"L'écriture digitale doit rester une langue vivante", Jeanne Bordeau
Extrait de "Le Langage, l'entreprise et le digital", de Jeanne Bordeau:
"Le brand content, le contenu de marque, ne peut pas être l'unique moyen de communication de la marque. Les récits fondés sur les qualités singulières de l'entreprise se sourcent dans un vivier plus large que le seul champ du brand content. Le Web crée un champ de discours infini. Puisqu'on écrit en continu, une vraie stratégie de langage est nécessaire, qui relie tous vos champs d'expression afin qu'ils ne s'entrechoquent pas.
Pour votre entreprise, pour votre marque, créer un contenu ludique ou créatif, c'est du branding de l'instant; c'est utile, mais quelquefois la distraction immédiate n'est pas l'important. Il faut penser un planning stratégique en langage dans la durée, qui réunit tous vos champs de messages et d'expressions.
La multiplicité des outils numériques exalte le langage, et ce n'est pas parce qu'il repose sur différents types de rhétorique et de modes d'expression que penser la complémentarité de vos messages est impossible.
Au moment où les technologies créent de la transversalité, le langage de l'entreprise se libère. Et s'il possède une couleur, c'est parce qu'il va être trempé dans vos valeurs ou dans les attributs dont vous avez décidé pour votre marque. C'est pour cela que l'on voit naître les chartes éditoriales et sémantiques; c'est pour cela que la chaîne de production éditoriale de l'entreprise doit être pensée et envisagée de façon stratégique.
Si créatifs soient-ils, vos messages "patchwork" et juxtaposés ne construiront pas de cohérence dans l'esprit du consommateur que vous cherchez tant à fidéliser. À l'inverse, la multiplication exponentielle de contenus entraîne un phénomène de saturation qui érode l'attractivité de la marque, son pouvoir de séduction et de fidélisation.
Sur son blog, Olivier Cimelière déclare: "Au-delà des formats éditoriaux (texte, vidéo, datavisualisation, e-book, podcast, etc) et des espaces d'interaction à définir en fonction des profils générationnels, les communautés ne veulent pas revivre sur le Web le syndrome de la boîte à lettres bourrée de prospectus en tout genre. Le contenu doit être utile, varié, en rapport direct avec la marque et partagé à un rythme raisonnable. L'enjeu est clair: privilégier la qualité des contenus en intégrant les attentes des publics visés plutôt que s'adonner à un stakhanovisme éditorial qui n'augmentera pas pour autant la part de voix ou l'influence de la marque."
Dans ce maelstrom de changements, les entreprises se diluent et leurs propos estompent la colonne vertébrale de leurs pensées. Face à cette course insensée des messages, nos équipes sont appelées pour donner du sens, créer un fil conducteur et des contenus porteurs de la spécificité de l'entreprise. Posséder cette expertise nécessite, aussi, transmission et donc création d'écoles de langage interne. C'est le cas par exemple chez SNCF, où, avec Stéphane Feriaut, directeur du Département Pilotage et Ligne Métier, nous avons créé, grâce au digital, une École de langage au sein de l'Université de la Communication. [...]
Pour trouver son étoile polaire, il faut d'abord éviter d'écrire à côté de sa pensée. L'écriture et les messages ont été pris en otage par des communautés créatives externes qui font parfois de la "créa pour la "créa", et non pour servir l'expertise de l'entreprise et ses offres. Il s'agit d'être au service de l'offre de l'entreprise de ses métiers, ses collaborateurs, ses clients. Créer l'aura d'une marque repose aussi sur de la vraisemblance. Média et forum à la fois. Plus que jamais, l'entreprise doit savoir qui elle est et pourquoi elle écrit et parle. Ainsi pourra-t-elle commencer à diversifier ses messages sans se disperser.
Si ce que votre entreprise et votre marque expriment ne reflète pas ce que vous êtes, alors tôt ou tard vous affronterez un déficit de qualité. Ces vilains termes trop usés, "wording" ou "éléments de langage" ne suffiront jamais à traduire ce qui fait la singularité et l'étendue des savoir-faire de votre entreprise. Il faut qu'une entreprise et une marque sachent raconter un univers de façon élargie sans pour autant être excentrique, c'est-à-dire hors de leur centre; une marque doit exacerber son identité pour être unique et elle-même. Et se distinguer, ce n'est pas être extravagant ni toujours être dans la disruption.
Aujourd'hui, mettre en langage l'entreprise, la mettre en récit, c'est savoir utiliser chaque outil et média social, chaque social room pour qu'une grande histoire collective s'orchestre. C'est penser l'écosystème de messages comme un corps tenu par un fil d'Ariane. Le dirigeant est le chef d'orchestre de cette vaste composition. Et le directeur de la Communication voit son rôle muter: il devient le garant et l'animateur d'une nouvelle transversalité, il synchronise les différentes directions (marketing, digital, RSE, affaires publiques...).
Élue personnalité communicante en 2015, la directrice de la Communication de Google, Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce, redéfinit ainsi son métier: "Face à des audiences éclatées, les messages doivent impérativement s'adapter aux différents supports, tout en restant cohérents. Au coeur de toutes ces évolutions que connaît l'entreprise, la bonne articulation des actions menées par les services de communication et par les autres départements se révèle essentielle pour assurer la convergence des messages et le rayonnement de la marque." C'est cela, le digital maîtrisé: orchestrer ses contenus pour raconter une histoire pertinente et fonder une expérience sincère et séduisante."
Retrouvez l'interview de Jeanne Bordeau en page 1
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