Grande distribution: la course à la donnée est la nouvelle ruée vers l'or
La science des données est désormais l'alliée incontournable des entreprises soucieuses de cerner et de fidéliser un consommateur devenu insaisissable. Les acteurs de la grande distribution ne pourront, pas davantage que ceux des autres marchés, s'en passer s'ils veulent rester performants.
Je m'abonneDans une économie globalisée, ce n'est plus à la taille de son marché qu'une entreprise mesure sa compétitivité, mais à l'expérience client. Ce dernier n'étant plus figé, mais constamment mouvant, on ne le rencontre plus au même endroit. La technologie numérique a multiplié les points de contact, donnant à chacun des spécificités et induisant des comportements différents: besoin d'offres exclusives, de solutions mobiles, de transparence, d'engagement des marques, de reconnaissance, d'autonomie.
L'analyse des données doit tenir une place centrale et transversale dans la stratégie d'entreprise.
Si l'on ajoute l'heure et le lieu de la connexion aux sites, réseaux sociaux et autres applications, on obtient une clientèle disparate, qu'il faut savoir capter au moment opportun avec le contenu approprié. Les entreprises ont en face d'elles un public plus exigeant: le web conversationnel les expose à l'instantanéité des messages, et les oblige à targeter leur offre avec précision, sous peine d'ennuyer le client ou de cibler la mauvaise personne.
Cela revient à cerner assez tôt les changements qui s'opèrent dans les modes de consommation. Des changements qui, s'ils déroutaient auparavant, sont aujourd'hui quantifiables, mesurables, et peuvent être interprétés en vue d'ajuster la stratégie d'approche, de retargeting et de vente. À une condition cependant: celle d'accorder à l'analyse des données la place qui lui revient dans la stratégie de l'entreprise, c'est-à-dire une place centrale et transversale.
En rachetant Whole Foods en juin dernier, géant américain de l'alimentaire bio, Amazon accélère la matérialisation de la culture data driven (stratégie guidée par la donnée). Sans supprimer pour autant le shopping physique, auquel les consommateurs continueront d'avoir recours pour leurs achats essentiels, Amazon entérine la prédominance du commerce orienté par la donnée. Plus encore: il a créé le chaînon manquant à l'union du commerce on line et off line.
À lire aussi
La culture data-driven dans la grande distribution
Une stratégie data driven est une démarche guidée par les données, traces que laissent les clients sur les supports numériques, et qui recèlent des informations précieuses sur leur opinion et leur comportement vis-à-vis de l'offre. Une technologie data driven, basée sur l'analyse des données et la prédiction, servira de viseur à toute entreprise consciente qu'il s'agit là de son atout principal: à travers ce viseur, elle pourra déceler en temps réel les changements récurrents (variations des comportements clients) et les bouleversements majeurs (applications, réseaux sociaux, opérations de la concurrence, émergence de nouveaux usages, etc.).
Certains grands distributeurs avaient déjà posé un pied timide sur le commerce en ligne, sans aller plus loin que les outils CRM pour garder leur clientèle. Ils doivent à présent passer à la vitesse supérieure en se servant de l'analyse des données pour ancrer leurs stratégies dans le réel. Sans analytics, sans stratégie orientée par la donnée, elles auront du mal à comprendre les paramètres de l'environnement numérique de leurs clients.
Cela passe inévitablement par plusieurs actions à mettre en place. Une entreprise réussit sa démarche data driven lorsqu'elle comprend l'importance des données d'audience pour mesurer ses campagnes. Elle doit également rendre accessible les données stratégiques à ses équipes internes, afin que la stratégie soit un mouvement collectif, porté par tous les départements. Enfin, la compétitivité d'une stratégie data driven se construit grâce au travail d'une équipe dédiée à la gestion des données (data team), qui aidera les autres équipes à interpréter les données collectées, et construira des projets basés sur des données récoltées en temps réel. L'agilité, l'ouverture vers l'extérieur, la capacité d'innover en se basant sur les informations liées aux clients seront la clé du succès des distributeurs engagés dans une stratégie orientée par la donnée.
Les contours d'un nouveau commerce de détail
Le commerce de détail est-il voué à disparaître pour autant? Rien n'est moins sûr. L'avènement des drones livreurs et du click & collect n'aura pas raison du commerce physique. Ce que prépare le géant de la donnée pour la distribution est bien plus ambitieux: en acquérant des données non pas plus nombreuses, mais de meilleure qualité, car plus solides, Amazon dessine à coup sûr les contours d'une nouvelle manière de faire de la distribution, sans que l'on puisse exactement en distinguer les détails.
Pour aller plus loin
Les consommateurs continueront à se rendre en magasin, car la donnée est après tout au service du jugement humain; cependant, rien ne nous dit si ce sera encore pour y parcourir des rayons et choisir des produits, si ce sera uniquement pour retirer des produits achetés en ligne - des produits parfois proposés aux clients à l'aide d'algorithmes ayant déterminé leurs préférences -, ou si une expérience client d'un autre genre les y attend. Quoi qu'il en soit, plus vite les distributeurs actuels prendront conscience du changement qui est en train de s'opérer, plus ils seront en mesure de rester indépendants, et pourront éviter de se voir rachetés par les champions de la donnée.
À propos de l'auteur
Florian Douetteau est CEO et cofondateur de Dataiku. Diplômé de l'École Normale Supérieure, il débute sa carrière chez Exalead, qu'il rejoint en 2000 pour mener une thèse sur le développement du langage de programmation Exascript. Il y restera jusqu'en 2011, occupant successivement plusieurs postes de direction et de vice-président dans les domaines de la recherche, du développement et du management de produits. Après un passage chez Is Cool Entertainment en tant que chief technology officer, il intègre Criteo pendant quelques temps comme data scientist freelance, avant de se lancer dans l'aventure Dataiku en 2013.