Antoine Denoix (AXA): "Il n'y a pas de mauvaises données, mais une foule de mauvaises interprétations"
Comment (vraiment) valoriser vos données : telle est la question à laquelle s'est attelé Antoine Denoix, directeur marketing, data et digital d'AXA France, dans son livre "Big Data, Smart Data, Stupid Data" (Dunod).
Je m'abonneVous êtes en charge de la direction marketing, digital et service client d'AXA France, comment est née l'idée de ce livre visant à aider les marques à valoriser leurs données ?
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Antoine Denoix : L'écriture de ce manuel est nourrie de mon expérience "data", que ce soit au sein de la start-up fifty-five spécialisée dans le data marketing* - et l'exploitation de données digitales pour optimiser l'achat média, en particulier -, ou au sein d'AXA France avec un prisme de la donnée davantage tourné vers le "business". Dès mon arrivée chez AXA en 2014, nous avons constitué une première équipe dédiée au big data, construit un datake et lancé un premier lot de cas d'usage. Nous avons connu des réussites, mais également des échecs, et il m'a semblé intéressant de prendre un peu de recul sur ces expériences afin de témoigner des bonnes recettes pour avancer sur le chemin de la valorisation des données.
* agence qu'Antoine Denoix a cofondée en 2010
Quel est pour vous le principal point de blocage auquel les marques sont confrontées pour intégrer la data à leurs projets ?
L'élément clé pour mener une stratégie data est de clarifier l'ambition. La data, pour "faire mieux" ou pour "faire autrement" ? "Faire mieux", c'est s'appuyer sur les données pour améliorer les process existants : actions commerciales, RH, ou, encore, service-clients... Le risque ? Mettre une couche de big data sur de l'existant n'apportera qu'un gain de business incrémental, souvent pas à la hauteur des investissements consentis par l'entreprise. Pour changer la donne, il faut utiliser la data pour "faire autrement" : revoir son offre et sa proposition de valeur. Cela suppose une transformation en profondeur de l'entreprise. Bien utiliser les données consiste alors à remettre en cause les process. À l'instar de la marque Rolls Royce dont le métier n'est plus de vendre plus de moteurs d'avions, mais de vendre des abonnements de services (maintenance, via la data notamment).
Vous publiez un livre sur la data, mais qui, finalement, parle beaucoup d'humain...
L'un des pièges dans lequel tombent les organisations est de ne considérer la big data que par le prisme des algorithmes et des data sciences. Or la clé de la réussite d'un projet big data se trouve dans l'humain. Pour la plupart des entreprises, l'enjeu n'est pas de remplacer l'être humain par des algorithmes, mais d'enrichir le quotidien des personnes grâce à la data : il est primordial d'être attentif à la réception par l'utilisateur final des choix induits par la machine. Sans un minimum de maîtrise par les collaborateurs, un algorithme, aussi perfectionné soit-il, fera flop.
Vous incitez les marques à se méfier des données externes. Pourquoi ?
Les données externes portent en elles beaucoup de promesses, mais le marché est encore peu mature et fournit quasi exclusivement par des acteurs de la publicité (Google, Facebook...) - donc payantes. Je conseille aux entreprises d'enrichir d'abord leurs données internes, dont beaucoup sont enfouies dans les systèmes d'information et ne communiquent pas entre elles ou ne sont pas mises à jour. Faire le pont entre les différents territoires de données est un véritable enjeu culturel et technologique. Pour ce faire, les entreprises se doivent de collecter toutes les informations sur leurs clients et sur leurs comportements (avec leur consentement bien sûr !), et ce, qu'elles soient utiles, ou non, immédiatement - car beaucoup d'entre elles le deviendront un jour !
N'est-ce pas contradictoire avec le règlement sur la protection des données personnelles (RGPD) qui oblige les marques à informer leurs clients des finalités du traitement auquel sont destinées leurs data ?
Le RGPD impose certes une minimisation de la collecte, mais il demeure possible de collecter des données en demandant l'autorisation des utilisateurs, et d'être, ainsi, en parfaite conformité avec la réglementation. L'acteur qui tirera son épingle du jeu sera d'ailleurs celui qui réussira le "value for data", c'est-à-dire restituer un maximum d'offres et de services à partir des données collectées.
La notion de "stupid data" est présente dans le titre de votre livre : existe-t-il vraiment des données "stupides" ?
Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises données, mais une foule de mauvaises interprétations ! Un biais d'interprétation répandu est de confondre causalité et corrélation, l'ouvrage apporte quelques exemples. Le "stupid data" désigne aussi le réflexe de considérer que si un algorithme est efficace, les gains business suivront naturellement. La bonne pratique montre au contraire la nécessité, pour la plupart des entreprises, d'associer harmonieusement l'algorithme et l'utilisateur final.