Le CRM s'implante à petits pas dans le B to C
Volumes considérables, organisations en réseau, chantiers longs et coûteux : les processus CRM peinent à s'imposer dans les entreprises qui vendent au grand public, ou B to C. Néanmoins, certaines fonctions, comme la gestion automatisée des campagnes marketing, commencent à être utilisées. La tendance est à une réduction des budgets en matière d'équipement, en privilégiant un seul des domaines du CRM plutôt qu'une approche intégrée.
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En B to C, le CRM reste l'apanage de quelques secteurs. Banques,
assurances, vente par correspondance, tourisme, automobile ont pris en main
leur stratégie de gestion de la relation client et installé des systèmes de
rationalisation des tâches, de partage de l'information, de suivi des actions
marketing. Mais c'est le B to B, grâce à ses cibles réduites et sa bonne
connaissance de sa base de clients professionnels, qui s'est approprié cet
ensemble de techniques. Les grands progiciels intégrés, comme Siebel,
PeopleSoft, Oracle ou SAP, conviennent mieux à ce type d'organisations assez
centralisées et dont les bases de données sont d'une taille raisonnable. Or, en
B to C, les fichiers clients peuvent rassembler plusieurs millions de noms.
L'identification, la qualification, la segmentation de ces énormes bases
demandent des outils performants, mais souvent difficiles à intégrer et très
structurants, comme ont pu l'être, il y a quelques années, les ERP. Après la
vague des grands chantiers, qui a essentiellement concerné le secteur des
services, on assiste à une intégration pas à pas, fonction par fonction. «
Dans le B to C, l'intégration des progiciels est faible, de l'ordre de 20 %.
Ces sociétés implantent les modules un par un : centre de contacts, force de
vente, gestion de campagnes marketing, etc. Les services marketing sont
déconnectés de la production : ils ont leur base de données propre. A cause des
volumes de données, il existe deux bases, une pour les prospects, une autre
pour les clients, et les deux ne dialoguent pas. Le mur entre services
marketing et commerciaux est toujours là »,
estime Philippe
Nieuwbourg, directeur associé du cabinet Marcom Generation. Pour ce
spécialiste, la majorité des entreprises, B to C et B to B confondus, est
encore sous-équipée en matière d'outils CRM, seules 10 % environ auraient
implanté un outil informatique de gestion de la relation client. Les principaux
freins à ce déficit d'informatisation sont d'abord la qualité des données,
souvent mauvaise, ensuite les problèmes d'intégration entre les systèmes
d'information de natures différentes et, enfin, l'organisation même des
sociétés.
Des éditeurs spécialisés
Si l'on considère
la question de l'équipement en progiciels de CRM, le B to C ne semble pas le
marché le plus intéressant pour les grands programmes généralistes, type
Siebel, PeopleSoft, Oracle ou SAP. « Ces systèmes ne sont pas adaptés au B to
C. Ils ne respectent pas la différence entre le service marketing et sa base de
prospects, et le service commercial orienté client », indique Philippe
Nieuwbourg. Selon lui, des éditeurs de taille plus modeste, comme Pivotal, et
surtout des spécialistes des campagnes marketing (AIMS, Marketic) ou des
centres de contacts et du SFA (Selligent, KDP, Novacial) seraient plus adaptés
aux activités B to C. Est également cité Chordiant dans la banque et le retail.
C'est le cas, par exemple, chez l'assureur Axa (voir en page 52) qui utilise ce
progiciel. Un avis que ne partage pas Hervé Drevot, associé chez Valoris. Pour
ce consultant, spécialiste du CRM, les quatre grands éditeurs généralistes ont
des offres intéressantes et la place des indépendants va se réduire comme peau
de chagrin. A moins qu'ils se spécialisent sur un marché, comme E.piphany pour
la gestion des campagnes marketing, ou comme Pivotal qui vise les entreprises
ne pouvant s'offrir les progiciels intégrés, trop coûteux. Reste qu'il est
difficile, dans un contexte de grandes masses de données, de mettre au point la
fameuse relation en "one-to-one", Graal du marketing. Avec des bases de 15
millions de clients, telles qu'on les trouve chez les opérateurs télécom ou
même de 40 millions pour EDF, on en est réduit, au mieux, à faire du
"one-to-niche". C'est du moins la conviction de
Laurent Ridoux,
associé pour l'offre CRM chez Deloitte Consulting, pour qui la différence
prépondérante entre projets B to B et B to C reste le volume de données : « En
B to C, derrière l'installation d'un système informatique, il y a l'activation
de services en quasi temps réel, et donc un besoin d'interconnexions
élabo-rées, avec une parfaite synchronisation des canaux. » Les échecs récents
de certains projets CRM seraient dus à la déception des entreprises qui ont
installé des outils informatiques coûteux, mais sans changer leur culture
client. « Les progiciels fonctionnent ! Les échecs proviennent à 80 % de la
méthodologie employée et des gens qui utilisent ces systèmes. En fait, les
sociétés ont vu le CRM comme un outil de fidélisation, d'up et de cross
selling, mais pas comme un moyen d'améliorer la qualité du service clients »,
analyse Philippe Nieuwbourg. « Les raisons de ces échecs sont à chercher dans
la focalisation des dirigeants sur la technologie et une surestimation des
capacités des logiciels. Ils ont oublié les autres leviers, comme
l'optimisation des processus, la connaissance client ou la motivation et la
rémunération des hommes », surenchérit Hervé Drevot. Manager de TBWA\Data,
filiale CRM du groupe de communication éponyme spécialisée en B to C, Jacques
Ehny estime que les problèmes rencontrés par les entreprises vis-à-vis du CRM
proviennent essentiellement de cette approche technologique : « Jusqu'à
présent, les projets CRM consistaient à mettre en oeuvre des outils techniques.
Ils étaient confiés aux directions informatiques et non aux marketers. Or, ce
qui fait avancer les choses, ce sont les hommes. Et il est plus compliqué de
changer l'organisation d'une entreprise que d'installer des logiciels. » Seul
remède de fond : former les hommes pour qu'ils acquièrent la culture de la
relation client. Au-delà de l'aspect humain, le principal problème des projets
CRM, souvent pharaoniques, demeure l'analyse de la valeur client ou comment
déterminer ceux que l'on doit fidéliser. En effet, en B to C, la distribution
est souvent indirecte, on parle alors de B to B to C, ce qui rend plus
difficile la possession de l'information sur le client final. Il y a quelques
années encore, les grands groupes agroalimentaires ou les lessiviers n'avaient
pas accès aux données clients, jalousement conservées par la grande
distribution.
Du CRM de prospection
Aujourd'hui, tous
ou presque ont mis en place de vastes programmes de marketing relationnel,
destinés à alimenter leurs bases de données clients. Du Bingo des Marques de
Danone aux services Lever Plus, en passant par le Club Nestlé ou le programme
maternité de Procter, les mégabases sont constituées et nourries d'informations
régulières. Pour autant, peut-on dire que ces géants des produits de grande
consommation développent vis-à-vis du grand public des stratégies CRM ? « Les
acteurs de la grande consommation ne sont pas plus de quatre ou cinq à avoir
mis en place des procédures CRM B to C. Leur mode de distribution ne génère pas
de données mécaniquement. Leur seule manière de connaître leurs clients, c'est
de mettre en place des moyens de collecte annexes, comme la saisie des retours
de coupons, les jeux-concours ou le service clients. Mais, en raison de la
volumétrie, ces systèmes sont longs à construire et coûteux », commente ainsi
Jacques Ehny. En effet, si un Carrefour ou un Auchan peuvent faire une offre
ciblée au consommateur dès la sortie de caisse, et pour un coût contact très
faible, un Nestlé ou un Kraft devra envoyer un mailing avec coupon-réponse,
plus cher à traiter. Pour Jacques Ehny, les fabricants de PGC font généralement
du « CRM de prospection ». Lors du lancement d'un nouveau produit, ils peuvent
s'appuyer sur une mégabase de type Consodata ou Claritas pour envoyer un
mailing avec une offre promotionnelle à un segment de clientèle ciblé. Ces
dernières sont un moyen efficace d'aider au lancement d'une action CRM. Mais,
dès qu'il s'agit de projet à long terme, visant notamment la fidélisation, cela
devient beaucoup plus difficile. « De plus, ces entreprises ont une approche
purement marketing direct et une faible sensibilité à l'exploitation des
informations », poursuit Jacques Ehny. D'autres secteurs, en lien direct avec
le consommateur, sont plus avancés. « Les opérateurs de téléphonie sont les
plus créatifs, avec une nouvelle offre marketing par mois. Récemment, ils ont
dû se positionner très vite sur la facturation à la seconde. Or,
l'interconnexion des messageries et la refacturation sont des opérations
compliquées », explique Gaëtan Bodmer, manager CRM chez Deloitte Consulting.
Malgré toutes ses réserves, Philippe Nieuwbourg reste optimiste quant au succès
du CRM. En effet, chaque technologie qui a bouleversé l'organisation des
entreprises a mis 15 à 20 ans à s'imposer. Comme les ERP, ces progiciels de
gestion intégrés apparus au début des années 80, qui font aujourd'hui partie
des fondamentaux des entreprises. Les outils de CRM ont connu une phase
d'engouement, puis de déception, le redémarrage devrait s'effectuer en se
focalisant sur la méthode et non sur les produits informatiques. « Le CRM
modifie structurellement l'organisation de l'entreprise. C'est un véritable
réengéniring humain », conclut Philippe Nieuwbourg.
CRM : Renault s'attaque à la méthode
Industriel avant tout, Renault ne baigne pas dans une culture du marketing client, rôle normalement dévolu aux concessionnaires, contrairement à d'autres secteurs, comme la banque ou la VPC. Ce qui n'empêche pas le constructeur d'effectuer diverses actions en direction de ses clients, pour le compte de son réseau de concessionnaires. Et, pour que ces campagnes touchent bien leur cible, la direction clients, en charge du marketing relationnel au sein de la direction commerciale, travaille à définir les méthodes pour améliorer la qualité des bases de données et construire des modèles afin d'optimiser les ventes. Ce pôle d'analyses dédié au comportement client met au point les programmes de conquête et de fidélisation et ce, via les différents canaux (réseau de concessions, Internet, plates-formes téléphoniques, marketing direct) en collaboration avec la direction marketing et les filiales commerciales. « Notre objectif est de prioriser les actions qui généreront le plus de ventes », explique Nathalie Lahoche en charge du marketing relationnel à la direction clients. Son expérience chez RCI Banque, filiale financière du fabricant, lui a permis de se familiariser avec les méthodes d'analyse de données marketing. « Le scoring nous permet de cibler les clients en fonction des dates de renouvellement des véhicules ou du type de service recherché », ajoute-t-elle. La direction clients cherche à introduire une méthodologie qui privilégie la planification des événements clients, plutôt que des campagnes one shot en fonction des lancements de produits. Pour l'élaboration des campagnes, la direction clients de Renault utilise des outils propriétaires, comme le logiciel SIC, pour Service Information Client, ou progiciels, comme Marketic One. Mais, pour Nathalie Lahoche, le CRM ne se résume pas à la technologie : « Le vrai avantage du CRM, c'est la possibilité de relayer jusqu'au front-office les méthodes marketing et de l'apporter au client grâce aux outils techniques. » Objectif : créer un véritable système expert capable de paramétrer les campagnes marketing. Parallèlement à cette démarche envisagée sur le long terme, la direction clients génère beaucoup d'opérations de marketing direct pour le réseau au travers des filiales commerciales. La dernière en date ayant eu lieu pour le lancement de la Mégane II, dont les résultats sont en cours de traitement. « Ce n'est pas évident pour une société à dominante industrielle de mettre en place une stratégie CRM. C'est pourquoi, nous nous appuyons en permanence sur l'expérience de notre réseau », conclut Nathalie Lahoche.