[Tribune] Comment rééquilibrer les rapports entre la marque et son réseau de distribution?
La digitalisation des marchés a mécaniquement renforcé le pouvoir des distributeurs au détriment des marques. Ce rapport peut être rééquilibré, notamment grâce au drive to store et à la connaissance client, selon Claudine Pagon et Guillaume Rotrou, business hackers, pour l'agence Insign.
L'équilibre de la relation entre les marques et leur réseau de distribution à toujours été un savant mélange de négociations et de partenariats, selon la définition même du trade marketing. La règle n'a pas changé et il n'existe pas de croissance durable possible sans proposition de valeurs mutuelle. Pourtant, le digital a parfois déséquilibré la relation entre ces protagonistes, souvent au détriment des marques, dans un premier temps. Comment rééquilibrer le partenariat au service de la marge des uns et de la satisfaction du consommateur?
La digitalisation des marchés a remodelé les relations de trade marketing sur trois aspects:
- La guerre des prix banalise les opérations promotionnelles de sell in - sell out. L'e-commerce oblige à une transparence totale sur les prix et déclenche une surenchère promotionnelle qui banalise les opérations de sell-out classiques et réduit les marges des marques.
- Les plateformes digitales de trade marketing augmentent la pression concurrentielle sur le sell-in. Leur généralisation permet au distributeur de bénéficier d'offres promotionnelles ajustables en temps réel et donc, de consolider un niveau d'information sur le marché et la concurrence supérieur à celui des marques. Cela augmente la capacité de négociation des distributeurs et génère mécaniquement une tension concurrentielle forte entre les offres des marques.
- Le data marketing consommateur échappe aux marques: la connaissance marketing du consommateur final s'enrichit du côté du distributeur grâce à la digitalisation du point de vente, aux programmes CRM et à l'e-commerce. La data consommateur appartient ainsi de plus en plus aux distributeurs et réduit les capacités d'analyse marketing des marques. À long terme, ce manque de data peut affaiblir les marques en réduisant leur capacité à adapter l'offre à la demande et à engager une relation avec le consommateur dans le but de dégager de la préférence de marque. Alors que le distributeur devient de plus en plus pertinent dans ses offres, l'enjeu est d'autant plus important pour les marques si elles ne veulent pas être affaiblies davantage par la connaissance client engrangée via la data sur le point de vente. Des enjeux d'autant plus importants qui servent les intérêts des marques distributeurs dans leur connaissance du client.
Se réinventer pour tirer profit du digital au même titre que les distributeurs
Dans ce contexte, les marques doivent réinventer une proposition de valeur pour rééquilibrer la relation avec leur distributeur et stimuler de nouvelles formes de partenariats commerciaux. Pour y parvenir, il leur faut repenser une stratégie d'animation commerciale du point de vente basée sur des indicateurs de performance qui relient de manière plus évidente la promesse du sell-in (l'achat des produits par le distributeur) avec les résultats du sell-out (vente des produits par le distributeur).
Concrètement ceci implique d'activer les leviers suivants:
- Motiver le drive to store au profit du sell out: faire moins d'opérations mais privilégier des temps forts qui combinent un dispositif de médiatisation avec une action drive to store. Privilégier les offres promotionnelles à caractère exclusif et avec un concept créatif attractif. Ceci implique d'industrialiser et de digitaliser les opérations courantes exigées par le distributeur pour animer son point de vente à moindre coût annuels, au profit d'opérations marketing consumer et business centric dont l'entreprise a entièrement la maîtrise et qui génère du sell-out.
- Collecter de la data marketing consommateur: renforcer sa connaissance marketing client via la collecte de data pour consolider son business model en réduisant sa dépendance . L'objectif: remettre l'entreprise en position de sourcer son distributeur sur ses consommateurs. Ceci n'est possible qu'à condition de proposer un service complémentaire qui motive le consommateur à "s'embaser" lui-même (extension de garantie, assistance, brand content...) ou à négocier un partage de la data collectée par le distributeur en échange d'avantages commerciaux ou de services marketing.
- Générer de la préférence de marque via un programme CRM: développer une stratégie relationnelle avec le consommateur final sur la base d''n programme de brand content, de services et du selfcare dans lequel les produits seront valorisés selon la stratégie de l'entreprise, sans le filtre du distributeur, et encourager la collecte de data consommateur sur les supports de vente et les produits (e-mail, engagement sur les réseaux sociaux, adhésion à un club consommateur....
- Enrichir l'expérience de marque sur le point de vente: préserver une partie des investissements sur les kits promotionnels, primes et PLV pour l'attribuer à des supports merchandising qui nourrissent durablement l'expérience client en faveur de sa marque sur le point de vente (architecture commerciale, outils d'aide au choix, brand content, services....
- Initier un "trade marketing lab" avec une sélection de points de vente VIP: sélectionner les distributeurs qui valorisent le mieux son offre en terme de ventes et d'expérience client pour en faire un club privilégié d'utilisateurs sur lequel investir plus particulièrement sur les innovations digitales, CRM et merchandising.
- Associer et motiver les forces de vente: le digital ne fait pas tout. Il permet d'industrialiser les actions de promotions récurrentes mais fonctionne d'autant mieux si la marque le couple avec des actions de formation, d'animation et de motivation des forces de vente. La clef du succès: la digitalisation du trade-marketing doit rééquilibrer le rapport gagnant/gagnant entre la marque et le réseau de distribution.
Le digital, s'il est exploité de manière équilibrée, représente un atout considérable pour les marques comme pour les distributeurs. Il permet à la marque et à son réseau de distribution d'inventer une expérience de consommation la plus proche possible des nouvelles attentes des consommateurs en rééquilibrant les investissements et en valorisant le rôle de conseil des forces de ventes.
Après avoir travaillé en agence de publicité, Publicis, Euro RSCG, Claudine Pagon a créé sa propre agence Taxi Brousse, spécialisée en marketing opérationnel en 2000. Après 10 ans d'existence et la révolution digitale, Taxi Brousse et son équipe ont rejoint Insign en 2011. Claudine est devenue alors directrice générale adjointe en charge des activités marketing et activation de l'agence.
Guillaume Rotrou a rejoint Insign, agence de communication spécialisée dans le business hacking en 2010. Il est à présent directeur général adjoint en charges des stratégies et du développement et accompagne les dirigeants des entreprises dans leur stratégie de croissance en activant les leviers de la transformation digitale, du design de services et du marketing des offres. Son parcours associe branding et digital: consultant en stratégie de marques de 1996 à 2000 (Kheops&associés et Paris Venise Design), puis DGA des agence digitales Sqli Agency et Nurun (Razorfish) de 2000 à 2010.
Pour aller plus loin:
Performance digitale: les retailers français dans le top 10 européen
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