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Géomarketing : mature, mais pas assez démocratisé 1/3

L'arrivée récente des données Iris 2000 de l'Insee donne un coup de fouet aux outils géomarketing. L'offre se segmente, se précise, et les entreprises commencent à évaluer toutes les possibilités de cette technique qui allie cartographie et marketing. En s'appuyant sur les bases de données statistiques et comportementales, les logiciels et autres systèmes d'information géographique (SIG) sont de plus en plus perfectionnés.

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Cette technique consistant à associer données cartographiques et logiciels existe depuis longtemps mais ses applications commerciales sont récentes. Elle est en passe de devenir incontournable, particulièrement pour les entreprises qui possèdent un réseau (de points de vente, d'agences, etc.). « L'année 1999 a été celle de la maturité, avec des offres réellement packagées. 2000 a permis un déploiement généralisé et banalisé. En 2001, la tendance est au modèle ASP (voir glossaire en page 100) et un déploiement via le Web », analyse Franck Bleuzen, P-dg de geoXPAND, société de conseil et d'études géomarketing. La typologie du géomarketing est devenue assez simple. C'est un triptyque composé des fournisseurs de données, des éditeurs de logiciels et des prestataires de solutions. Dans la première catégorie, on peut distinguer deux types d'acteurs. Les institutionnels, comme l'Insee et l'IGN. Et les privés, comme Consodata, Claritas, Experian pour les données géocodées, plus des sociétés comme Dun & Bradstreet ou SCRL pour les informations non géocodées. On trouve également ici des fournisseurs privés d'éléments cartographiques, comme TéléAtlas et NavTech. Les éditeurs de logiciels ne sont pas très nombreux. Parmi les principaux, on peut citer Esri avec ArcView, MapInfo et GeoConcept et son logiciel éponyme, utilisé par Experian dans son produit GeoBase... Les prestataires de services et de solutions globales ont pour noms Claritas, Experian, Consodata ou encore Asterop. Une catégorie de fournisseurs de conseils et d'études réunit, entre autres, Mercuriale, Cabinet Régis Barbier, geoXPAND ou encore D interactive Business Intelligence. Quant à la taille du marché du géomarketing, elle est difficile à définir, en raison de l'hétérogénéité des acteurs. Les estimations varient de 50 à 150 millions de francs, d'après Franck Bleuzen, selon que l'on intègre les seuls éditeurs de logiciels estampillés géomarketing ou l'ensemble des intervenants. Pour Christophe Girardier, P-dg d'Asterop, les chiffres sont pratiquement similaires : 100 à 150 millions de francs. Denis Bied-Charreton, directeur du développement d'Experian, est, quant à lui, plus généreux. Il évalue le chiffre d'affaires des études à 150 millions de francs, et celui des éditeurs et autres acteurs à « quelques centaines de millions de francs », le tout restant inférieur à 500 millions de francs. « Il s'agit encore d'un petit marché, mais en forte croissance », estime-t-il. Marina Dédéyan Taïb, responsable de la communication de Claritas, avance elle aussi le chiffre de 500 millions de francs. Le géomarketing s'applique d'abord aux entreprises possédant un réseau d'agences ou de boutiques. Après les banques et la grande distribution, les professionnels assistent à l'arrivée de nouveaux secteurs économiques intéressés par cette technique. Les opérateurs de télécoms, par exemple. « L'arrivée de la boucle locale filaire et radio les oblige à un déploiement technologique et à la mise en place d'actions commerciales et marketing », avance Franck Bleuzen. « Ces opérateurs ont réellement besoin des données géographiques pour implanter leurs relais, mais aussi géomarketing pour qualifier le territoire, afin d'évaluer les potentiels d'abonnement. Plus ceux-ci sont élevés, plus le nombre de relais sera nombreux », complète Denis Bied-Charreton.

Les différentes étapes d'une démarche géomarketing


Les assurances sont un autre secteur intéressé par cette technique. Confrontés à des problèmes de réseaux après les fusions, les groupes d'assurance se servent des outils de géomarketing pour mettre au point des analyses fines en matière de développement, de fusion ou de fermetures d'agences. D'autres acteurs économiques commencent à s'intéresser de près à ces instruments : le tourisme, avec des groupes comme Nouvelles Frontières, Lucien Barrière, Accor ou le Club Méditerranée. Mais aussi l'immobilier, qui doit regarder de près les déplacements de populations d'une région à l'autre pour implanter ses agences, sans oublier le transport et la logistique ou la presse. « La PQR (ndlr : presse quotidienne régionale) se sert de plus en plus des instruments géomarketing, pour optimiser les tournées des livreurs et pour équilibrer les Unes en fonction des régions couvertes par le titre », explique Marina Dédéyan Taïb. Denis Bied-Charreton distingue plusieurs étapes dans une démarche géomarketing pour les entreprises en réseaux. D'abord, la conquête d'abonnés ou de clients qui, pour lui, est parallèle avec le nombre de points de vente. « La stratégie de conquête de parts de marché des entreprises en réseau est offensive. Il y aura des fusions, acquisitions, voire des disparitions dans tous les secteurs », prévient-il. Deuxième étape : la rationalisation du réseau, qui touche les marchés matures (banques, distribution). Enfin, place à l'analyse, pour adapter le réseau et améliorer la connaissance du client. Cette analyse se fonde sur la base de données, enrichie grâce au géomarketing. « Il existe trois problématiques principales : la stratégie de développement ; le pilotage commercial et la fidélisation ; la prospection et la communication », estime le directeur du développement d'Experian.

Indispensables bases de données cartographiques


Pour effectuer ces actions marketing, il faut avant tout se fonder sur des données fiables et les plus précises possibles. Les données cartographiques, en premier lieu, sont essentielles. L'Institut Géographique National (IGN) édite 300 cartes par an et propose quatre bases de données géographiques. On peut citer la BD Topo, qui décrit physiquement et en trois dimensions le territoire national. La BD Carto est la base de données cartographique de référence, qui peut être utilisée à l'échelle nationale (1/250 000) ou départementale (1/50 000). On y trouve les équipements routiers, le réseau ferré, le réseau hydrographique (cours d'eau), etc. La BD Alti a trait au relief français. Géoroute est la base de données des routes de France. A côté de ce fournisseur national et administratif, on trouve des acteurs privés, comme NavTech et TéléAtlas. Créé en 1984 en Belgique par Alain Detaille, géographe de formation, TéléAtlas a eu pour objectif premier de digitaliser la cartographie belge, puis hollandaise. En 1995, la société se rapproche de l'allemand Robert Bosch (Blaupunkt), qui fabrique des systèmes de navigation pour automobiles. La filiale française est ouverte la même année. Aujourd'hui, TéléAtlas emploie une soixantaine de personnes en France, et a mis en place toute une infrastructure pour digitaliser les données cartographiques. Sept agences régionales produisent une base de données, dans laquelle on ajoute des images issues du satellite Spot et d'autres photos aériennes. Des agents locaux téléchargent ce produit semi-fini sur des ardoises électroniques et vont sur le terrain vérifier la conformité des images avec la réalité. Deuxième phase : ils attribuent les noms de rues, voies, etc. Puis rectifient les changements. Troisième étape : toutes ces données sont envoyées en Inde, près de la capitale New Delhi, où 400 ingénieurs topographes intègrent les corrections. La base de données cartographique de TéléAtlas comprend l'Europe, mais aussi les Etats-Unis, après le rachat d'Etak en mai 2000. « Nos produits sont utilisés dans deux grands secteurs : la navigation et les géoproduits (SIG, géomarketing) », explique Sabine Bescond-Delemer, responsable marketing et communication. La première utilisation se matérialise par des CD-Rom de navigation. Pour l'instant, il n'existe aucun standard pour ces outils, mais un ensemble d'acteurs, parmi lesquels on retrouve Microsoft, Clarion ou TéléAtlas, réunis sous l'appellation Magic (Mobile and Automotive Geographical Information Services), travaillent à les définir. D'ici deux ans, on devrait pouvoir lire ses CD de cartographie sur son lecteur embarqué, mais également sur son Palm, sur le Net, etc. La seconde utilisation concerne tout ce qui est hors navigation. Après quelques déboires juridiques avec l'IGN, TéléAtlas vient finalement de signer un accord avec l'établissement public (voir encadré en page 94).

INVESTISSEMENTS : Le coût d'une solution géomarketing


Une solution géomarketing est composée de plusieurs postes plus ou moins onéreux. Le logiciel de SIG à proprement parler vaut entre 13 000 et 15 000 F, sans les multiples options qui peuvent faire monter les prix jusqu'à 50-70 000 F. Viennent ensuite les données à intégrer au système informatique. Là, tout est possible suivant les objectifs de l'entreprise. On peut débuter à 50 000 F pour aboutir à une note de plusieurs centaines de milliers de francs. Troisième composant : les prestations annexes. Conseil, études, accompagnement, formation : le coût de ces services diffère bien sûr selon la prestation demandée. Experian prend comme exemple une étude sur un point de vente de Toulouse. Celle-ci va demander de quelques jours à quelques minutes s'il existe une connexion directe à une base de données. Il en coûtera environ 10 000 F au propriétaire du magasin. Mais, s'il veut étudier 40 points de vente, et 20 de plus dans les six mois à venir, il devra payer le développement, l'accès direct à la base, la maintenance du système, le conseil. Total : autour de 500 000 F. Si l'enseigne veut étendre cette étude à la France entière, il lui faudra débourser plusieurs millions de francs.

DONNÉES : Accord entre l'IGN et TéléAtlas


TéléAtlas, société de cartographie privée, et l'Institut géographique National (IGN) ont signé un accord sur l'intégration de données géographiques IGN, dont certaines données de la base Géoroute, dans les produits cartographiques de TéléAtlas. Il s'agit d'un contrat d'exploitation de données, comportant la cession des droits, qui permettra à TéléAtlas de compléter son offre cartographique. Aujourd'hui, TéléAtlas revendique une base de données routières couvrant 51 % de la population française. Cet accord avec l'IGN permettra à la société de digitaliser l'intégralité du réseau routier français. La base cartographique sera également enrichie avec la numérotation des rues (adresses, habitations, bâtiments) pour toutes les agglomérations supérieures à 10 000 habitants. Par ailleurs, TéléAtlas annonce aussi un partenariat avec Maporama, "leader européen de la cartographie et de l'information géocentrique en ligne", d'après cette société. Il s'agit ici de réaliser une cartographie de l'Espagne mise en ligne par Maporama. Le portail maporama.com fournit aux entreprises ou aux particuliers des plans de villes ou des itinéraires via le Web.

DONNÉES : Un nouveau prestataire dans l'univers de la donnée localisée


Cartosphère est une filiale d'Esri France dont le métier est double, selon Mathias Fliti, responsable commercial : « Nous proposons une plate-forme européenne et mondiale de distribution de données localisées et l'édition de produits à valeur ajoutée à partir des bases des producteurs de données. » Ces derniers ont pour noms IGN, TéléAtlas, NavTech et GéoSignal. Par exemple, pour un client qui a besoin d'une solution géomarketing sur trois pays européens, sur certaines agglomérations et avec un géocodage à la rue, Cartosphère va identifier le besoin, regarder les logiciels à utiliser et définir les critères de la solution proposée. La filiale d'Esri France agit comme conseil et propose une expertise en données localisées, une diffusion de bases de données géographiques, des prestations d'assistance à la maîtrise d'ouvrage. Avec un chiffre d'affaires de 13 MF en 2000 pour quinze personnes, cette filiale est rentable et Cartosphere espère bien « voir son chiffre d'affaires évoluer de manière très importante en 2001 ». Enfin, un site (www.cartosphere.com) est en cours de création.

SOLUTION : Complex Systems passe le géomarketing au crible


Le spécialiste de l'analyse de données, Complex Systems, élargit le spectre de ses interventions vers le géomarketing avec la solution Crible. Développée avec Uniservices Informatique, spécialiste du traitement d'adresses en marketing direct, Crible se veut "une solution géomarketing à part entière, élaborée à partir des données socio-démographiques de la base Insee, utilisées au niveau local le plus fin". Crible permet de faire du scoring, c'est-à-dire d'attribuer une note à une cible en fonction de critères déterminés. Les applications sont diverses. « Sélection du Reader's Digest ou Dial s'en servent, par exemple, pour réactiver leurs clients inactifs. Ils nous confient un échantillon de leur clientèle, qui comprend seulement les adresses, et nous bâtissons un modèle de score à appliquer sur le fichier des inactifs », détaille Hélène Ivanoff, directrice associée de Complex Systems. Crible est élaborée à partir de données internes à l'entreprise, des données Insee et du fichier des anciens clients des 3 Suisses (5 millions d'adresses). Par exemple, Crible Adresses permet de louer des adresses VPC, sélectionnées à partir d'un score combinant plusieurs centaines d'informations socio-démographiques et sensibles aux produits de vente par correspondance. D'après Complex Systems, ce fichier 3 Suisses serait garanti avec un taux de NPAI de moins de 3 %. Pour faire fonctionner Crible, les deux sociétés associées ont besoin d'un échantillon de 10 000 clients récents avec identifiant, prénoms et adresses complets. Uniservices Informatique s'occupe du traitement des adresses et Complex Systems de la phase de modélisation. D'après Complex Systems, la réactivation d'inactifs coûte 20 centimes par adresse.

GLOSSAIRE : Le géomarketing décrypté


ASP : Application Service Provider, éditeur de logiciels qui propose d'héberger l'application sur ses serveurs contre le paiement d'un forfait pour les consultations. Base de données : Ensemble de données, classées par fichier, relatives à un thème déterminé et associées à un logiciel permettant leur entretien et leur utilisation efficace. Cartographie : Ensemble des études et des opérations - scientifiques, artistiques et techniques - intervenant à partir des résultats d'observations directes ou de l'exploitation d'une documentation, en vue de l'élaboration de l'établissement de cartes, plans et autres modes d'expression. Données cartographiques : Informations renseignant sur les objets observés à la surface de la Terre, y compris leur position géographique, leur forme et leur description. Géocodage : Traitement qui consiste à attribuer des coordonnées X et Y à des données qui ne sont pas dans un format spatial. Le géocodage par adresse postale, qui nécessite une carte des voies, permet d'attribuer aux coordonnées des adresses postales ainsi représentées par une série de points. Institut Géographique National (IGN) : Etablissement public, à caractère administratif, ayant pour vocation de réaliser l'équipement géographique de base du territoire national. Iris 2000 : Pour les communes de plus de 5 000 habitants, l'Iris 2000 est la zone géographique minimale, d'un seul tenant d'environ 2 000 habitants, définie par l'Insee, pour la diffusion à tous publics des comptages, listes et tableaux du recensement 1999 et du fichier logements. SIG : Système d'Information Géographique. Ensemble organisé intégrant différents éléments pour la saisie, le stockage, la manipulation et l'analyse de toutes les informations géoréférencées. Sources : IGN, Insee et GeoNet.

Patrick Cappelli

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