Marques, communication et mascottes
Certaines marques se dotent de mascottes pour communiquer. Quelles sont leurs motivations, le fonctionnement et les résultantes de cette démarche?
Je m'abonneEn premier lieu, les bénéfices directs de l'utilisation d'une mascotte sont la visibilité, la simplicité, l'immédiateté et la mémorisation. Une mascotte permet, à travers sa dimension iconique, une meilleure identification et différenciation de marque. Elle offre une personnalité simple au destinataire et permet ainsi une bonne assimilation et appropriation.
Une mascotte permet en outre de véhiculer de l'affect à travers une personnification et d'induire de la confiance en créant du lien et de la complicité. Cette proximité est susceptible de générer de l'attachement à la marque.
La mascotte constitue une sorte d'émanation, c'est un porte-parole, de la marque émettrice. Elle construit une relation symbolique entre l'émetteur - la marque - et le destinataire; offre un déplacement et une dédramatisation entre l'extériorité qu'est la marque, et l'intériorité de la cible visée.
Un tampon anthropologique
La mascotte comme intercesseur suit le processus général suivant: elle suppose un monde qui peut comporter une certaine négativité, déplace l'inquiétude qui peut en résulter et, enfin, rassure potentiellement. Car la mascotte, foncièrement «innocente», désamorce une suspicion possible. De par son appartenance à deux réalités - l'une interne, psychique, qui possède un caractère «soft», et l'autre externe, supposée «hard» -, c'est une sorte de tampon anthropologique qui joue un rôle principal de facilitateur entre le destinataire et l'émetteur qu'est la marque, dont elle est l'émanation déplacée. On voit ainsi les bénéfices à utiliser une mascotte, d'autant plus si l'univers produits de la marque comprend une forme de dangerosité, d'urgence, de nécessité... Grâce à sa posture extérieure, elle contrecarre l'affrontement possible des deux inter-actants, et éloigne la méfiance possible du destinataire, tout en énonçant les propositions de la marque émettrice.
On peut classifier les mascottes en trois typologies principales: les référentielles agissent comme si l'objet ou le service nous parlait directement; les spéculaires jouent le rôle de double anthropologique porteur d'identification ; les élémentaires sont comme de l'instinctivité pure, des êtres simples, sans duplicité. Cette typologie renvoie à trois mondes: le monde objectal, au-dessus de soi et lointain (monde diurne de la relation aux objets extérieurs) ; celui du double de l'image spéculaire comme un autre soi-même (monde des masques) ; et enfin le monde régressif de l'enfance ou de la conscience suspendue (monde nocturne des fantasmes et projections psychiques). Illustrons cela par les exemples de marques qui utilisent des mascottes dans leur communication générale: Michelin, Groupama et Butagaz.
La mascotte de Michelin est l'incarnation de l'objet référentiel de la marque sous un aspect technoïde. Sorte de géant antique, elle défend le consommateur contre la négativité qu'est la surconsommation de carburant. Quoique émanation de la marque, elle s'en distingue en devenant une sorte d'être intentionnel autonome. Défenseur du destinataire, sorte de héros mythique et bénéfique, elle s'interpose ainsi entre le «mal» extérieur que constitue le gaspillage, et le «bien» intérieur, représenté par l'économie réalisée.
La mascotte de Groupama, à travers ce que l'on pourrait appeler un humain «mascottisé», relève, pour sa part, du domaine de l'image spéculaire. Elle joue un rôle tampon caractérisé par la gentillesse et une générosité désintéressée, sorte d'âme soeur altruiste qui seconde le destinataire. Ici encore, c'est une émanation/incarnation de la marque, mais qui joue sa propre partition de légèreté attentive à l'endroit du consommateur.
La mascotte de Butagaz, enfin, correspond à l'affectivité élémentaire et régressive: c'est une sorte «d'animaloïde». Elle renvoie au nid douillet et code très clairement le doudou complice et empathique.
On voit bien, à travers ces quelques exemples, l'infléchissement de chaque type de mascotte en fonction de l'univers produits considéré et du message implicite que l'on veut faire passer. L'essentiel est d'instaurer un tiers actif rompant la binarité marque / destinataire qui peut s'avérer, quelquefois, un peu trop fonctionnelle et pas assez émotionnelle.
Jean-Claude Boulay (sémiologue): « Une mascotte permet de véhiculer de l'affect à travers une personnification et d'induire de la confiance en créant du lien et de la complicité. »
Jean-Claude Boulay, Sémiologue