[Tribune] Un marketeur doit-il... craindre l'automatisation ?
Comme chaque mois, Hervé Kabla (agence Be Angels) s'interroge sur une évolution du marketing, et ses conséquences sur les marketeurs. Aujourd'hui, faut-il céder aux charmes des robots ?
Je m'abonneDe tout temps, l'être humain a cherché à se débarrasser des tâches les plus fastidieuses pour les faire réaliser par d'autres : l'esclave de l'antiquité, le serf du moyen-âge, étaient au service de maîtres tout puissants, qui disposaient d'un droit de vie et de mort et s'appropriaient le fruit de leur travail en toute impunité.
Les bienfaits du progrès
Le progrès aidant, de telles situations ou peu ou prou disparu de nos société modernes et démocratiques : l'égalité entre les êtres humains, de tout sexe, de toute religion et de toute compétence, oserait-on ajouter, assure une répartition plus ou moins équitable des charges et des rôles. Pourtant, les tâches fastidieuses n'ont pas disparu de notre quotidien. L'avènement d'une société de l'information en a d'ailleurs augmenté le nombre : qui n'est confronté, de nos jours, à des centaines de mail quotidiens, qu'on ne sait plus vraiment traiter de manière raisonnable ?
Heureusement, nombre d'individus plus ou moins audacieux, voire utopistes, ont imaginé une solution élégante à notre problème. L'automatisation des tâches les moins agréables, et leur réalisation par des outils et non par des humains, fait depuis plusieurs années l'objet de large champ de recherche. Automates, robots et algorithmes n'ont d'autre vocation que de nous permettre de procéder à ce transfert, et de jouir, le plus agréablement possible, du temps de loisir que nous accordera justement cette disparition des tâches les plus ingrates.
Le marketeur, comme tout être humain, est bien évidemment concerné par cette évolution.
Dans le business aussi
Entendons-nous bien : le périmètre des tâches qui incombent aux marketeurs de tout poil n'est pas aussi strictement défini et aussi rébarbatif que le champ d'action particulièrement limité de l'ouvrier sur une chaîne d'assemblage. La journée type d'un marketeur comporte encore aujourd'hui cette dose d'imprévu et de nouveauté qui enthousiaste les jeunes recrues et revitalise les experts les plus aguerris. Mais comme nous le remarquions précédemment, cet environnement idyllique comporte aussi son lot de tâches tout aussi ennuyeuses que répétitives. L'automatisation a du bon.
Elle a du bon, parce qu'elle nous permet justement de nous concentrer sur ce qui est à la fois le plus intéressant et probablement le plus utile, que ce soit pour notre entreprise ou le développement de notre carrière. L'automatisation, c'est avant tout l'opportunité d'accéder à des gains de productivité considérables, qui justifient pleinement l'investissement en outils, souvent informatisés, que sous-entend justement la mise en place de procédures automatiques.
C'est aussi la possibilité de traiter d'importants volumes de données, qu'un simple mortel ne peut envisager d'aborder en un temps raisonnable. Les exemples ne manquent, et demandez à votre principal fournisseur de solutions d'automatisation de vous en faire la démonstration, vous ne serez probablement pas déçus.
(Que du bonheur, vraiment?... Lire la suite page 2)
Que du bonheur ?
Une petite crainte cependant devrait poindre derrière ce constat idyllique. Il est en effet des secteurs, notamment industriels, au sein desquels l'automatisation est souvent accompagnée de reconfiguration des effectifs impliqués. Oh, ce n'est pas grand chose, trois fois rien : un robot multifonction capable d'assembler 300 portières à l'heure et de repeindre 2000 véhicules par jour peut bien remplacer une dizaine d'ouvriers sur une chaîne d'assemblage. Après tout, qui s'en plaindrait ? De telles tâches sont pénibles (c'est lourd une portière) voire nocives (pensez aux effluves des peintures industrielles), la robotisation permet justement de réduire les risques et la pénibilité.
Oui, mais au détriment de la masse salariale. Là où le robot passe, l'humain parfois trépasse ; de formation en reconversion, les ouvriers d'antan ont disparu de nos usines, au profit de profils plus spécialisés, dévolus à des tâches de supervision, mais notoirement moins nombreux.
L'irremplaçable bon sens...
Verra-t-on une telle transformation s'opérer dans le marketing ? L'automatisation de certaines tâches marketing aboutira-t-elle à la disparition progressive des marketeurs ? Des automates programmables, des algorithmes de rédaction automatique, des outils de " marketing automation " nous remplaceront-ils un jour ? Le HAL sournois et dominateur de 2001 Odyssée de l'espace a-t-il déjà commencé à sévir dans l'open-space ? On en frémit déjà.
En réalité, je doute que cela se produise de notre vivant. Les outils d'automatisation dont on parle sont tout, sauf intelligents : ils réalisent parfaitement des tâches répétitives, mais manquent cruellement de bon sens, de cette capacité de jugement qui distingue encore l'être humain de sa version robotisée, et fait du test de Turing [NDLR : test d'intelligence artificielle décrit par Alan Turing en 1950] le dernier rempart à une humanité déshumanisée.
Pourtant, ce qui aujourd'hui nous paraît improbable verra probablement le jour, dans quelques années. Tout comme nos ancêtres seraient surpris de voir un A380 prendre son envol, nous serions probablement stupéfaits devant les prodiges du marketing automatisé de demain.
Soyons prêts. Et restons vigilants.
Un marketeur doit-il apprendre à courir?
Un marketeur doit-il apprendre à programmer?
Un marketeur doit-il se mettre au Big Data?
Un marketeur doit-il apprendre à partager?
Un marketeur doit-il apprendre à diffuser des vidéos?
Un marketeur doit-il songer à relooker son site Web?
L'auteur : Hervé Kabla dirige Be Angels, agence digitale spécialiste des médias sociaux, et a co-fondé une association qui rassemble les professionnels des médias sociaux et du digital en entreprise. Il accompagne des entreprises B2B et B2C dans l'élaboration et la mise en oeuvre de leur stratégie marketing sur les médias sociaux. Il est également co-auteur de "La communication digitale expliquée à mon boss", paru aux Éditions Kawa.