DossierSpécial Data : le nouvel or du marketing ?
Dans une entreprise, avoir une vision cohérente et unifiée de l'emploi des données implique systématiquement une remise en cause de fondamentaux devenus obsolètes. Mais comment faire, et par où commencer ?
![Spécial Data : le nouvel or du marketing ?](https://www.e-marketing.fr/Assets/Img/DOSSIER/2015/3/251752/big-data-marketing-entreprises-professionnels-L.jpg)
Sommaire
- Reprendre la main sur les données : quels enjeux pour les professionnels ?
- [Interview] L'aspect légal avec Gérard Haas, avocat
- Mettre à jour les données... et l'organisation interne !
- [Interview] Les bonnes pratiques avec Christophe Cousin, président de l'agence marketing Camp de bases
- Comment valoriser ses données ?
- Et maintenant ?
1 Reprendre la main sur les données : quels enjeux pour les professionnels ?
Dans une étude mondiale d'Accenture datant de 2012 et portant sur le comportement des consommateurs, "un client sur cinq avait changé de fournisseur cette même année, parce qu'il était déçu d'un service ou que le fournisseur ne répondait pas à l'expérience promise". Dans cette même étude, "63 % des consommateurs se disaient extrêmement frustrés lorsque la réalité du service client ne correspondait pas à l'expérience promise". Et ne croyez pas que depuis deux ans, les choses se soient radicalement améliorées.
"56% des entreprises considèrent comme critique l'exploration des données pour améliorer leur prise de décision"
Quels sont les problèmes que rencontrent les entreprises avec leurs données ?
Dans un Livre Blanc publié plus récemment par Experian Marketing Services et intitulé "Qualité des données en 2014 : tendances et best practices pour réussir sa stratégie", il ressort qu'en moyenne, "les entreprises françaises estiment que 19 % de leurs données sont erronées". Seulement ? Les erreurs surviendraient, nous dit-on, faute d'une stratégie de gestion de la qualité des données cohérente et centralisée. Qualité, mon oeil ! Car cette même étude relève que "66 % des entreprises n'ont aucune approche centralisée en place". Là, on est déjà plus d'accord. Car, à l'heure des stratégies multicanal, cette histoire de client unique n'est pas un détail. Ce qui apparaît rassurant, c'est que, selon une autre étude, émanant de Forrester, "56% des entreprises considèrent comme critique l'exploration des données pour améliorer leur prise de décision". Voilà qui devrait mettre tout le monde d'accord.
Hélène Gombaud-Saintonge, la directrice générale de Fullsix Data, préfère mettre les pieds dans le plat et pointer ce qui, pour elle, est une évidence : " le consommateur n'ayant pas de silo dans son comportement, il ne fait pas la différence entre l'équipe CRM, l'équipe médias et l'équipe digitale. Les marques sont obligées d'avoir une vision cohérente de tous les modes de communication. Aujourd'hui, ce n'est plus un débat. Il faut arriver à travailler de manière cohérente sur tous ces leviers. "
Comment savoir si vos données sont bien utilisées ?
Pour lever le doute, mettez-vous autour de la table avec l'ensemble des différents responsables de vos activités. Et prenez comme leader de cette réunion votre DSI. Combien d'entre vous disposent d'une partie de la connaissance client ? Sur quels systèmes vos informations sont-elles stockées ? N'oubliez pas, au passage, vos innombrables feuilles Excel, vos bases de données bricolées ici et là, les prestataires qui opèrent pour vous, sur des actions régulières ou ponctuelles, vos campagnes marketing. Et comptez-les. Effarant, non ?
Rassurez-vous, il paraît que c'est normal. N'oubliez pas la donnée anonyme, la donnée sociale, la donnée en provenance de votre call center... Bref, une fois cet inventaire à la Prévert fait, vous voici fin prêt pour entrer au coeur de notre sujet. Mais, c'est là que cela devient embarrassant ! Car maintenant, je reprends ma question initiale : avez-vous le sentiment d'avoir cette fameuse vision globale, cohérente et donc unifiée de vos clients ? Et après ça, vous allez nous dire que pour vous, le client est une préoccupation ?
La bonne nouvelle, c'est que vos données existent. Mais n'allez pas croire qu'un "marchand du temple" va, d'un coup d'un seul, vous sauver. Ce qui compte le plus, c'est la richesse de votre existant. Donc, premier élément à retenir, vous n'allez pas être obligé de casser ce que vous avez mis en place.
Vos données sont des éléments associés à des datas client et à des informations métiers. Ce qu'il vous faudra unifier, ce sont les troncs communs de cette data, pour que tous y aient accès, et ajouter tous les éléments liés au parcours physique et digital de vos clients. Ce principe signifie que ce que vous devez rendre commun doit être utile et que les données métiers ne doivent pas venir noyer ce travail. Mais avant de vous voir infliger une ordonnance pour vous prescrire ce référentiel client unique, la première opération va consister à vous essayer à un "POC", ou "proof of concept". Autrement dit, apporter la preuve business que cette nouvelle manière d'agir sur les datas sera bénéfique pour votre business.
L'EXPERT: Julia Touzin, strategic consultant de Teradata.
Chez Teradata comme ailleurs, " les marques veulent reprendre la main sur leurs données ". L'enjeu est aujourd'hui manifeste car " quand on confie ses données, on n'a pas la main pour tester des choses, ou très peu ". Julia Touzin aime les cas clients que son entreprise a récemment pilotés, comme celui de Netflix, dont " l'algorithme a été créé grâce au décloisonnement de la donnée ". Toutefois, notre interlocutrice constate qu'en général, on " ne passe pas aisément de la donnée gérée en silos à de la donnée unifiée ". Mais ce n'est pas le seul problème. Il y a aussi un souci avec l'approche technique : " pour un marketeur, c'est l'interface qui va compter, tandis que pour un DSI, c'est la technique, le support. "
Teradata propose une solution pour tenter de mettre tout le monde d'accord. Sa méthode est classique mais efficace : " Nous faisons beaucoup de POC (proofs of concept), car les sujets sont lourds et il va falloir démontrer la valeur business des opérations que nous menons. " Et cette approche, très pragmatique, " permet de faire gagner des parts de marché à nos clients, de leur simplifier la vie et de les impliquer dans la démarche pour les emmener plus loin ". Avec toutefois une mise en garde : " souvent, on se casse les dents dans les choix d'investissement. Avec parfois des besoins de montée de version. Revenir sur un investissement déjà réalisé, c'est compliqué. " Nous voilà prévenus ! Investir est donc la règle. Mais n'oublions pas non plus d'innover, car " souvent, les vielles recettes ne font plus recette. "
Pourquoi la maitrise des données, dans un marché concurrentiel, est-elle un enjeu crucial pour les entreprises ?
2 [Interview] L'aspect légal avec Gérard Haas, avocat
Gérard Haas, avocat au cabinet Gérard Haas et associés.
Juridiquement, comment aborder l'enjeu de cette donnée qui va être amenée à dialoguer avec d'autres données ?
Le parcours client et le parcours achat sont deux grands enjeux pour le directeur marketing. Avant, celui qui était responsable du déstockage, c'était le DSI. Qui dit maillage, dit dialogue entre plusieurs fichiers. Et cela pose un véritable problème avec la loi Informatique et libertés. Le principe, c'est que l'interconnexion de fichiers n'est possible que si elle a été autorisée. Et donc, nous dépassons le simple cadre de la déclaration. Le fait de vouloir rapatrier l'ensemble des informations sur le client, si cela n'a pas été fait dans la même entreprise, cela va poser de vrais problèmes. Sauf si cela a été autorisé.
Lire aussi : Régies digitales : Comment trouver le bon mix ?
Pourtant, les mécanismes sont là pour nous permettre de rapatrier des données assez simplement. Comment favoriser cet échange de datas ?
La question elle est de savoir où sont basés les serveurs. S'ils sont en France ou en Europe, on a une protection pour les personnes dont on va utiliser les données. Si elles sont basées hors Europe, la loi Informatique et libertés ne s'applique pas. Mais le transfert de ces données vers ces serveurs doit faire l'objet d'une convention normée auprès de la Cnil. Soit on est avec une entreprise qui est située en Europe et qui utilise les techniques et les lois européennes, soit l'entreprise s'expatrie hors Europe et fait ce qu'elle veut.
Est-ce une position réellement tenable ?
Absolument pas. Le client, aujourd'hui, veut arriver à monétiser ses données. Il exige donc des garanties. On peut contourner le droit, mais si on le contourne, on ne sera plus dans la confiance et dans cette relation fragile qui est recherchée entre les marques et ses clients : une relation d'engagement.
A LIRE AUSSI:
Interview - Serge Hauser : "L'intelligence issue du Big Data va bouleverser les marques"
Gérard Haas, avocat au cabinet Gérard Haas & associés, fait un point sur la situation juridique et la modification de la relation client.
3 Mettre à jour les données... et l'organisation interne !
Au cours de notre enquête, tous les acteurs interrogés ont fait montre de deux grandes qualités : le pragmatisme et l'écoute. Pour Christophe Cousin, fondateur et chef d'orchestre de la société Camp de Bases : " On ne va pas réinventer la roue, on va tout de suite créer de la valeur. " Même message avec la directrice générale de Fullsix Data, Hélène Gombaud-Saintonge, laquelle confirme également que les premières opérations consistent à travailler sur ces fameux POC. Car pour elle, " il n'est ni possible ni souhaitable d'arriver directement à une DMP [data management platform] sans passer par cette phase préalable, avec des démonstrations de l'impact additionnel sur le business. Impact que l'on élargit au fur et à mesure. " Pour Hélène Gombaud-Saintonge, " aujourd'hui, on en arrive à des logiques où il n'y a pas de projets sans démonstration à court terme ". Et d'ajouter : " la prudence est liée à la période dans laquelle nous sommes. Mais pas seulement. Pour pouvoir faire changer les choses en interne, il faut des démonstrations. Le terrain a besoin de démonstrations, de résultats, pour pouvoir adhérer. "
Mutualiser les données sans dénaturer les métiers
Ce besoin d'adhésion se retrouve dans l'approche qui est mise en place du côté de la quincaillerie informatique. Christophe Cousin est ici très clair : " La clé, c'est de mettre en cohérence les besoins du métier et les capacités techniques. On va paramétrer dans une optique de métier. On va mettre en place des solutions pour les besoins du marketing. " Exit, donc, la vision purement étriquée des DSI tout-puissants, qui ont imposé des outils sans penser aux métiers et encore moins à la valeur business.
Dans ces POC, comme la vision est de plus en plus centrée sur le client, l est impossible de sortir de son chapeau la moindre solution sans être à l'écoute aussi bien des cas clients proposés que des spécificités métiers. C'est même une question de crédibilité. Pour preuve, quand nous avons également demandé de quels exemples nos interlocuteurs étaient le plus fiers, ils tous avaient en tête des cas précis. Ainsi, chez Experian Marketing Services, Stéphane Martis a indiqué avoir travaillé avec l'Atelier des Chefs (www.atelierdeschefs.fr) et l'avoir " équipé d'un outil de communication cross canal pour comprendre les profils de clients intéressés par tel ou tel type de cours ". L'intérêt ? Analyser l'engagement des conversations e-mails. Et Stéphane Martis d'indiquer : " cette démarche-là, on l'applique pas à pas. Le client évolue à un rythme raisonnable, fondé sur des analyses et des recommandations. Ce qui est essentiel, c'est l'application de la stratégie. "
L'aide d'un expert: plus que judicieux
Voilà l'autre avantage d'être accompagné lors de ces fameuses "preuves business". Chez Coheris, Luc Baltzli, le responsable du pôle consulting data et customer intelligence renchérit : " face à ces besoins de preuves, il faut avoir une méthodologie souple, avec une bonne dose de formalisme, pour capitaliser la connaissance client. " En effet, pour lui, il " faut aussi transformer l'entreprise ". Comment ne pas oublier que " la connaissance client doit être verticale et transversale ? " Toutefois comme cette reprise en main de la donnée doit,à un moment ou à un autre, pallier un manque certain de compétences, Luc Baltzli propose " d'acquérir de l'expertise métier ". Comment ? Tout simplement en se faisant accompagner par des profils très spécifiques, adaptés à la connaissance du secteur. Et Luc Baltzli d'insister sur un point : " la compréhension du business model et la réglementation des données nécessitent d'être compétent sur chacun des secteurs. "
L'EXPERT: Stéphane Martis, directeur des études d'Experian Marketing Services.
Pour Stéphane Martis, le problème lié à la mise en place d'un DMP est simple. Il faut simplement " éviter que le client soit deux consommateurs, l'un on line, l'autre off line ". Pour parvenir à mettre en place un tel outil, il " faut commencer avec des objectifs raisonnables, sinon on tombe dans le phénomène big data ". L'idée serait, par exemple, de " passer à une communication ciblée et d'en mesurer les effets ". Mais rien n'est possible sans accompagnement, car " vendre des promesses sans accompagner les organisations marketing n'est plus admissible. Si je donne un avion de chasse à quelqu'un qui ne sait pas piloter, c'est contre-productif, car lui n'est pas pilote de chasse. " Et de préciser : " Le schéma d'accompagnement évolutif est fondé sur un calendrier qui doit impliquer nos clients. " Avec une ambition simple : " Aider à retrouver une vision à 360 degrés. "
A LIRE AUSSI:
Dossier: Perspectives et évolutions du data marketing
Salon Big Data Paris 2015: les conférences à ne pas manquer.
Pour bien utiliser les données, la première étape consiste identifier les plus pertinentes, et adapter efficacement l'organisation interne.
4 [Interview] Les bonnes pratiques avec Christophe Cousin, président de l'agence marketing Camp de bases
Christophe Cousin, président de Camp de Bases.
Quel est le constat que vous faites au quotidien ?
Plus on parle de relation client, moins le client est au centre. Des gens qui vendent des projets à plusieurs millions d'euros sur deux à trois ans, cela ne marche pas. Avancer de manière agile sur des cycles rapides est plus pertinent.
Comment se faire entendre des directions marketing ?
Nous essayons de dédramatiser. Les organismes ne se sont jamais occupés de leurs données. Maintenant, ils s'en préoccupent soudainement, mais ne vont pas gérer d'un claquement de doigts un sujet qui traîne depuis 15 ans. Toutefois, c'est non seulement d'actualité, mais c'est également urgent. Souvent, les divisions marketing et CRM savent ce qu'elles veulent faire de leurs données. Le problème, c'est que passé ce voeu pieux, elles sont loin de mettre en oeuvre les meilleures pratiques, aussi élémentaires soient-elles. Elles ne savent pas dans quel ordre aborder le sujet.
À quoi est-ce lié ?
C'est assez rare que le marketing travaille sur un sujet aussi transversal que la base de données. Faire marcher ces organisations en silos sur des projets transverses est très compliqué. Le vrai sujet est là. Nous arrivons dans des situations de conflit. Dans l'histoire de l'entreprise, c'est assez récent.
Comment faire parler l'entreprise d'une seule voix ?
On essaye de faire partager une vision commune en essayant d'être pédagogues. Il faut faire converger tous les professionnels dans la manière dont ils parlent ensemble. Il faut cesser le jargon. C'est pour cela qu'il y a les DMP. Il faut cesser d'être enfumé.
Comment éclairer sur ce qu'est une DMP ?
L'idée, c'est juste de mieux connaître ses clients pour pousser des actions de marketing relationnel, afin qu'elles soient plus efficaces. Pour faire simple : identifier et mieux segmenter ses clients pour que les campagnes multicanal soient plus efficaces.
Quelle est la clé de la réussite ?
Il faut être assez rapide. L'objectif est d'avoir une connaissance plus profonde pour faire du marketing prédictif. Mais avant, il faut connaître les best practices. Il y a des données existantes. Il faut progressivement simplifier. Notre atout, c'est de nous positionner en "hub". La grande complexité est d'offrir une vue unique du client conforme aux métiers. La première étape d'un hub est de définir les enjeux business. Il convient de rentrer dans les systèmes pour sélectionner les données. Mais sans rien casser. Du coup quelle que soit l'origine des données, nous allons laisser les systèmes en place. C'est ce référentiel unique qui va faire le lien. Il faut essayer d'être pérenne. Il y a un véritable enjeu. Il est nécessaire de trouver un équilibre. Et de poser les bonnes questions. Que sont les données ? Quelles sont les règles ? Les agrégats ? Les scores ?
Expert en stratégie marketing et data, Christophe Cousin explique comment il accompagne les entreprises dans la Big Data.
5 Comment valoriser ses données ?
Passée cette étape de POC, le plus dur est à venir. Mais pour aller plus avant, il faut essayer de comprendre le bénéfice que l'on peut retirer d'un référentiel unique. Premier avantage : il permet de reprendre la main sur les données. De fait, il ne s'agit pas seulement d'être propriétaire de sa data, il faut en être le maître d'oeuvre. Il n'y a pas de stratégie multicanal sans une vision unique de ses clients. C'est avec cette connaissance client unifiée que vous allez pouvoir converser avec d'autres entreprises. L'exemple le plus parlant est le travail actuellement effectué par l'ensemble des plus grands groupes médias, à l'image du groupe Figaro ou de CCM Benchmark.
L'union fait la force
"Il n'y a pas de stratégie multicanal sans une vision unique de ses clients"
Le premier dispose d'une base de connaissance portant sur 30 millions de Français, le second, sur 20 millions. À l'image du projet "R-Target", une solution de real time e-mailing adoptée chez CCM Benchmark, Pierre Coquard, en charge de la data et du marketing, nous expose plusieurs cas clients assez exemplaires. Le premier porte sur une opération de BMW. La marque cherche à cibler les intentionnistes internautes masculins CSP +. Le second cas concerne Eni, laquelle se focalise sur les internautes sur le point de déménager ou de devenir propriétaires. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit de fournir une base de prospect prête à l'emploi à l'annonceur. Des données à disposition pour passer de leur DMP au vôtre. Ces possibilités offertes par les DMP via les échanges de données interentreprises sont créatrices de valeur aussi bien pour nos groupes médias que pour leurs annonceurs. Les data management platforms permettent de se passer des opérateurs tiers, comme Criteo ou Facebook. Bien entendu, cet échange de données n'est pas sans poser quelques soucis légaux, ce qu'explique maître Gérard Haas (cf interview). Et, comme le rappelle Pierre Coquard, notre spécialiste chez CCM Benchmark, même si les organisations ne sont pas encore totalement prêtes pour mener à bien de telles opérations, elles y sont extrêmement réceptives.
Stéphane Martis, d'Experian Marketing Services, fait un constat simple : " souvent, en cross canal ou au sein des enseignes, nous nous rendons compte que ce qui compte n'est pas seulement de connaître les clients. C'est aussi de voir le potentiel, les clients que l'on devrait avoir. L'important est de bien mesurer et de prendre de la hauteur par rapport à cette donnée pour augmenter la valeur de ces clients. " Et cette prise de hauteur a parfois des effets inattendus, comme la remise en cause de certains fondamentaux marketing : ainsi en va-t-il du classement RFM (récence, fréquence, montant) ou de sa variation RFD (récence, fréquence, durée), que l'on pensait définitivement acquis. Pour rappel, la répartition RFM sert à classer ses clients en fonction de leurs habitudes d'achat. Ce constat, rapporté par notre contact chez Coheris, Luc Baltzli, est partagé par Bérangère Lamboley, la directrice marketing, communication et digital du groupe Adeo, suite à la mise en place, l'été dernier, d'un référentiel client unique pour la marque Bricoman. L'entreprise n'en tire, depuis, que des effets bénéfiques pour son business.
L'EXPERT: Pierre Coquart, directeur data et marketing de CCM Benchmark.
La reprise en main de la data, c'est aussi le travail des groupes médias. Pour Pierre Coquart, directeur data et marketing de CCM Benchmark, l'objectif recherché est de " travailler la data autrement au sein de CCM Benchmark pour travailler des lignes de business ". La solution proposée, appelée R-Target, est classique pour une marque : elle permet de réaliser des ciblages comportementaux par e-mail. Mais elle est moins habituelle pour un groupe médias. Pierre Coquart reconnaît que " la donnée n'a de valeur que quand elle est contextualisée, quand on est capables d'assurer à l'annonceur que l'on est dans le bon contexte et sur le bon segment ". La vision est même audacieuse et doit, à terme, transmettre des données au CRM et aux DMP des clients de CCM Benchmark. Pierre Coquart reconnaît : " il y a un niveau de maturité qui n'est pas atteint. Nous en sommes au début. Nous avons voulu axer R-Target autour du marketing direct sur l'e-mail et le postal.Avec des acteurs positionnés sur la performance et le ROI. R-Target vise à envoyer un e-mail ou, si la personne ne l'ouvre pas, à envoyer un courrier. " Et de reconnaître que cette évolution est plus que souhaitable : " les annonceurs médias achètent du contextuel et les acteurs du marketing achètent de la data et de la qualification. Ce qui fait la rencontre des deux, c'est la data. "
Une fois les données sélectionnées et le cadre mis en place, il faut perpétuellement améliorer la qualité de ces données, et maximiser leur utilisation.
6 Et maintenant ?
Cette nouvelle manière d'appréhender les données remet en cause les sacro-saintes cibles socio-démographiques. Hélène Gombaud, de Fullsix Data, est même plus péremptoire : " les cibles sociodémographiques, c'est dépassé, on peut être CSP - et dépenser beaucoup pour des articles de mode. " Nous le voyons, progressivement, de nouvelles règles naissent grâce à l'observation et à l'analyse de la donnée. Ici, nous ne sommes pas dans le big data mais dans ce qui est peut-être appelé à tort le "prédictif". En effet, d'un point de vue sémantique, la donnée traitée permet de détecter des comportements prévisibles plutôt que des comportements liés à l'application de règles de probabilités. Ainsi, comme l'explique Julia Touzin, consultante stratégie CRM et digital messaging de Teradata : " on sait que quand une personne regarde en ligne les termes de son contrat, c'est qu'elle est proche de l'attrition. Du coup, on propose d'être proactif en fonction de son score d'influence. " Bref, une autre vision de ses clients, associée à ces fameux scores, permet de lire dans leurs pensées les plus évidentes !
D'ailleurs, à aucun moment nos interlocuteurs n'ont voulu évoquer une finalité associée à la big data. Nous n'irons pas jusqu'à reprendre à notre compte l'expression d'Ilan Benhaim, le cofondateur de Vente privee.com et directeur de l'innovation du site leader de l'e-commerce en France, pour qui " le big data, c'est du big blabla, pour le moment ". Mais cette notion de prédictif est, aux yeux de l'ensemble de nos experts, essentielle. Pour Hélène Gombaud-Saintonge, " le prédictif découle de l'information récupérable pour anticiper des comportements immédiats. Nous élargissons l'analyse des consommateurs à tout le marketing. Notre métier, c'est de transformer de la donnée brute en intelligence. L'information est telle que nous avons des résultats de modélisation de plus en plus impactants. " Et cet impact, ne nous trompons pas, a des répercussions immédiates sur le chiffre d'affaires.
La Data: moyen de conversation entre le client et la marque
Hélène Gombaud-Saintonge sait que la clé est de fidéliser de nouveau toute une partie de sa clientèle que l'on avait laissée sur le côté de la route. Pour Christophe Cousin, de Camp de Bases, si l'objectif est seulement de " mieux connaître ses clients, comme de pousser des actions de marketing relationnel plus efficaces ", il ne faut pas, pour autant, oublier les bonnes pratiques. Un cercle vertueux. Car " identifier et mieux segmenter ses clients pour que les campagnes multicanal soient plus efficaces ", représente, pour Christophe Cousin, un vaste terrain de jeux. Surtout que la marge de manoeuvre est liée à un fait que l'on sait chiffrer : " 15?% des budgets marketing sont gâchés pour des raisons de mauvaise gestion. "
L'ultime étape consiste à " ne plus avoir une stratégie transactionnelle mais conversationnelle ", comme le souligne Stéphane Martis, d'Experian Marketing Service. En effet, de cette conversation va naître la personnalisation. Personnalisation dans le choix du canal, pour ne pas découvrir trop tardivement qu'un client préfère recevoir un SMS plutôt que d'être contacté par un téléacteur. Personnalisation dans le message, où l'on démontre que l'on sait à qui on parle et de quoi on parle. Sinon, pour Stéphane Martis, la sanction est connue : " 50?% des Français utilisent leur téléphone mobile en magasin. C'est facile d'être séduit ailleurs, si je ne personnalise pas ma communication. " Mais pour y arriver, on en revient à la sacro-sainte réorganisation que nécessite, ici encore, la transformation digitale.
" Les marchés sont des conversations ; la communauté du dialogue est le marché. "
Luc Baltzli (voir encadré ci-dessous) affirme ainsi travailler pour un très grand laboratoire pharmaceutique : " il achète beaucoup de données. Les mêmes que ses concurrents. Toutefois, nous sommes dans un domaine où ce qui compte, c'est la prescription. Nous travaillons à réunifier les données. On définit des typologies, on segmente. On va enrichir les données avec les zones de chalandise. Après un gros travail d'accompagnement, on n'en arrive pas simplement à définir une cible. On en arrive à réorganiser la force de vente : un redécoupage sectoriel £qui tient compte de tout un ensemble d'éléments. Il y a tout une logique et une adhésion qu'il faut obtenir autour de ces projets. C'est un travail de proximité. " Car de la donnée découle, une fois encore, un besoin d'emmener toutes les équipes. Quand on vous dit de reprendre la main sur vos données, ce n'est pas pour rien !
L'EXPERT: Luc Baltzli responsable pôle consulting data et customer intelligence de Coheris.
Pour Coheris, " le challenge, c'est la connaissance client ". Mais pas seulement. Luc Baltzli nous met en garde : " il faut passer de la connaissance client à la connaissance client exploitable. " Pour notre interlocuteur, " comment exploiter des données de plus en plus abondantes ", quand on constate que " l'arrivée de la donnée vous oblige à la consommer vite, que les ressources manquent, que les compétences ne sont pas là ? " La clé, pour Coheris, c'est " le travail de sélection des données ". Et cette donnée doit être pilotée par " les métiers et par des objectifs métiers ". Et de rappeler à l'ordre tous ceux qui ne verraient pas là leur intérêt : " nous sommes sur des projets pilotés par le business. " Il faut donc " un ROI rapide ". Et pour y arriver, dès que les datas sont disponibles, Luc Baltzli propose de " réconcilier rapidement ces données ", tout en ayant en tête des objectifs précis. Quitte à remettre en cause des modèles que l'on croyait intangibles : " La méthode "récence fréquence montant" est aujourd'hui dépassée ". Et quoi de mieux que de le démontrer avec des cas clients qui font valeur d'exemple ? " Le marketing prédictif, c'est l'élément crucial de la connaissance client. " Et de se reposer sans cesse les bonnes questions : " qu'est-ce que la valeur d'un client ? Une valeur acquise ? Une valeur future ? "
La Data bouleverse les habitudes professionnelles, notamment dans la relation-client. Mais en vaut-elle la peine ?
Sur le même thème
Voir tous les articles Data