Masculin-féminin, les codes se rebiffent
Masculin, féminin, les rôles se redéfinissent. C'est la tendance “Gender Flexibility” (élasticité des genres) où chacun joue avec les codes de son identité sexuelle sans renier son origine. Les marques tentent de suivrent le rythme.
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Deux vagues de fond ont largement remodelé les frontières entre hommes et
femmes : la féminisation de la société et une moindre différenciation des
sexes. «Ce n'est pas nouveau. Cela fait des années que ces tendances secouent
les sociétés occidentales. Mais on a sous-estimé les conséquences directes sur
les identités féminine et masculine, en pleine redéfinition... », analyse
Maryline Nguyen, responsable de l'observatoire des évolutions socioculturelles
en France chez Sociovision Cofremca, dont l'une des dernières études traite de
ce sujet. L'évolution des mœurs au cours des quatre dernières décennies
explique, en grande partie, cette petite “révolution des genres”. Depuis les
années 1960-70, l'émancipation féminine a chamboulé en profondeur les
certitudes établies. Les femmes ont “rattrapé” les hommes sur la plupart des
territoires auparavant exclusivement masculins, même s'il persiste des
inégalités, dans l'univers professionnel par exemple (salaires, parité...). La
plupart d'entre elles ont gagné leur autonomie à tous les niveaux, certaines
gagnant bien plus que leur conjoint.
L'identité masculine dans la tourmente
Les femmes ayant changé, les hommes sont contraints
d'évoluer à leur tour. La forteresse masculine, assise sur les piliers de
l'argent, du travail et du pouvoir, s'est effondrée. L'homme n'est plus
l'unique chef de famille. Il tente de se reconstruire une identité moderne sur
des bases nouvelles (voir interview de Valérie Colin-Simard). « L'image
masculine dans la publicité depuis vingt-cinq ans montre bien le chemin
parcouru. Nous sommes passés du cowboy Marlboro et de la perfection au masculin
façon Gillette, à Kookaï qui jette les hommes à la poubelle et Coca Light (le
livreur) mettant en scène l'homme objet sexuel », décrypte Mickaël Palvin,
planneur stratégique chez Proximity BBDO.
L'homme occidental - en tous cas
celui issu des générations post 1968 - a perdu de sa superbe, devenant plus
sensible, plus perméable aux émotions, plus fragile aussi. Les héros peuvent
pleurer, comme dans le documentaire “Les yeux dans les Bleus” sur l'équipe de
France de football lors de la Coupe du Monde 98. « L'influence des homosexuels,
désormais bien intégrés à la société, se fait sentir. Ils revendiquent un goût
de l'esthétique, un nouveau rapport au corps. Très influents sur les modes, ils
ont donné l'impulsion», remarque Valérie Lalanne, directrice au sein du cabinet
de conseil stratégique Added Value Icon. Les hommes s'ouvrent davantage aux
autres, au bien-être, à la paternité, au romantisme, rejoignant ainsi les
femmes sur le terrain des sentiments.
Il faut dire que la tendance générale
est au mélange des genres : fusion food, world music, décoration intérieure,
métissages culturels... «On va vers une mixité, une fusion des identités »,
reconnaît Valérie Lalanne. Mais, à force d'être trop proches, mixtes, aux
valeurs interchangeables..., les contours des identités masculine et féminine
sont devenus flous. Cela engendre une perte de repères, un profond désarroi. On
assiste à une montée de l'incompréhension pour l'autre sexe. Comme le prouve le
succès planétaire de la collection de livres anglo-saxons “L'homme vient de
Mars et la femme de Venus”. La crise identitaire touche au premier chef les
hommes, de nombreuses études le montrent. Ayant perdu leur sens de
l'orientation bi-polaire, masculin-féminin, ils se sentent déboussolés.
D'autant que la morale collective n'est pas de leur côté. Les valeurs féminines
- ouverture, respect du vivant, bien-être, émotion, sensualité - sont en
hausse, considérées comme modernes, alors les masculines - travail, argent,
conquête, pouvoir - s'effritent.
Masculin-féminin : la redistribution des rôles
« Ces mutations s'accompagnent d'un
retour de bâton », pointe Françoise Weishaupt, planneur stratégique chez Young
& Rubicam. Il prend la forme de ce que l'étude Sociovision Cofremca appelle une
“re-sexuation”. C'est-à-dire la réaccentuation des différences entre hommes et
femmes. « Les femmes “se la jouent” très femmes, les hommes s'amusent à faire
les mecs », note Maryline Nguyen. « La parité progresse, mais en même temps
chaque sexe revient vers ses fondamentaux par réaction à ce qui le dépasse »,
analysent Lionel Turcy et Stéphane Dieutre du cabinet conseil en innovation
eXperts. Barbie ne vient-elle pas de jeter son fidèle Ken ? Trop lisse, trop
consensuel. Son remplaçant serait un mec, un vrai, un brun viril. Un signe.
Face à “l'homme mou”, décrit par Elisabeth Badinter, élevé par une mère
féministe, et à sa difficulté à se recomposer une nouvelle identité, une partie
de la nouvelle génération d'hommes est tentée par un retour à des codes qui
font très “mâles” : poses rebelles façon Levi's 501 “Anti-form”, attitudes bad
boy aux gestes violents, langage grossier... « Le traumatisme des attentats du
11 septembre et les menaces en tout genre engendrent un besoin de réassurance
qui se traduit par un retour vers les valeurs de l'homme tout puissant,
conquérant, sans faille », analyse Mickaël Palvin.
De leur côté, les femmes
veulent se sentir pleinement femme, pouvoir se montrer sexy sans être “ni pute
ni soumise”, ou femme-enfant si cela leur chante. Et ne pas avoir à “singer les
mecs” pour réussir leur vie professionnelle. Certaines optent pour une attitude
girl power et d'autres s'assument sans complexe comme objet sexuel. « On voit
même des pubs qui remettent en cause leur rôle de mère, où, distraites, elles
"oublient" un instant leur enfant. C'était impensable il y a quelques années »,
poursuit Mickaël Palvin.
Alors, phase de régression et retour annoncé de la
guerre des sexes ? Non, rassurent les sociologues qui évoquent plutôt une
“ré-appropriation” de son identité sexuelle, étape nécessaire pour se
reconstruire. « C'est une recomposition volontaire de codes sexués, qui ne
remet pas en cause les progrès faits dans l'égalité des sexes, explique Anne
Beaufumé (Sociovision Cofremca). Ce mouvement signifie “arrêtez de nous
fusionner tout le temps. Nous sommes des êtres humains à part entière, à la
fois semblables et différents.” » Les attitudes ultramachistes dans les cités ?
A prendre comme des alertes dans un mouvement général d'évolution des mœurs. «
Après tout, quand les difficultés sociales s'effacent, les valeurs positives
reprennent le dessus. Toutes les personnalités issues des banlieues, Thierry
Henry, Djamel Debbouze, Stommy Bugsy... prônent aujour- d'hui le respect des
femmes, la tolérance..., lance Mickaël Palvin. Il n'y a que Joey Star pour
faire de la résistance ! »
Jeux de codes, jeux de genres
L'âge et le sexe ne suffisent plus aujourd'hui à définir un
individu. L'homme ou la femme des années 2000 a une personnalité multifacette.
Nous vivons plus jeune plus longtemps et nous pouvons faire appel à la
chirurgie esthétique. Le comportement et l'apparence prennent le pas sur le
genre. Chacun joue sur différents registres de son identité selon les
circonstances. Telle jeune femme aura, par exemple, une attitude très
rationnelle, presque masculine, dans son cadre professionnel. Puis elle
troquera son tailleur pour une tenue d'amazone, en combinaison moulante pour sa
séance de gym, poursuivra en se faisant très féminine pour sortir en amoureuse
et, repassera en jeans unisexe cool le week-end.
C'est l'avènement de ce que
les Américains appellent la “Gender Flexibility” ou élasticité des genres. « La
société moderne nous impose d'être toujours plus flexible, dans son travail,
dans notre emploi du temps, dans nos rapports aux autres, rappelle Françoise
Weishaupt. Les codes figés n'ont plus leur place. C'est une approche ludique à
son identité : on reprend les modèles anciens et on les modernise en les
réinterprêtant, avec humour ou décalage.»
Ce jeu va bien dans la mouvance
actuelle qui veut que l'on casse les règles. Et l'identité en est une. C'est
aussi l'effet d'une séduction à tous les étages qui s'étend au-delà de la
sphère amoureuse : les rugbymen, athlètes virils par excellence, gladiateurs
des stades, n'hésitent plus à se montrer nus dans des poses sexy avec des
peluches roses sur un calendrier. Et Samuel de Cubber, champion d'art martial,
a posé entièrement nu pour le parfum M7 d'Yves Saint Laurent. Une marque a sû
bâtir son succès sur cette approche ludique des genres. C'est Nickel et ses
produits de beauté pour hommes baptisés “Lendemain de fête”, “Gueule de bois”
et servis dans un packaging décalé (jerrican...).
De nouveaux terrains d'expression pour les marques
« Il est faux de dire que
l'homme se féminise trop. La virilité est toujours là, mais elle se pare de
nouveaux atours, observent Lionel Turcy et Stéphane Dieutre. Le phénomène de
recentrage touche aussi les femmes, surtout la génération post féministe des
20-35 ans ». Un point de vue partagé par Valérie Lalanne : « Les modèles
traditionnels d'éternel masculin et d'éternel féminin ne disparaissent pas.
Mais l'expression de son identité devient plus libre, plus ouverte. » Un nouvel
équilibre s'installe où chaque sexe emprunte à l'autre ce qu'il trouve bien,
utile. Par exemple, les hommes n'ont plus peur de se raser les aisselles, geste
jusqu'ici typiquement féminin. Ils le font pour des raisons plus hygiéniques
qu'esthétiques, imitant les sportifs de haut niveau. Et les femmes utilisent
des sticks de fond de teint, dérivés des sticks déodorants pour hommes, plus
pratiques.
Côté marques, les “emprunts” se font dans les deux sens. Eminence,
marque virile, sort des slips kangourou pour femmes, en version échancrée
tandis que Scandale, lingerie de charme, lance des strings pour hommes et des
T-shirts en résille moulante. Guerlain sort sa version mate et mâle de sa
fameuse Terracota. Jean-Paul Gaultier lance le premier rouge à lèvres pour
homme, dans sa ligne de maquillage “Le Mâle Tout Beau Tout propre”. Et les
bijoux masculins font leur entrée en force dans les linéaires. Nombre de
“mâles” n'hésitent plus à faire un régime, sans complexe. A l'image de
Sveltesse montrant Richard Berry, beau brun viril, dégustant avec plaisir son
yaourt 0 %. Ou de Contrex. « En fin de compte, le maître mot est
l'épanouissement personnel », lance Françoise Weishaupt. Et cela passe par
l'acceptation de sa part féminine pour les hommes et masculine pour les femmes.
Même si beaucoup d'efforts restent à faire, la recherche des identités suit la
bonne direction, vers une nouvelle complicité entre hommes et femmes, une
société plus ouverte, plurielle. Ce que traduit avec optimisme le psychanalyste
Bernard Torgemen dans le livre de Valérie Colin Simard (Nos hommes à nu) : « On
a joué socialement le masculin-masculin et le féminin-féminin. Maintenant, on
se rend compte qu'il y a du masculin-féminin et du féminin-masculin possibles.
On est passé du blanc au noir à toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Ce qui va
être beau, c'est ce superbe tableau que l'on va brosser à la génération d'après
où il y aura vraiment beaucoup de couleurs.» Aux marques d'affiner leur palette
en conséquence.
La vraie tendance est que les hommes se remettent enfin en question
Dans son tout nouveau livre “Nos hommes à nu” (Plon), Valérie Colin-Simard* a interviewé de nombreux “psy” et sociologues sur les profonds changements qui secouent l'identité masculine et leur rapport aux femmes. Instructif.
Qu'est-ce qui ressort le plus dans votre enquête ?
Valérie Colin-Simard : Les hommes sont en pleine mutation. La plupart des spécialistes que j'ai interrogés le montrent : ils sont acculés au changement, par leur femme, par la société tout entière. Les valeurs “masculines” d'autorité, de pouvoir ne sont plus assez solides : aucun n'est plus àl'abri d'un licenciement, d'un divorce, d'une faillite. Ils n'ont plus de certitudes. Trop longtemps les hommes ont délégué aux femmes la gestion du quotidien, de la famille. Ils en ont perdu le sens des réalités. Aujourd'hui, ils veulent se retrouver, devenir des êtres à part entière. Cela passe, par exemple, par s'occuper des enfants ou le partage des tâches. Les hommes n'acceptent pas aujourd'hui de faire la vaisselle parce qu'ils aiment ça mais parce qu'il s'agit d'une attitude globale d'ouverture. Une sorte d'écologie personnelle.
Certains refusent et sont tentés par des attitudes très machistes...
V C-S : Pour moi, ce n'est qu'une petite partie d'entre eux, les plus déboussolés. Ils sont à cheval entre deux mondes, l'ancien et le nouveau. Ils vivent un conflit intérieur permanent. Alors souvent il se raccrochent aux anciens repères masculins. Pour s'en sortir, ils doivent se réapproprier les valeurs de l'autre sexe. Ceux qui réussissent sont ceux qui acceptent leur vulnérabilité tout en gardant leur virilité. Ce n'est pas incompatible, bien au contraire. Ils apprennent à reconquérir leur féminité intérieure sans cesser d'être des hommes.
Et les femmes ?
V C-S : Elles veulent aussi reconquérir leur féminité, être sexy sans qu'on leur reproche, avoir le droit à l'erreur dans leur travail, dans leur famille, pouvoir s'arrêter de travailler sans état d'âme. Et puis les hommes en ont ras-le-bol des “femmes-mecs”. Hommes et femmes ne sont pas au même stade d'évolution. Les femmes sont en avance car elles ont déjà fait ce travail sur elles-mêmes. Mais les hommes bougent vite. Ils les rattraperont rapidement.
Cette tendance n'apparaît pas tellement dans les médias...
V C-S : Les médias et la pub tendent trop souvent à la caricature, à ne présenter qu'un aspect des choses. Pour moi, par exemple, la tendance “métrosexuels”, c'est anecdotique, cela ne représente qu'un faible pourcentage. La vraie tendance est que les hommes, en crise d'identité, se remettent enfin en question en profondeur. L'occasion de découvrir au-delà des apparences, qui ils sont vraiment. D'ailleurs, phénomène nouveau, ils sont de plus en plus nombreux à aller voir un psy, sans honte. Cette évolution des identités masculine et féminine ne se fait pas sans conflits, sans obstacles, mais les comportements évoluent dans le bon sens. * Journaliste à Psychologies Magazine, auteur de plusieurs ouvrages. Parmi les personnalités interrogées dans son livre, on retrouve Willy Pasini, Jacques Salomé, Yves Donnars, Willy Barral, Bernard Torgemen, Guy Corneau...
Métrosexuels : la masculinité revisitée
l C'est un concept à la mode, médiatisé par une étude d'Euro RSCG Worldwide, en juin dernier, qui reprenait un terme inventé en 1994 par l'écrivain anglais Mark Simpson. L'appellation “Métrosexuels” désigne les hommes de moins de 40 ans, "métropolitains" (urbains) et hétérosexuels, qui assument leur part de féminité sans avoir peur de passer pour des homos. Ces dandys du XXIe siècle portent un soin particulier à leur apparence, utilisent des produits de beauté, s'habillent de tenues sophistiquées, s'épilent, portent des bijoux. Leurs icônes sont à chercher du côté des sportifs, comme le footballeur David Beckham - qui n'hésite pas à se maquiller, à porter un sarong - ou les rugbymen du Stade Français - photographiés dans des poses suggestives pour un calendrier - , ou encore les acteurs Leonardo di Caprio ou Johnny Dep. L'étiquette "Métrosexuels" ne durera qu'un temps avant d'être récupérée par les marques de beauté, la mode, la presse (cf. le tout nouveau journal créé sur cette cible, Préférences Mag). Mais elle aura au moins prouvée que les chemins de la virilité sont multiples.
A lire pour creuser la question
l La place des hommes et les métamorphoses de la famille, par Christine Castelain-Meunier (PUF). Le travail du genre, par Jacqueline Laufer, Catherine Marry et Margaret Marouani (La Découverte). Les ambivalences de l'émancipation féminine, par Nathalie Heinich (Albin Michel). Les jeunes et l'identité masculine, par Pascal Duret (PUF). Fausse route, réflexions sur 30 ans de féminisme, et XY, de l'identité masculine, par Elisabeth Badinter (Odile Jacob). l Les hommes se transforment, par Paule Salomon (Albin Michel).