu'une question linguistique, c'est aussi une question socio-culturelle. Sega, en jouant sur l'accent, s'est dissocié de sa signification italienne: un plaisir masculin solitaire. Mitsubishi, en revanche, a fini par retirer l'appellation MR2 du marché.

La maîtrise de l'internationalité : un vrai défi

Il est fondamental de disposer d'un réseau de correspondants dans le monde entier pour vérifier que les noms n'ont pas de connotations négatives. Sans le savoir, on peut tomber sur le nom d'un criminel, d'une vedette déchue ou d'un scandale. Il faut beaucoup d'aplomb et de moyens financiers pour passer outre les évocations gênantes. Nike, avec le temps, fait oublier que son nom signifie copuler en français ou en arabe.

Comment tester un nom ?

Le test de noms, surtout s'il est qualitatif, ne peut se substituer à l'inspiration du créateur et à la vision du décideur. Le test de nom n'est pas un couperet, c'est, dans le meilleur des cas, un outil qui permet de détecter les faiblesses d'un nom que le design de marque pourra ensuite compenser ou corriger. Une raison de plus pour confier la recherche de noms aux agences de branding. On rapporte que des noms célèbres tels que Twingo de Renault ou Amen de Thierry Mugler avaient été maltraités par les tests.

Comment tester un nom : le cas Mugler

Quand Mugler apprit que le résultat des tests n'était pas favorable, son premier réflexe ne fut pas d'abandonner le nom mais de comprendre pourquoi il avait pu susciter autant de réactions (positives ou négatives). La liste des griefs contre Amen le conforta dans l'idée que le nom était spécial et qu'il ne laisserait personne indifférent. Les chiffres des ventes du célèbre parfum lui donnèrent raison. Le test est un indicateur de pertinence et non un outil de sanction au caractère pseudo-scientifique. Il y a une raison fondamentale à cela : exposés à la nouveauté, la plupart des consommateurs interrogés se montrent réfractaires. Les tests doivent aider à comprendre ce qui les empêche d'adhérer.

Aider le décideur final

Disons-le franchement. Quel conseil d'administration aujourd'hui donnerait le nom d'une fille espagnole à la marque de voiture la plus prestigieuse du monde ? Qui mettrait 150,000 euros dans une Dolores ou une Conchita ? Personne. Pourtant Mercedes, à l'origine, n'est rien d'autre qu'un nom de fille espagnole. Qui, à part son illustre créateur, aurait pu donner le nom d'un fruit du verger à sa marque d'ordinateurs ? C'est le problème numéro que les créateurs de noms rencontrent lorsqu'ils présentent leurs propositions : aider les décideurs à se projeter.

Il est illusoire de croire qu'un nom présenté seul sur une page de Powerpoint sera plébiscité. Il faut qu'il soit mis en contexte, par une première tentative de typographie, en l'insérant sur une façade ou sur une calandre, ou pourquoi pas en l'enregistrant dans un message d'accueil. Les solutions ne manquent pas et là encore, l'agence de design est la mieux placée pour transformer le mot en marque. Car le coup de foudre n'existe pas en naming.

Galbani: les dirigeants passent, le nom reste

Les grandes marques changent rarement de noms. De Chanel à Mercedes en passant par Nestlé ou Coca-Cola, le nom est une des composantes les plus pérennes de la marque. Le logotype de la marque de mozzarella Galbani a changé au gré des prénoms de ses propriétaires, de génération en génération (Robiole, Davide, Egidio) mais le nom de marque, lui, est resté. Une façon de rappeler combien le nom est important et pourquoi il est fondamental de l'envisager comme le porteur d'une promesse qui s'incarne à travers d'autres signes (visuels, sonores, olfactifs). Le créateur de noms 2.0 comprend et maîtrise ces autres signes. Il paraît donc naturel qu'il soit issu des agences de design et de branding.

Shakespeare ou Joyce ?

Il y a deux écoles dans la création de noms. La première est l'école Shakespearienne qui s'appuie sur la célèbre phrase issue de la tragédie Roméo et Juliette : " Qu'y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons rose, par n'importe quel autre nom sentirait aussi bon ". Autrement dit, le nom en lui même n'est pas grand chose, juste un réceptacle qui se chargera de sens avec le temps. Henry Ward Beecher l'avait exprimé comme suit : " words are pegs to hang ideas on ".

La deuxième école, dite de Joyce, estime que les choses doivent être nommées de la façon la plus descriptive possible. Des marques comme Kiloutou ou Seloger.com rentreraient aisément dans cette catégorie.

La vérité appartient sans doute à Joyspeare ! Les Shakespeariens se trompent quand ils pensent qu'un mot, avec ses lettres et ses sonorités, n'est qu'une coquille vide. Quand aux adeptes de Joyce, leur philosophie de création de noms est incompatible avec les contraintes juridiques. Le salut viendra des noms construits sur des racines lexicales identifiables mais suffisamment originaux pour sortir du lot.

L'auteur: Olivier Auroy, de l'agence CBA

Olivier Auroy est Directeur Général Corporate de l'agence CBA. Il crée des noms de marques depuis plus de vingt ans.

Olivier Auroy, DG Corporate de CBA

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