[Tribune] Fusion Publicis-Omnicom, un modèle du passé
La fusion Publicis-Omnicom me semble être la dernière phase d'un processus de concentration entamé avec les 30 glorieuses autour du complexe TV-Industriel de Seth Godin dans la Vache Pourpre. Un peu comme la fusion Alcatel-Lucent qui a, en son temps, accéléré le déclin de ces 2 groupes.
Pourquoi assiste-t-on a un processus de concentration entre agence de communication?
En théorie, la chaîne de valeur est composée d'acteurs complémentaires et indépendants, tous spécialistes, pour garantir les meilleurs services aux annonceurs.
Ainsi, en simplifiant :
- Un annonceur choisi une agence de "media strategy" qui saura l'accompagner dans ses choix: en général, cette agence est petite et agile, et elle est compétente dans le domaine d'activité de d'une des marque de l'annonceur
- Cette agence prodigue un conseil outillé par des données issues de sociétés d'enquête et de recherche, et en interagissant avec des sociétés de "media planning"; elle permet de réserver puis exploiter des espaces publicitaires adaptés
- Les agence d'achat d'espace ("media buying agencies") proposent les meilleurs espaces en fonction des cibles des media planner en négociant avec les détenteurs d'espace du marché les support les plus adaptés (tv, presse, radio, internet, outdoor, ...)
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- Les vendeurs d'espace, eux, tentent de faire valoir les caractéristiques des supports de communication qu'ils offrent pour attirer à eux un maximum d'investissement
- Les organismes de statistique collectent les données nécessaire à l'évaluation de l'efficacité des campagnes de communication organisées
L'industrie de la pub a compris très rapidement le phénomène et s'est organisée pour y répondre. Les structures d'achat d'espace ont été la pierre angulaire de la constitution des plus grands groupes au monde, et ont été l'objet d'opérations de concentration qui ont même distordu un temps les conditions de concurrence : il s'agissait alors de représenter la plus grande surface d'achat possible pour peser le plus lourd possible dans les négociations d'achats d'espace. Cette distorsion a même nécessité des ajustements réglementaires dans de nombreux pays. Ainsi, la chaîne de valeur est-elle désormais réduite au plus strict minimum avec l'émergence des WPP, Publicis et consors.
Ces concentrations ont permis à une véritable magie de s'opérer: ces mégas agences sont devenues capables de présenter des tarifs, incluant tous les services à valeur ajouté dont j'ai parlé, souvent inférieurs au tarifs des "espaces" communiqué par chacun des supports (groupe de chaine TV, radio presse...). Représentant des volumes énormes, ces agences bénéficient en effet de tarifs préférentiels qui leur ont permis de créer la valeur ultime: des gains tarifaires ! Ceci, évidement, en plus des services à valeur ajoutée que constituent la stratégie, la création, le planning, la collecte de statistique, etc.
Pourquoi ce processus de concentration est inadapté aujourd'hui?
Néanmoins, ce processus ne permet pas de s'adapter à la réalité des médias d'aujourd'hui qui se recomposent face au rejet de plus en plus accentué des consommateurs vis à vis de la publicité et à l'émergence du brand content.
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En effet, les annonceurs deviennent aujourd'hui leurs propres médias. Ils reprennent la main sur leur communication et ne sont plus tributaires des médias ou des agences. Les marques disposent désormais d'un espace de communication illimité sur le Web et les réseaux sociaux, à elles de l'occuper avant de se préoccuper des médias tiers.
Face à cette évolution, chaque maillon de la chaîne de valeur se réorganise, autant que faire se peut.
Les médias deviennent des agences : ils vendent de plus en plus d'opérations spéciales et de contenus sponsorisés réalisés pour et avec les marques : habillages dédiés, cahiers spéciaux, etc. La publicité sort du cadre où elle était cantonnée et vient s'insérer dans la partie éditoriale. Ce n'est plus de la publicité, mais ce n'est plus non plus de l'éditorial...
Les régies et les agences d'achat d'espaces, elles, s'y perdent, coincées entre les plates-formes d'enchères et les éditeurs, qui se mettent à faire leur métier et à vendre directement des opérations aux annonceurs.
Alors, de mon point de vue, les agences qui survivront seront celles qui sauront accompagner les annonceurs dans leur transformation en médias. Elles seront alors productrices déléguées ou éditrices déléguées pour le compte de l'annonceur. On ne parle d'ailleurs déjà plus de " campagne ", opération limitée dans le temps et le plus souvent " one-shot ", mais de grille de programmes, de calendrier de publication, de récurrence, de série.
Ainsi, si cette fusion entre Omnicom et Publicis peut encore renforcer ces 2 géants dans l'achat d'espace, elle ne prépare pas le futur...
Pour ma part, je crois que plutôt d'user la corde des modèles de concentration capitalistique, il est temps d'imaginer des nouvelles organisations plus souples où les talents peuvent s'exprimer et où ils ne sont pas étouffés dans des logiques de reporting intragroupe.
Il est temps d'imaginer des nouvelles agences, elles même marque média, capable de réunir les meilleurs experts dans leur métier, de leur donner les moyens de s'exprimer en les associant majoritairement et non plus minoritairement. C'est ce que nous essayons de faire à notre toute petite échelle au sein d'1min30.
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