Le street marketing flirte avec l'événementiel
Exit le street marketing traditionnel. Place à des opérations empreintes de créativité et d'imaginaire, grâce à un mixavec'événementiel. L'objectif:toucher directement le consommateur tout en instaurant une relation à long terme avec un budget plus modeste. Le tout encouragé par les nouvelles technologies, qui ne cessent de renouveler le genre.
Le street marketing est à l'événementiel ce que la Bête est à la Belle: une association en apparence improbable, mais au final, un couple solide. Le premier propose du concret et le second, du rêve. Dans sa forme la plus brute, le street marketing est une campagne de rue, reposant sur un dispositif voyant, pour attirer l'oeil des passants. Typiquement, il peut prendre la forme d'une distribution d'échantillons de produits, de tracts et de catalogues publicitaires, si possible avec renforts d'hôtesses et de Smart frappées du logo de la marque. Fin septembre, le voyagiste australien Zuji a ainsi organisé une opération afin de valoriser sa promotion actuelle consistant à supprimer les frais lors de la commande en ligne d'un séjour. Un groupe déjeunes a défilé en petite culotte ou sIip blanc dans Sydney. Armés de pancartes sur lesquelles apparaissait le message «no pants for no fées» (pas de pantalons, pas de frais), ces derniers étaient chargés de la distribution de prospectus invitant les clients à retirer leur pantalon pour inciter l'agence à maintenir sa promotion qui devait se terminer début septembre. La carte de l'humour et la mise en scène étaient ici au coeur du dispositif, assurant ainsi un impact fort à l'opération.
Claude Mesquida (Obiwan Marketing Grand Terrain):
«Le street marketing évolue vers l'événementiel car les moyens et les nouvelles technologies permettent d'offrir plus de consistance.»
L'événementiel à la rescousse
Pour autant, ce type d'opération, aussi impertinente soit elle, est perçu par certaines agences de communication comme simpliste. «Depuis quelques années, le street marketing évolue vers l'événementiel, car les moyens et les nouvelles technologies permettent d'offrir plus de consistance», assure Claude Mesquida, directeur de l'agence Obiwan Marketing Grand Terrain. En outre, selon Vincent Quenor, directeur associé de l'agence de communication alternative Passage Piéton, «c'est une tendance lourde dans le secteur. Grâce à cette nouvelle formule, notre chiffre d'affaires a fait un bond de 30% cette année». En septembre dernier, l'agence était chargée de mettre en place un dispositif de street marketing pour la marque Pringles à l'occasion du lancement de quatre nouvelles saveurs: Fiery wasaby Flamin'Chili Sauce, Cheese & Chili et Smokin Ribs. Cette opération illustre bien la tendance du street marketing à flirter avec l'événementiel, car elle était divisée en deux temps. La première phase, qui a débuté le 1er septembre, était exclusivement on line et reposait essentiellement sur le représentant de la «bogossitude»: Michael Vendetta. Quatre vidéos diffusées sur Dailymotion (jusqu'au 14 septembre) utilisaient l'image de Vendetta dans son rôle de«bogosse». L'idée: agacer les internautes tout en éveillant leur curiosité. Un site internet «teasing» proposait parallèlement un jeu, dans la veine du site «Claque à Fogiel», sur lequel les internautes pouvaient se défouler sur Vendetta en l'attaquant avec divers objets (pelles, gants de boxe, piments...). La seconde phase de l'opération, off line, reposait sur du street marketing. Ainsi, du 19 septembre au 31 octobre, une grande tournée de battles s'est tenue à Paris, Marseille, Lyon, Toulouse, Montpellier et Lille, villes dans lesquelles une Pringles'Mobile s'est déplacée afin de convier les Française un challenge «je te tiens, tu me tiens». Les candidats qui remportaient le plus grand nombre de battles étaient présélectionnés pour un tirage au sort, dans l'objectif de participera la grande finale.
De manière générale, le montant de la récompense, comme l'ensemble du dispositif, dépend toutefois de l'ampleur des budgets alloués par les annonceurs à leurs campagnes. Car voilà, le succès de l'union du street marketing et de l'événementiel dépend en effet de l'environnement économique dans lequel celle-ci s'établit. Or, 2008 et 2009 ne resteront pas dans l'histoire des marques comme les années les plus florissantes, tout au moins sur le plan financier. De plus, parler d'une situation de sortie de crise serait aujourd'hui précoce, bien que les prévisions de croissance pour 2010, +0,75% (source: ministère de l'Economie), laissent présager au moins un embryon de reprise. C'est pourquoi les annonceurs ne font pas dans la démesure et se serrent la ceinture au niveau communication tout en revoyant leur manière de la gérer. «Ils insistent davantage pour savoir comment leur investissement va se transformer en acte d'achat. Ils se rapprochent alors toujours plus du point de vente», explique Georges-Eric Armand, président de l'agence Ogilvy Action.
Pour lancer sa gamme Xtreme, Pringles a utilisé une «Pringles Mobile» pour une tournée de battles sur le modèle»je te tiens tu me tiens», dans six villes de France.
Créativité et budget: un couple tiraillé
Cet état d'esprit profite donc au street marketing qui ne s'en porte que mieux. Bien que ce dernier s'inscrive généralement dans un plan médias plus large, il apporte la touche concrète d'une campagne de communication, tant recherchée par les marques. «Les annonceurs sont moins dans la communication d'image et davantage dans la volonté d'apporter du concret à leurs clients, pour les toucher directement», analyse Vincent Quénor. Il n'en reste pas moins que les annonceurs ont réduit leurs budgets. Au-delà des conditions économiques difficiles, «montrer que l'on avait de l'argent n'était pas bien vu des consommateurs il y a encore peu», estime Laurent Valembert, directeur général de Tribeca, agence spécialisée en street marketing. Tel est, en somme, le coeur du problème de l'union entre le street marketing et l'événementiel. Ce qui a tendance à faire grimper les budgets des annonceurs. Pourtant, les agences qui prônent un street marketing allant au-delà de la simple distribution d'échantillons sont nombreuses. La force de cette tendance tient en un mot: la créativité. Outre l'avantage d'être plus intéressantes pour les équipes de travail en agences, ces opérations permettent surtout «de développer un imaginaire autour d'une opération et de raconter une histoire aux consommateurs», préciseThierry Reboul, p-dgde l'agence de communication Ubi Bene. Car les marques ont besoin que leurs clients leur témoignent de l'empathie. «Raconter une histoire instaure une relation client-marque sur du long terme», assure-t-il. Ainsi, les pratiques du street marketing se sont largement diversifiées afin d'activer le bouche à oreille, à l'image des dernières campagnes de Kenzo, Guerlain ou encore Ikea. Toute la difficulté consiste à convaincre des marques qui, par crainte d'un retour sur investissement trop faible, en reviennent aux bonnes vieilles recettes du street marketing et privilégient la distribution d'échantillons, dont les retombées sont plus faciles à mesurer. «Il est parfois difficile de leur faire comprendre, lors des briefs, qu'il fa ut réserver une part du budget à la créativité», affirme Frédéric Lambert, directeur associé de Passage Piéton. Ces agences multiplient donc les méthodes de mesure des retombées. Questionnaires, rapports photos, jeux-concours, mesure du trafic en magasin, nombre de flyers distribués, retombées presse... sont autant de tactiques employées pour définir le succès d'une opération. A l'instar du calcul du nombre de pages web visitées grâce aux nouvelles technologies.
Georges-Eric Armand (Ogilvy Action):
«Les annonceurs insistent davantage pour savoir comment leur investissement va se transformer en acte d'achat.»
L'enjeu des nouvelles technologies
Le Web 2.0, les plateformes communautaires, Twitter, la téléphonie mobile, la 3G... l'explosion des innovations technologiques décuple en effet la force de frappe des opérations de street marketing et offre plus de réactivité, d'immédiateté. «C'est une bonne chose pour la marque lorsque les retours clients sont positifs. Toutefois, lorsqu'ils sont négatifs, la réactivité d'Internet peut devenir dangereuse et particulièrement nuisible», prévient Frédéric Lambert. Mais attention à l'utilisation excessive de ces outils, ainsi qu'à la sur sollicitation des clients. Car, dans ce cas, le danger pour la marque est d'être confrontée à un rejet total de la part du consommateur. Reste que l'évolution des technologies influe sur l'avenir du street marketing. JCDecaux a ainsi permis à de nombreuses griffes de se démarquer. Kenzo lui a confié sa campagne FlowerbyKenzo, pour laquelle le City Provider a fleuri ses affiches avec plus de 50 000 coquelicots qui pouvaient être cueillis par les passants. La technologie Near Field Communication (NFC) pourrait également faire partie de ce nouvel avenir du street marketing. Encore peu développée en France, elle peut prendre la forme de code-barres 2D sur les panneaux d'affichage. Le consommateur n'ayant besoin que de scanner le code-barres avec son téléphone mobile pour obtenir des informations sur l'annonceur. Promotions, services, offres ponctuelles... tout ou presque est programmable sur ces petites puces électroniques. Toutefois, en l'état, cette technologie ne représente pas encore la révolution tant attendue du street marketing: «La compatibilité entre les appareils est insuffisante et le taux de transformation reste très faible», assure Vincent Ouénor. De plus, les innovations, comme l'ensemble du street marketing, sont souvent freinées dans leur élan par la législation en vigueur autour de cette technique de communication.
Car le street marketing organise des opérations de rue et est donc soumis à la réglementation du colportage. Avant toute opération, il est en effet obligatoire d'en faire part à la préfecture du département dans lequel l'initiateur du projet est domicilié. Par ailleurs, chaque ville dispose de sa propre réglementation en matière de colportage, avec des ordonnances et des arrêtés spécifiques. Ainsi, à Paris, il est obligatoire de ramasser les prospectus distribués dans un rayon de 30 mètres autour du point de distribution et d'indiquer les coordonnées de l'imprimeur. De plus, il est interdit de jeter des prospectus d'un véhicule, d'en déposer sur la voie publique ou encore de pratiquer de la distribution les jours de scrutin.
Flashmob: du renouveau pour le street marketing
Prendre un groupe d'individus sans lien entre eux, les rassembler furtivement dans un lieu public, pour les faire disparaître tout aussi rapidement, après avoir réalisé une action commune, c'est le concept de la flashmob. Véritable raz-de-marée dans l'univers du street marketing, des marques, telles que Canon, Sony Ericsson, Air France ou encore T-Mobile, s'en sont réapproprié les codes pour allier communication efficace, opération coup de poing et budget restreint. L'opérateur allemand de téléphonie mobile a ainsi organisé une «T-Mobile Dance» dans la station de métro londonienne Liverpool Street en janvier dernier. En trois jours, l'opération de danse en pleine station a été visionnée 850 000 fois sur Internet. Le 28 septembre dernier, l'agence Acte 9 a lancé un dispositif, baptisé «Street Connection», dont le concept repose sur l'intervention de comédiens lors de séquences ou de saynètes en pleine rue, avec, pour objectif, de capter l'attention du public. L'agence va jusqu'à évoquer la disparition du street marketing traditionnel au profit de ce nouveau genre empreint des codes du freezemob. Ce dernier, petit frère de la flashmob, en reprend les codes, mais avec des participants figés dans le temps et l'espace. Acte 9 s'est appuyé ainsi sur ce concept quand il a disposé des comédiens figés à l'entrée du point de vente Lacoste des Champs-Elysées, incitant les passants, de par leur posture, à s'arrêter et tourner leur regard vers la marque au crocodile. Proximité avec le client, effet de surprise, dynamisation du trafic vers l'enseigne, développement d'un lien avec la marque... tous les ingrédients du street marketing mixés avec les codes du freezemob étaient ici réunis.
Une structure législative rigide mais parfois contournée
Si la législation peut être un frein à la créativité des agences, il n'en reste pas moins que certaines n'hésitent pas à ignorer la réglementation, quitte à payer des amendes! Or, le montant de celles-ci varie selon le type d'opération. Ainsi, dans le cas de l'affichage agrafé, il se situe entre 15 000 et 30 000 euros. «Mais lorsqu'il s'agit de projections sauvages sur un immeuble parisien, par exemple, les amendes sont bien plus élevées», souligne Claude Mesquida, directeur de l'agence Obiwan Marketing Grand Terrain. Toutefois, certaines agences intègrent une estimation du montant des amendes dans le budget de la campagne. «Le retour sur investissement d'un contact direct avec leur cible est bien plus important que le montant des amendes couplées avec la campagne», poursuit-il. Certaines agences, en revanche, préfèrent être patientes. Comme Passage Piéton qui a dû attendre six mois avant d'obtenir l'autorisation préfectorale de mettre en place une traversée de la Seine en gondole, pour le site de rencontres Match.com. «Le caractère poétique et romantique d'une telle opération profitait également à l'image de la ville de Paris», analyse Frédéric Lambert. En clair, le principe du gagnant-gagnant était la force du projet, et plus globalement du street marketing et de l'événementiel. Car là encore, ce duo de choc prouve toute sa légitimité et son efficacité. Malgré cela, certains observateurs ont la conviction que si les règles législatives étaient plus souples, street marketing et événementiel pourraient s'épanouir. Ce serait peut-être la condition pour atteindre (enfin?) la liberté et le niveau des campagnes américaines ou britanniques.
Thierry Reboul (Ubi Bene):
«Street marketing et événementiel permettent surtout de developper un imaginaire autour d'une operation et de raconter une histoire aux consommateurs.»
Nathalie Koffi (Tokyo)
«Notre objectif est de marier l'univers du luxe avec celui de la rue»
Interview Les marques de luxe ont rarement recours au street marketing. C'est pourtant la technique que l'agence Tokyo a choisie pour deux grandes marques de parfum. Les explications de Nathalie Koffi, sa directrice conseil.
Quels sont les atouts du street marketing?
Auparavant, les lancements dans l'univers du luxe étaient rares, ils avaient lieu une fois par an. De nos jours, on peut compter jusqu'à 17 lancements en une année. Les marques sont donc obligées d'être plus créatives et de communiquer auprès de leurs consommateurs plus régulièrement. Et, si possible, directement auprès d'eux, pour émerger toujours plus. L'année dernière, nous avons réalisé une opération pour Guerlain: nous avons créé une jungle urbaine, place de l'Opéra, en plein de coeur de Paris. C'était la première fois que la marque communiquait via du street marketing. L'enjeu était de réussir à marier l'univers du luxe avec celui de la rue. Car l'industrie du luxe a besoin de faire rêver et de toucher l'imaginaire du consommateur. Grâce au street marketing, le luxe peut parler directement au consommateur et pas simplement par l'intermédiaire du papier glacé. En outre, c'est la modernité qui permet de donner un coup de pouce concret pour toucher les consommateurs.
Le street marketing permet-il de réduire le budget d'une campagne de communication? Contrairement à certains médias comme la télévision, le street marketing n'a pas besoin d'un budget de trois millions d'euros. Mais la fourchette reste large, entre 5000 et 800000 euros. Le street marketing peut tout à fait vivre en dehors de tout plan médias dès lors qu'une marque ajuste besoin de toucher un certain public et de faire du bouche à oreille de proximité. Mais il est vraiment efficace lorsqu'il est associé à d'autres moyens de communication, tels que la radio, la presse, l'affichage, voire la télévision. Le street marketing fait partie d'un dispositif global, mais ne doit en aucun cas être la dernière roue du carrosse. Car, avec des budgets suffisamment élevés, il peut, grâce à sa visibilité, valoriser l'image d'une marque directement auprès du consommateur.
Quelles sont les retombées de ce type de dispositif?
Aucune agence n'est réellement capable de mesurer les retombées des opérations de street marketing. Tout dépend du dispositif qui est mis en place. Dans le cadre de la campagne de lancement de «Parisienne», le dernier parfum d'Yves Saint-Laurent, la problématique était de toucher à la fois les leaders d'opinion, le grand public et la presse. D'où l'idée de conduire les Parisiennes dans un parcours en dehors du Paris des cartes postales. En les amenant notamment dans des lieux décalés, voire alternatifs, comme le Très Particulier (Montmartre) et la Bellevilloise. La mesure des retombées a été effectuée à partir des réseaux de distribution, des retours des clients, des ventes en magasins, du buzz généré sur Internet et, bien sûr, des médias. Le succès de l'opération s'évalue également au fait qu'elle ait été plébiscitée à l'international. Elle va être reprise dans 18 pays! Voilà comment on mesure la qualité de ce que l'on fait. Concernant la création de trafic en magasins, nous avons enregistré entre 3% et 8% de retours.
Pour lancer son parfum La Parisienne, Yves Saint Laurent a disséminé dans Paris des tags éphémères, siglés Cassandre. La phase de révélation de la campagne reposait sur la distribution d'une revue baptisée Journal parisienne.