Le retour en force des marques de proximité
Parce qu’elles défendent un savoir-faire made in France mais aussi des valeurs d’historicité et d’authenticité, les marques patrimoniales affichent souvent de très bons résultats. A condition de savoir capitaliser sur leur notoriété et de dynamiser leur offre.
Je m'abonnePour la deuxième édition de son enquête « Marques d’avenir », menée en partenariat avec l’institut CSA et Cap Gemini Consulting, l’agence W a interrogé quelque 150 décideurs français sur le « capital d’avenir des marques ». Principal enseignement de ce classement : si les GAFA et les marques de l’économie numérique sont bien placées, à l’image d’Apple, Google et Tesla, qui trustent les trois premières marches du podium, ou encore de Facebook, Blablacar, Amazon, Uber ou Free, les grandes marques patrimoniales restent les plus nombreuses dans le top 30… Avec notamment Renault, Airbus, Total, L’Oréal, Danone, mais également Peugeot, Carrefour, Adidas, Chanel, Bouygues ou Dior.
« Une marque d’avenir a d’abord une histoire », souligne ainsi Denis Gancel, président de l’agence W. Une marque patrimoniale est par définition une marque ancienne, appartenant à l’inconscient collectif, à très forte notoriété, attachée à l’identité d’un pays. Elle peut se prévaloir d’une histoire, de traditions qui lui assurent un fort attachement de la part des consommateurs. « Les marques les plus présentes dans la vie quotidienne des consommateurs ne le sont pas seulement en fonction de leur puissance média, mais surtout de ce qu’elles incarnent », estime Yves Del Frate, CEO d’Havas Media France, à l’origine du classement « Meaningful Brands 2017 ». Principaux critères en jeu : « les bénéfices fonctionnels (innovation, prix), personnels (sens pour le consommateur) et collectifs (engagement de la marque, transparence) ».
Certaines marques font ainsi partie intégrante de notre patrimoine national et de notre culture. Elles sont ancrées dans notre vie quotidienne et dans notre histoire collective. Le secret de leur « jeunesse éternelle » réside non seulement dans l’attachement émotionnel qu’elles ont su créer au fil du temps, mais aussi dans leurs efforts d’adaptation aux nouveaux codes culturels des générations qui se succèdent. Les marques qui durent sont celles qui savent devenir « trans-générationelles ».
C’est l’un des objectifs que poursuit EDF. « Nous sommes dépositaires d’une marque unique, patrimoniale, animée de valeurs fortes et aimée des Français depuis plus de 70 ans », explique ainsi Julien Villeret, directeur de la communication du groupe EDF. « L’enjeu pour nous est de partager ces valeurs avec celles et ceux qui, bientôt, auront à choisir leur fournisseur d’énergie. EDF a toujours été une entreprise et une marque en prise avec son époque et doit continuer à faire partie intégrante de la culture et de la vie des Français ».
Pour engager le dialogue avec les moins de 25 ans, EDF développe la communication de sa marque sur les réseaux sociaux. Après Facebook, Twitter, Instagram et LinkedIn, le groupe vient ainsi de lancer son compte Snapchat. Les « millenials » ont une perception parfois assez lointaine de l’entreprise car ils ont très peu de raisons d’être en relation avec elle. Ils n’en sont pas clients pour la plupart et en ont une vision souvent industrielle. L’objectif est de s’adresser à eux avec leurs codes en s’inscrivant dans leur quotidien et leurs usages, d’être une marque proche d’eux, qui fait partie de leur univers. Ce nouveau concept sur Snapchat s’inscrit dans la lignée de la saga publicitaire « Electric » avec le comédien Eric Judor.
« EDF bénéficie d’une notoriété de 100 % en France, explique Julien Villeret. Elle est une marque patrimoniale, portée par de grands projets d’infrastructures du pays dont la prégnance est forte auprès des plus de 35 ans. Pour les plus jeunes, en revanche, il n’y a pas d’imaginaire autour de la marque. A ceci s’ajoute le fait que les « millennials » constituent la première génération qui va avoir le choix de son fournisseur d’énergie lorsqu’elle s’installe. Ils doivent pouvoir faire leur choix en conscience et pour cela la notoriété et la confiance associées à EDF ne suffisent plus. Il faut nourrir l’imaginaire de marque auprès de ces jeunes ».
Mettre EDF dans le quotidien des jeunes adultes, montrer que la marque est capable de s’adapter à leurs codes et à leurs attentes, engager le dialogue autour d’un contenu plutôt que d’une offre : tels sont donc les piliers de cette nouvelle approche. C’est également dans cette perspective que le groupe est aussi très présent dans les écoles avec une communication pédagogique sur l’énergie, l’économie d’énergie, les énergies renouvelables… Et c’est aussi dans le cadre de cette stratégie que la marque a par exemple demandé à cinq artistes instagramers de travailler sur le thème de la production d’énergie, des éoliennes et des énergies renouvelables, à l’occasion de la publication de son rapport annuel.
Le réseau d’opticiens Optic 2000 s’inscrit également dans le club très fermé des marques patrimoniales, qui ont su cultiver une relation de proximité et de confiance avec les Français. Tout a commencé avec la création, en 1962, d’une coopérative : le Groupement d’achats des opticiens lunetiers (Gadol). Rebaptisée Optic 2000 sept ans plus tard, la marque a conservé ses statuts d’origine et ses principes fondateurs : la libre adhésion des opticiens, une gestion démocratique et participative, un engagement social et solidaire au service de l’accès aux soins pour tous. « Les six piliers de notre approche RSE sont la citoyenneté, la solidarité, la mode, l’innovation, le professionnalisme et la proximité », souligne ainsi Yves Guénin, secrétaire général de l’enseigne. « Notre culture d’entreprise, c’est de remplir une mission de services auprès des Français qui nous font confiance et auprès de la société ». Fort de ces principes, la coopérative a prouvé qu’un acteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) pouvait réussir sur son marché. Avec 1 200 magasins en France et 13,5 % de parts de marché, Optic 2000 est en effet aujourd’hui le premier réseau français d’opticiens et la première chaîne de distribution non alimentaire.
Grâce à ce maillage territorial dense, y compris dans les territoires ruraux, Optic 2000 s’affirme comme une marque de proximité. « 85% des Français se trouvent à moins de quinze minutes en voiture d’un point de vente Optic 2000 », souligne Yves Guénin. L’engagement social et solidaire de la marque se traduit concrètement par les efforts menés pour faciliter l’accès aux soins pour tous. L’opération « Objectif zéro dépense » consistait ainsi à soumettre à chacun des clients du réseau deux propositions, dont l’une, en première intention, avec un reste à charge nul ou le moins élevé possible.
Egalement à l’origine du principe de « la deuxième paire pour un euro », Optic 2000 s’est engagé à verser cet euro au Téléthon, ce qui représente une contribution d’environ un million d’euros par an. Avec son « Tour Auto Optic 2000 », l’enseigne propose aussi des tests gratuits de la vue et de l’audition, et mène des campagnes de dépistage et d’équipement en lunettes en Afrique. Premier client de la lunetterie française, Optic 2000 a aussi fait le choix du « made in France ».
Dans un tout autre domaine, Bordeau Chesnel a su également capitaliser sur sa forte notoriété tout en se renouvelant. En misant à la fois sur sa dimension intemporelle, ancrée dans le terroir, et sur une offre dynamique, la marque de rillettes du groupe Savencia (ex-Bongrain) affiche aujourd’hui une croissance moyenne de ses ventes de 4 % par an depuis cinq ans sur un marché de la charcuterie atone. « C’est une marque patrimoniale. Or, aujourd’hui, des éléments comme l’authenticité, la notion d’origine, l’absence de conservateurs sont porteurs auprès des consommateurs », explique au journal Les Echos Marie Grimaldi, directrice générale de l’enseigne. La marque a d’ailleurs décidé d’indiquer désormais sur ses pots l’origine française du porc de ses rillettes.
Pour séduire les nouvelles générations, la marque au pot rouge emblématique a aussi élargi considérablement sa gamme et ses produits, jusqu’à intégrer des épices et des ingrédients exotiques. Pour toucher les publics vigilants sur les calories et les lipides qu’ils absorbent, elle propose une rillette de porc sans graisse ajoutée, ainsi qu’une version allégée en matières grasses. La marque s’est aussi diversifiée sur le marché des saucissons secs affinés. Autant d’innovations produits qui s’inscrivent dans les fondamentaux de la marque, inscrits notamment dans le célèbre slogan publicitaire créé en 1986 « Nous n’avons pas les mêmes valeurs », qui sert toujours de fer de lance à la communication de la marque, même si l’expression se modernise, en particulier sur les réseaux sociaux.
Pour rester au goût du jour et toucher de nouveaux publics, la marque a su ainsi revisiter son offre et son discours, tout en capitalisant sur son statut de marque patrimoniale et sa proximité avec les Français. D’autres marques nées il y a de nombreuses années continuent également à progresser sur leur marché, à l’image par exemple de Bonduelle dans le secteur des légumes, de Fleury Michon dans la charcuterie, ou de Mixa dans les produits d’hygiène et de beauté. Le secret de leur longévité ? Fortes de leur « capital image », elles continuent de se développer grâce au lancement de nouveaux produits et à la diversification sur de nouveaux marchés proches. Innovation et créativité sont les deux constantes immuables de toutes ces approches.
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