[Tribune] Droit à l'oubli : que penser du rapport du Comité Consultatif de Google ?
Les experts consultés viennent de rendre leurs conclusions. Voici les éléments clés d'un rapport déjà polémique.
Je m'abonneLe "right to be forgotten tour", organisé par Google pour clarifier les contours du droit à l'oubli, a porté ses fruits. Vendredi dernier, le Comité Consultatif chargé d'interroger les experts de grandes villes d'Europe, a rendu ses conclusions.
Quels sont les éléments clés de ce rapport ? L'avis du Comité Consultatif permettra-t-il de faire évoluer l'application du droit à l'oubli ? Quel poids a eu l'avis des experts invités ? Voici l'avis de Reputation VIP et de son président, Bertrand Girin.
Le formulaire de demande de droit à l'oubli doit être indexé
Lors de la réunion du Comité Consultatif à Paris, le 25 octobre dernier, Bertrand Girin avait signalé un point essentiel de la mise en application du droit à l'oubli :
"Il faut démocratiser le droit à l'oubli. Il serait souhaitable que les moteurs de recherche rendent leurs formulaires facilement accessibles à tous, donc indexés. Pas de droit à l'oubli pour les formulaires de droit à l'oubli ". Le Comité Consultatif a choisi de mettre en avant cette demande toute simple, mais essentielle !
Google.com ne sera pas concerné par le déréférencement. Les experts du Comité Consultatif considèrent qu'en "l'état du droit et de la technologie", le déréférencement suffit sur les seules versions européennes.
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Si l'internaute peut passer par le site américain (Google.com) pour ses recherches, cela serait une pratique isolée (moins de 5 % des recherches européennes). Pour le Comité, désindexer toutes les versions de Google n'aurait donc qu'une répercussion minime.
Cette justification ne convainc pas vraiment Bertrand Girin : "Avec le droit à l'oubli, le risque n'est-il pas que cette pratique devienne beaucoup plus fréquente ? Si les internautes européens prennent l'habitude de passer par la version américaine de Google, l'intérêt du droit à l'oubli sera alors réduit à néant...
De plus, Forget.me nous a permis de sentir le besoin des Américains dans ce domaine. Nous avons reçu des dizaines de demandes provenant des USA, qui ne pouvaient pas, bien entendu, être traitées. Ouvrir le droit à l'oubli à d'autres pays est donc un réel sujet de société, qui reste encore à traiter..."
Le droit à l'oubli ne sera pas applicable aux personnes publiques
Le Comité Consultatif a choisi de donner un cadre à cette notion extrêmement subjective en définissant trois catégories de personnes selon leur rôle dans la vie publique :
- les individus possédant un rôle clairement défini dans la vie publique (hommes et femmes politiques, célébrités sportives...),
- les individus ayant un rôle plus spécifique et "moins discernable" dans la vie publique, comme certains fonctionnaires ;
- et les individus au rôle non discernable dans la vie publique.
Pour le Comité Consultatif, il faut favoriser le droit à l'information lorsque la demande concerne une personne appartenant à la première catégorie.
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Bertrand Girin pense que "c'est une excellente idée de définir des catégories, même si le traitement de ces cas complexes n'est pas une priorité. Il faut commencer à travailler sur les demandes simples et laisser le temps à la CNIL, au législateur et à la société civile de définir des guidelines pour les cas complexes".
Le critère de l'obsolescence toujours aussi subjectif
Un des critères cités par la décision du 13 mai 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne est l'obsolescence. Selon le Comité, il est impératif de savoir si l'information est encore d'intérêt public au moment de l'examen de la requête.
"Le travail n'est pas terminé, il est bien de rappeler l'importance de l'obsolescence, mais le problème de ces critères est plutôt leur caractère subjectif, il faut les clarifier. Aujourd'hui, les demandes de droit à l'oubli sont traitées au cas par cas, sans réelles guidelines. Si bien qu'une même URL pourra être traitée différemment selon qu'on envoie la demande à Google ou à Bing. Les moteurs de recherche devraient pouvoir travailler en s'appuyant sur des guidelines communes" complète Bertrand Girin.
Un rapport déjà polémique
Ce rapport intervient après la décision du 13 mai 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne, qui permet aux internautes d'appliquer un "droit à l'oubli", ou un droit au déréférencement. Si leur demande est acceptée, les pages sont toujours consultables en ligne, mais n'apparaissent plus dans les versions européennes de Google et Bing.
Devant le nombre de demandes de déréférencement reçu (plus de 200 000 demandes dans les pays européens depuis janvier 2015), la firme de Mountain View est allée chercher de l'aide. Après plusieurs scènes d'audition publique (Bertrand Girin avait pris part à celle de Paris), ce rapport prête déjà à polémique.
"Habilement mené", pour Sylvie Kauffmann, rédactrice en chef du journal Le Monde, il n'est pas du goût de Jimmy Wales, fondateur de Wikipedia et membre du comité Google. Selon lui, "l'ensemble des recommandations sont pleines de défauts, parce que la loi elle-même est remplie de défauts. Je m'oppose totalement à un système dans lequel une entreprise privée est érigée en arbitre de nos droits les plus fondamentaux, la liberté d'expression et le droit à la vie privée".
Projet de règlement européen et de loi numérique en vue
Ces solutions ne règlent pas tout et le problème du droit à l'oubli devrait revenir sur la table. Notamment, avec le projet de loi numérique d'Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique, prévu au trimestre prochain.
Il prévoit un droit de déréférencement sur les moteurs de recherche, "voire à l'effacement des données, qui s'appliquerait automatiquement aux mineurs, très friands de réseaux sociaux". "Nous souhaitons que cette économie et cette société de la donnée n'émergent pas au détriment de la protection de la vie privée. Il faut pour cela introduire de nouveaux droits pour les individus dans le monde numérique", a déclaré Axelle Lemaire mercredi 14 janvier 2015 devant les députés.