Seniors de demain : la troisième jeunesse
Génération hors norme, inédite, dorée. A part, tout simplement. Les quinquas font couler beaucoup d'encre. Nés après-guerre, ces baby-boomers totalisent 20 % de la population et seront surtout les seniors de demain. Actifs, en pleine forme, uniques en leur genre.
Je m'abonneSommaire du dossier
Si les années 2000 ont vu apparaître une génération de quinquas inédite,
2020 sera la décennie des nouveaux seniors. “Cette génération des baby-boomers
est dans une position unique par rapport aux générations qui l'ont précédée et
probablement qui la suivront”, confirme l'Ined (Institut national d'études
démographiques). Il faut dire que ces rejetons des Trente Glorieuses ont donné
naissance à une génération inédite sur tous les plans. Nombreux (16 millions,
soit 20 % de la population française), bien portants, avides de loisirs et de
voyages, organisés, curieux, les seniors de demain seront le reflet des
quinquas qu'ils sont aujourd'hui. D'autant plus qu'il n'y a aucune raison pour
qu'ils changent leurs comportements dans les années à venir. “La génération
des Trente Glorieuses a été la génération la plus privilégiée, habituée à avoir
tout ce qu'elle voulait et toujours le meilleur. Elle estime qu'elle a des
droits”, soulignait en 2002 le Marketing Book Seniors de TNS Media Intelligence
(selon l'institut d'études, les baby-boomers sont ainsi la première génération
où les femmes ont travaillé volontairement, sans nécessité économique). “Elles
ont acquis ainsi un fort pouvoir au sein du couple.
Aujourd'hui, certains
spécialistes estiment qu'à 80 % ce sont elles qui choisissent les destinations
de voyage, qui gèrent tout ce qui touche les achats pour les enfants et
petits-enfants, et tous les biens qui concernent la santé, le bien-être et la
maison, bien sûr”, selon l'ouvrage. Pour Régine Lemoine-Darthois et Elisabeth
Weissman, co-auteurs chez Albin Michel de Un âge nommé désir, cette génération
a tout d'atypique : « C'est la génération “jouissez sans entrave”. N'oublions
pas qu'elle a connu mai 68, a inventé l'adolescence et le divorce. Elle va donc
gérer sa vieillesse pour pouvoir vivre comme des humains, non comme des
matricules. » Avant d'ajouter : « Il n'y a pas de raison pour qu'elle n'invente
pas une nouvelle jeunesse. »
Il faut dire que, si les baby-boomers semblent
conserver certaines valeurs et comportements de leurs aînés, ils ont grandi au
cours d'une période marquée par le développement de l'Etat providence.
Contrairement à la génération précédente qui a connu la guerre, ces enfants
gâtés ont bénéficié des bienfaits économiques des Trente Glorieuses. Ils ont
connu le plein emploi, la croissance et donc pu accéder plus facilement à la
propriété.
Pour Régine Lemoine-Darthois, cette population n'a pas fini de nous
étonner. « Cette génération s'est forgé sa personnalité en mai 68. Du coup,
elle a gardé un idéal rebelle qui en fait une génération à part », ajoute
Thomas Tougard, directeur général d'Ipsos Observer. Marc-Antoine Jarry,
directeur du planning stratégique d'Ogilvy, résume : « C'est une génération qui
a, en permanence, créé des ruptures sociales et sociétales. Elle est motrice
dans notre société. » Libérés de leurs obligations familiales (pour la
majorité) et des remboursements de crédit de leur habitation, ces nouveaux
seniors risquent dans 10-15 ans de renaître. Cette génération “bulle” va, selon
Régine Lemoine-Darthois, « continuer à dépenser car elle fait partie de celle
qui a les revenus les plus élevés. Il y a de plus beaucoup de créativité et de
plaisir dans son approche de la consommation. »
Dictature de la jeunesse
Plaisir. Le mot est lâché. Le voilà, le mot-clé des
quinquas d'aujourd'hui et donc des seniors de demain. “Maintenant je vais vivre
ma vie” pourrait être l'étendard des seniors du XXIe siècle. « A 50 ans, vous
avez vécu la moitié de votre vie adulte. Il en reste donc trente, souligne
Régine Lemoine-Darthois. Le taux de divorce ne cesse d'augmenter. Et cela n'est
plus l'apanage des hommes. Si avant c'était eux qui quittaient leurs femmes, ce
sont désormais ces dernières qui, vers 55 ans, décident de vivre leur vie. » Un
avis que partage Jean-Philippe Tarot, fondateur de Senioractu, pour qui mai 68
a profondément orienté leurs valeurs : « C'est une génération qui témoigne de
l'explosion des couples. On le constate sur les sites de rencontres. » Martine
Ghnassia, directrice du planning stratégique d'Ipsos, les a d'ailleurs baptisés
les “éternels adolescents”. Tout simplement parce qu'ils continuent (et
continueront dans les vingt prochaines années) à évoluer sur des valeurs de
jouissance. « Ils veulent profiter de la vie, explique-t-elle. L'âge de la
retraite va se déplacer.
Du coup, il faudra paraître de plus en plus jeune.
Tous les marchés, tels que la chirurgie esthétique ou les cosmétiques, sont
donc voués à progresser. » Une tendance qui, selon cette dernière, s'installera
même chez les seniors à la retraite. « Les secteurs du bien-être et de la
médecine douce ne peuvent qu'exploser. » Tout comme celui du sport, de plus en
plus pratiqué. D'ailleurs, 48 % des plus de 50 ans utilisent déjà régulièrement
des médecines douces, 46 % des 50-54 ans espèrent perdre du poids et 40 %
d'entre eux tendent à suivre de meilleures habitudes alimentaires*.
Disponibilité de revenus, plus d'enfants à charge (seuls 40 % des quinquas ont
encore leurs enfants à la maison), appartement payé… Tout est là pour profiter
de son nouvel âge. Une génération donc très proche des jeunes adultes. Aussi
bien dans son corps, presque mieux dans sa tête. « Cette génération a une
ouverture d'esprit qui vient de son expérience des années 60. Elle est
caractérisée par sa soif de découvrir », insiste Thomas Tougard.
Les “Bapy-sitters” débarquent
Seulement voilà. Il existe un
revers à la médaille. Si la génération des baby-boomers semble être la première
dans l'histoire à repousser les frontières de la vieillesse et à profiter
pleinement de son nouvel âge, plusieurs études ont également démontré le rôle
important que les jeunes grands-parents assument, notamment dans les nouvelles
configurations familiales. Ainsi, cette génération pivot oscille entre plaisir
et responsabilités vis-à-vis de sa descendance. Il est fort probable que les
seniors de demain soient plus sollicités que leurs prédécesseurs. « Ces
nouveaux seniors auront en charge leurs enfants, leurs petits-enfants et un de
leurs parents », note Thomas Tougard. Selon la dernière étude Seniorattitude
d'Ipsos, 94 % des baby-boomers admettent ainsi qu'ils devront s'occuper de
leurs parents dans les années à venir. « Nous les avons baptisés les
“bapy-sitters” (contraction de baby et papy, ndlr). Cette génération sandwich
sera forcément prise en étau entre ses enfants et ses parents », explique le
directeur général d'Ipsos Observer. Eux qui ont grandi dans une certaine
opulence vont ainsi à leur tour garder leurs petits-enfants et aider leurs
parents. « Ils vont devoir partager leur retraite avec parfois quatre
générations », insiste Thomas Tougard.
Une tendance qui pourrait cette fois
s'appliquer à leurs cadets. Du coup, les baby-boomers vont
encore une fois inventer une nouvelle façon de vivre « Etre obligés de vivre
ensemble et s'entraider davantage. 25 % des quinquas ont déjà leurs parents à
charge avec une espérance de vie plus longue », selon Thomas Tougard. En
outre, le marketing intergénérationnel va s'accentuer. « Le nombre différent de
générations présentes dans une même famille n'a jamais été aussi important et
ce phénomène n'est pas prêt de s'arrêter », analyse également Marc-Antoine
Jarry. Aux baby-boomers et donc aux futurs seniors de gérer les différentes
générations. Déjà, 54 % des 50-54 ans ont leurs enfants plusieurs fois par
semaine au téléphone (source Ipsos) et ce n'est qu'un début. « On pourrait les
comparer à un poste central de pilotage familial », note Thomas
Tougard.
La retraite n'équivaut pas au retrait de la société
Ce qui ne va pas les réduire à rester cloîtrés chez eux. Même si leurs charges fixes (éducation des enfants, accès à la propriété…) ont de grandes chances de disparaître, 80 % des Français
associent la retraite à une baisse de revenus et un tiers d'entre eux envisage
de continuer à travailler, selon le 2e baromètre Axa de la retraite, publié en
mars dernier. D'autant que 50 % prévoient d'aider financièrement leurs parents
retraités. « N'oublions pas que c'est une génération inventive. Les quinquas
vont donc créer une post-retraite active », explique Marc-Antoine Jarry. Selon
cet expert des baby-boomers, ces moteurs de la société n'ont aucune envie de
céder leur leadership. D'ailleurs, les entreprises elles-mêmes commencent à
s'apercevoir qu'elles sont en passe de perdre un capital humain inestimable.
Déjà plusieurs sociétés ont intégré cette “fuite de cerveaux” et ont créé des
binômes pour continuer à transmettre le savoir. « Jaëger-Lecoultre en est un
exemple. L'horloger a créé des binômes (jeunes apprentis/seniors) pour ne pas
perdre le savoir », illustre Jean-Philippe Tarot.
« Il faut créer des ruptures
par rapport à nos pratiques anciennes. Il y a donc des choses à réinventer, ose
Marc-Antoine Jarry. La retraite ne signifie plus retrait de la société. » Cette
génération pas comme les autres va encore une fois nous forcer à la voir,
l'écouter, la suivre. “Les femmes des générations du baby-boom ont été les
premières à investir le marché du travail, bouleversant ainsi les rôles
traditionnels du couple. Il est probable qu'au moment de la retraite, elles
souhaitent continuer un certain nombre d'activités et maintenir leur réseau
d'amis. Le problème ne sera plus alors de concilier vie professionnelle et vie
familiale avec l'éducation des enfants mais vie sociale et solidarité à l'égard
des autres générations”, d'après l'Ined.
On l'aura compris, les quinquas
d'aujourd'hui imaginent, pour la plupart, leur retraite active. Encore une
fois, rien à voir, avec celle de leurs parents arrivés à cette période fatigués
et usés. Partagés entre leurs devoirs familiaux de plus en plus importants et
le désir d'autonomie, les futurs seniors vont plutôt privilégier le plaisir, la
découverte. « Arrivée à 55 ans, cette génération a la sensation d'avoir une
deuxième vie devant elle », confirme Marc-Antoine Jarry. Une opportunité pour
bon nombre de secteurs d'activité et notamment les prestataires de voyages.
Selon Future Fondation, qui a réalisé en mars dernier une étude pour Cendant
(voir p. 20) sur les comportements des voyageurs, “les personnes âgées
représentent un marché dynamique de consommateurs actifs et aventureux .”
L'étude prévient : “Cependant, ces consommateurs plus âgés réagissent mal au
fait d'être décrits comme une tranche d'âge et d'être cantonnés dans la
catégorie cheveux blancs.” Tous s'accordent : un marketing de niche mais sans
positionnement senior sera vital pour capitaliser sur ce marché croissant. « La
segmentation de la population par âge devrait, de toutes les manières, peu à
peu évoluer pour introduire une nouvelle ère de la segmentation : le marketing
de l'expérience », indique Thomas Tougard.
Design universel
Comment donc adopter ses produits et services aux
seniors de demain ? Et surtout comment les vendre ? « Les baby-boomers savent
qu'ils vieillissent mais refusent que l'on s'adresse à eux en tant que seniors,
souligne Jean-Philippe Tarot. Arrêtons de ghettoiser par génération. A
l'avenir, il ne faudra pas spécifiquement créer des produits pour les seniors
mais repenser tout le contenant pour plus de praticité pour tous ». Bref,
adhérer à un design universel ou design pour tous. SFR a, semble-t-il, intégré
cette idée en lançant en mars dernier le télephone Simply. Un téléphone mobile
dont la communication ne s'adresse pas spécifiquement aux seniors mais qui a su
les sensibiliser par sa simplicité. « Pour prospérer, les entreprises devront
cibler ce marché mais intelligemment », glisse Frédéric Serrière, président de
Senior Strategic. Certaines entreprises en ont saisi l'enjeu. « Les baby-boomers
voyageant, par exemple, beaucoup, Boeing travaille actuellement sur ses avions
de demain pour ne pas perdre un tiers de sa clientèle », note Jean-Philippe
Tarot.
Idem chez Ford où l'on estime que le nombre d'Américains âgés de 55 ans
à 74 ans devrait presque doubler d'ici à 2030. Le constructeur de Detroit
travaille donc à concevoir des véhicules mieux adaptés aux baby-boomers
vieillissants et à leurs bobos tels que l'arthrite, le mal de dos, la
diminution de l'audition ou de la vision. Quant aux fabricants d'ordinateurs,
ils ne devraient pas tarder à proposer de nouvelles offres plus adaptées.
Certains observent déjà les habitudes des Japonais. « Le Japon est un
laboratoire. Si les Japonais sont très différents quant à leur façon
d'appréhender la famille, ils peuvent nous mettre sur la voie concernant les
nouvelles technologies », note le fondateur de Senioractu. Car voilà, “s'il est
vrai que les seniors n'ont pas à l'égard des nouvelles technologies la même
approche ludique que les plus jeunes, ils les ont finalement rapidement
adoptées”, stipule le Marketing Book Seniors 2004.
Si l'utilisation du Net est
massive chez les plus jeunes (78 % pour les moins de 25 ans), elle s'étend aux
tranches d'âge plus élevées avec 31 % pour les 50-64 ans, selon l'ouvrage. Une
étude américaine réalisée par Burst Media, parue en janvier 2006, vient
confirmer cette tendance amorcée depuis quelques mois déjà : les seniors
américains passent de plus en plus de temps sur Internet au détriment des
autres médias. 57,9 % des sondés indiquent, ainsi, que l'intérêt du Net “est
que l'on peut y retrouver des informations que ni la télévision, ni la radio,
ni le papier ne peuvent fournir” (1).
Pour Frédéric Serrière, « il sera, en
revanche, nécessaire de prendre en compte le vieillissement de l'œil, de créer
des sites avec des fonds clairs ou qui ne clignotent pas et de leur offrir du
bon matériel ». En outre, bon nombre de sociétés risquent de naître sur le
créneau du service et de la formation à toutes ces nouvelles technologies. Les
plus malins auront en tous les cas compris que, pour s'attirer les faveurs de
ce futur marché non négligeable, un marketing intergénérationnel est
indispensable. « Ce qui est adapté aux seniors l'est aussi pour les plus
jeunes », remarque Frédéric Serrière. Nintendo, le fabricant de célèbres jeux,
tels que Mario ou Pokémon, s'est ainsi lancé, cette année, sur ce marché en
commercialisant une console vidéo facile à manipuler. Un pari gagnant pour
toucher les seniors de demain en pleine troisième jeunesse.
(*) source :
seniorattitude 2005 Ipsos. (1) Pour ces plus de 55 ans, les principaux usages
du Web sont les suivants : collecter de l'information pour des besoins
personnels (56,3 %), s'informer sur l'actualité, le sport, la météo (48,8 %),
sur des produits (43 %), se renseigner ou acheter des voyages (34,7 %),
effectuer des achats en ligne (32 %). Enfin, plus des trois quarts compulsent
des sujets liés au domaine médical.
Attention à ne pas oublier les quadras, également de futurs seniors. Une cible qui devrait être davantage au centre des préoccupations des marketeurs, selon Ipsos qui a d'ailleurs du mal à les qualifier. “Ce ne sont plus des jeunes, ni encore des seniors. Ils ne sont ni la génération “X”, ni la génération “Hédonisme des quinquas”, c'est la génération “entre-deux””. Aussi, Ipsos s'est penché sur cette génération pas comme les autres, plus déçue, plus amère que ses aînés. “Ils ont idéalisé le monde des années 80 mais la chute fut rude : guerre du Golfe, montée du chômage et victime des années Sida”. Résultat, cette génération se cherche : nombre de cadres recommencent tout à 40 ans, partent vivre en province, recherchent des solutions pour vivre mieux. A partir des données de l'observatoire Ipsos Insight des shoppers 2005, Ipsos a identifié les valeurs de cette population. Il apparaît qu'elles sont à cheval entre celles de leurs cadets et celles de leurs aînés. Parmi les valeurs communes aux seniors : la mise à distance de la réussite professionnelle, le retour à la nature, le respect de l'environnement et une moins grande prédisposition à prendre des risques. « Une opportunité à saisir pour les marques, qui sauront les séduire en développant des produits et des services capables de les accompagner dans cette quête de sens », préviennent Thomas Tougard et Martine Ghnassia, respectivement Dg d'ipsos Observer et directrice du planning stratégique d'Ipsos.