Former sans formater 3/3
Le marketing constitue l'une des offres phares des sociétés spécialisées dans la formation professionnelle. Ce qui traduit immanquablement une demande. Mais ne signifie pas pour autant que l'offre réponde toujours aux exigences d'une discipline en constante et rapide évolution. Pour faire le pendant aux stages catalogues, les organismes multiplient et diversifient les programmes, en tentant de valoriser le sur-mesure.
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La loi des bouclages budgétaires
Qui achète dans
l'entreprise ? La réponse est le plus souvent fonction de la taille de la
société. « Sur le marketing, ce sont la plupart du temps les participants qui
sont à l'initiative de l'achat. Mais c'est sans doute parce qu'à l'Insead, nous
sommes positionnés sur des formations généralistes lourdes et structurantes et
pas sur des sessions hyper opérationnelles et spécialisées de deux jours »,
affirme Thierry Le Métayer. Plus on s'approche d'une configuration "grand
compte", plus le rôle du DRH sera prégnant dans les choix formels et finaux.
Dans les PME, où les directions des ressources humaines sont souvent réduites
au symbole, c'est le responsable marketing, commercial, le Dg ou le P-dg qui
fera son marché. Autre paramètre : les bouclages budgétaires. Entre novembre et
février, les acheteurs "institutionnels" (DRH et directeurs formation) sont
très décisionnaires. Ensuite seulement, les directions opérationnelles se
manifestent. Et c'est là l'un des reproches que l'on entend à l'envi autour de
ce marché de la formation professionnelle. Reproche qui vise plus encore les
acheteurs que les vendeurs. Puisque la formation est une obligation légale, les
DRH, au moment de la clôture des budgets, peuvent être tentés de remplir leur
panier, davantage dans le souci de ne pas "se faire prendre" que pour répondre
de manière optimale à une politique constructive de ressources humaines. Bref,
on achète au pire n'importe quoi, au mieux de l'approchant, pourvu que ça
rentre dans le quota. « La formation continue n'a aucun sens si elle n'est pas
couplée à la politique de mesure des performances et d'évaluation individuelle
», insiste Michel Makiela. De ce fait, la formation, idéalement, n'arrive pas
en bouche-trou légal ou budgétaire. Elle s'inscrit dans un engrenage et vient
s'indexer sur chaque étape en amont : définition du budget commercial de
l'entreprise, chiffre d'affaires prévisionnel, budget de fonctionnement,
affectation des objectifs individuels, entretien individuel et, seulement,
définition collégiale du plan de formation continue. En intra, les choses sont
différentes. « Il y a trois ans, c'étaient les DRH qui achetaient. Aujourd'hui,
ce sont les opérationnels à 70 % », note Yvelise Lebon, directeur du pôle
marketing, responsable de l'activité intra chez Cegos. BASF Agro a acheté
quatre journées de formation en intra pour 20 personnes. A l'initiative du
directeur marketing. Trois sociétés ont été mises en concurrence. Un mois et
demi après, la Cegos a été retenue. « Au sein de l'entreprise, nous sommes
organisés en comités de management. J'ai soumis le projet de formation, qui a
été validé. La DRH a été associée à la négociation. Pour ce qui est de la
formalisation des contenus et du choix du formateur, c'est moi qui ai été
décisionnaire », raconte Vincent Gros. Les appels d'offres pour des formations
intra-entreprises peuvent s'étaler sur deux à trois mois : choix des
compétiteurs, déclinaison des besoins, rencontres préliminaires avec les
consultants, enregistrement des propositions, négociations sur les prix,
montage de combinaisons entre les modules proposés par l'un et le programme
avancé par l'autre. Autant dire qu'en situation d'urgence, l'acheteur devra
pouvoir se retourner très vite. Pour ce faire, il lui faudra disposer d'un bon
carnet d'adresses ou d'un réseau susceptible de lui recommander immédiatement
le bon formateur. C'est là tout l'intérêt d'un poste de DRH exercé avec
implication et responsabilité.
Cinq cent trente euros la journée de consultant inter-entreprise
Le prix de la formation continue peut
finir de rebuter les plus sceptiques. Michel Makiela se souvient avoir
bénéficié à titre individuel d'une formation inter-entreprises de trois
semaines auprès de l'Insead, "excellente" au demeurant. Tarif : plus de 10 500
euros. A l'Essec, un séminaire de neuf jours coûtera 2 300 euros HT, un cursus
diplômant d'un an 10 300 euros et un master 15 000 euros. Pas donné. Un
consultant travaillant pour un organisme explique : « Pour l'inter-entreprise,
je facture mon employeur 530 euros la journée. Une fois les charges déduites,
il m'en reste la moitié. Ce n'est pas très tenable. Pour l'intra-entreprise,
l'organisme va proposer au client des tarifs de l'ordre de 4 000 euros pour
trois jours et pour cinq stagiaires ». Pour quatre jours en intra, sur un
public de 20 personnes, BASF aura versé autour de 20 000 euros à la Cegos. Qui
sont les stagiaires inscrits en programmes marketing ? Les organismes se
défendent avec ferveur de viser avant tout au mieux les effectifs hiérarchiques
médians, au pire les béotiens, en tous cas surtout les PME et très rarement les
directeurs marketing des entreprises à la pointe du marketing. Demos a amorcé
il y a trois ans une stratégie "grands comptes". Objectif : marteler
commercialement les 300 entreprises identifiées comme telles au sein du
portefeuille clients de l'organisme. L'organisme propose également aux gros
acheteurs un système de gestion externalisée de leur politique de formation
continue reposant sur l'enregistrement des formations et le suivi des dossiers
individuels au regard du budget consenti par l'entreprise, avec déclenchement
d'alertes à l'occasion du lancement de nouveaux stages. Chez Cegos néanmoins,
si on revendique des clients comme BASF, Urgo, Ford, Canderel, on reconnaît à
mots couverts que les pontes en poste du marketing ne constituent pas le coeur
de cible. Par ailleurs, les très grandes entreprises, tous les grands groupes
en position d'initiateurs des tendances et techniques du marketing disposent
généralement en interne des ressources et infrastructures idoines pour lancer
des programmes en formation continue. Ce qui ne les empêche pas, pour les
formations intra, de faire entrer les organismes extérieurs via leurs
structures internes. C'est le cas de L'Oréal, qui fait régulièrement intervenir
la Cegos dans le cadre de son école maison. De l'expertise externe, certes,
mais toujours dans la ligne.
Remise à niveau et harmonisation de troupes hétéroclites
En fait - si l'on écarte les motivations
strictement guidées par l'obligation de se soumettre à la loi -, le public
dépend très directement de la problématique stratégique dans laquelle s'inscrit
l'acheteur. Pour BASF Agro, filiale à 100 % du groupe chimique BASF, la
formation continue a répondu à un besoin assez ponctuel d'évaluation des
compétences et des comportements, et d'harmonisation du discours au sein d'une
équipe de 20 chefs de marché issus d'horizons différents, certains venant de
l'interne, d'autres ayant intégré la société par le jeu de la croissance
externe. « Je voulais d'une part m'assurer qu'il existait une culture marketing
commune et, dans le cas contraire, en jeter les bases par une première remise à
niveau ; d'autre part, d'un point de vue plus opérationnel, faire en sorte de
rendre plus homogène et plus percutant le discours des chefs de marché à la
force de vente », détaille Vincent Gros. Dans une logique plus "externe", les
directeurs marketing peuvent également chercher à développer leurs arguments à
l'international, ou bien à se donner les moyens de "coller" à une réalité de
plus en plus cosmopolite. Cette dimension internationale, les grandes écoles,
et notamment l'Insead, sont sans aucun doute les mieux à même de la satisfaire.
Certes, depuis Issy-les-Moulineaux, la Cegos a monté pour PPG, fabricant de
peintures high tech pour l'industrie automobile, un programme européen autour
de la "valeur client". Objectif : former 200 personnes dans huit pays. Mais,
par-delà les réalisations ponctuelles dont les organismes peuvent se prévaloir,
ils ne jouent pas, ici, dans la même cour. A l'Insead, l'intégralité des
stages, où qu'ils soient délivrés, se déroule en anglais. L'institut propose en
catalogue une dizaine de stages marketing, soit 25 % des références. Les
consultants : la trentaine de professeurs en marketing de l'école ainsi que des
opérationnels en poste en entreprise, qui ont formé 500 personnes en 2002. La
cible : les directions marketing et directions générales au sein d'entreprises
à dimension ou velléité internationales. « Sur les quarante personnes inscrites
à la dernière session "International marketing program", on a compté vingt
nationalités différentes, remarque Thierry Le Métayer. Typiquement, nos
stagiaires sont des cadres sup avec une formation de type ingénieur qui veulent
se faire une culture marketing, ou bien des directeurs marketing qui voient
leur périmètre évoluer vers des fonctions plus internationales. » A l'Insead,
tout comme au sein du groupe Essec, on se défend de vouloir jouer sur le même
terrain que les organismes qui se sont construits autour de la formation
professionnelle. Essec Management Education réalise une partie importante de
son chiffre d'affaires en formation continue avec les programmes diplômants.
Avec ses fameux masters de troisième cycle, relativement nouveaux en France et
très éloignés des formations universitaires du fait de leur proximité avec le
monde de l'entreprise. Les concurrents de ces écoles culturellement proches de
la culture anglo-saxonne sont bien davantage à rechercher sur les campus
américains ou britanniques. Thierry Le Métayer cite, par exemple, Harvard
Business School pour les Etats-Unis. Ou encore la London Business School («
quoique plus orientée finances ») et l'IMD à Lausanne (« moins marketing et
plus technique »). Et Catherine Le Roux d'ajouter : «Les entreprises qui
voudront acheter des formations lourdes en marketing regarderont ce que
proposent les business school françaises. Si cela ne leur convient pas, elles
iront voir à l'étranger. » Bien loin des cursus officiellement estampillés,
Cegos a ouvert en 2002 un cycle certifiant, non reconnu par l'Etat : vingt
jours de mission à réaliser en entreprise sur six à huit mois avec soutenance
de mémoire. Une dizaine de personnes s'est inscrite en promotion une. Même
effectif pour 2003. Le diplôme constituerait-il un argument de sécurisation
pour les marketeurs ? La formation continue devrait-elle prendre des allures de
formation initiale ? Et est-ce bien ici le rôle et la place des organismes de
formation professionnelle ? Rien de moins sûr.
Marketing/action co : et/ou ?
Georges Nikakis, responsable du département marketing-action commerciale de Demos, constate depuis plusieurs années un rapprochement constant des contenus marketing et action commerciale dans le montage des formations. Une tendance qui répondrait, selon lui, à la demande. Chez Cegos, l'approche semble plus subtile. Si la frontière entre marketing et action co se laisse en effet gagner dans la demande par quelque porosité (effet de crise), l'organisme a paradoxalement opté, il y a deux ans, pour une scission de son catalogue ventes-marketing en deux produits distincts. Le fait dépasse l'anecdote. « Nous avons constaté, il y a deux ans, une inflation des offres d'emploi pour des postes marketing. Par ailleurs, en dédiant un catalogue au marketing, nous avons doublé le nombre de nos stages », explique Nathalie Van Laethem, responsable des formations marketing. Exceptée une mauvaise année 2002, Cegos enregistre sur le terme une demande croissante sur le marketing, alors que l'activité ventes stagne.