Marketing et développement durable condamnés à faire “ami-ami”
De la production à la logistique en passant par l'approvisionnement ou les finances, toutes les fonctions de l'entreprise sont aujourd'hui concernées par le développement durable. Toutes, sauf une. Le marketing. Le grand absent du débat doit pourtant prendre position.
Je m'abonneSommaire du dossier
- Marketing et développement durable
- Le développement durable et les Français
- Les entreprises face au développement durable
- Produits : de l'éco-conception à la vente
- Comment communiquer
- Environnement : législatif & éco-labels
- Liens utiles
- Bibliographie
À LIRE AUSSI
Mars 2003. Max Havelaar devient le fournisseur exclusif de café des 140
restaurants McDonald's Suisse. En France, le groupe Accor suit une voie
similaire. Sofitel France s'est, en effet, engagé à servir dans ses restaurants
et ses bars, le café équitable de la marque Malongo. Si, en Suisse, la décision
de Max Havelaar a soulevé la question de l'instrumentalisation du label de
commerce équitable par le champion du monde du fast-food, il n'en reste pas
moins que la signature de ces contrats marque le début d'une nouvelle ère pour
le développement durable. Certes, ils ne remettent pas en cause la suprématie
des groupes Kraft Foods ou Sara Lee sur le marché du café. Mais, en offrant à
des marques niche une plus grande accessibilité au marché, ils devraient
pousser le marketing des deux géants de la grande consommation à se poser la
question du développement durable. Un marketing qui, à ce jour, manifeste peu
d'intérêt pour ce sujet. Et pour cause, ses objectifs - vendre toujours plus,
apporter de la valeur ajoutée, créer la demande - seraient génétiquement
incompatibles avec une stratégie orientée développement durable qui, par
essence, vise la durabilité. Mais tout cela pourrait bien évoluer sous les
coups de boutoir des associations de consommateurs, des initiatives citoyennes
et plus globalement de l'opinion publique. Après avoir été très discrètes sur
les questions sociétales liées à la consommation, les associations de
consommateurs hexagonales n'hésitent plus à dénoncer dans les colonnes de leurs
journaux, 60 millions ou Que Choisir, voire devant la justice, des allégations
mensongères des marques de grande consommation. En 2002, Actimel, marque du
groupe Danone, était contrainte de revoir sa copie publicitaire après les
protestations émises par une association de consommateurs, la CLCV
(Consommation, Logement, Cadre de vie). En mai dernier, l'Afssa (Association
française de sécurité sanitaire des aliments) recalait 9 des 10 allégations
santé de la marque. « Les associations militantes tournent leurs revendications
vers les enjeux liés à la publicité : incitation à la surconsommation,
exportation des modes de consommation occidentaux non durables vers les pays du
Sud, allégations mensongères dans l'alimentaire. Face à ces mouvements, de
nombreuses entreprises s'interrogent aujourd'hui sur la question de
l'application du développement durable au domaine de la communication et de la
publicité », estime ainsi Elisabeth Laville, fondatrice d'Utopies, cabinet de
conseil en développement durable. Qui reconnaît cependant qu'en matière de
marketing, les équipes sont loin d'avoir adopté une démarche proactive. Rares
sont celles qui y voient un atout commercial. Au mieux, le développement
durable reste-t-il une petite opportunité de business de niche. « Pourtant, en
matière de développement durable, les Français se positionnent spontanément en
consommateurs. Et à la question “Quels sont, dans l'ordre, les principaux
critères qui qualifient la responsabilité des entreprises ?”, ils répondent :
la santé, la sécurité, le respect de la clientèle. Des bénéfices qui sont donc
avant tout personnels et qui relèvent du domaine de la consommation », note
Elisabeth Pastore-Reiss, directrice de l'agence Ethicity (groupe Aegis
Media).
Une prise de conscience collective
Après
avoir réduit le développement durable aux seules thématiques liées à
l'environnement, nos concitoyens en saisissent aujourd'hui toute la portée.
Selon une enquête menée en décembre dernier par TNS Secodip, 54,3 % de la
population française connaît l'expression développement durable et, parmi ces
derniers, ils sont 56,50 % à intégrer les trois approches qui la composent
(l'environnement, l'économie et le social). Autre enseignement majeur de
l'enquête, 91,3 % des consommateurs réclament plus de transparence vis-à-vis
des marques et 82,2 % vis-à-vis des enseignes. Ces chiffres devraient à eux
seuls interpeller les marketeurs, d'autant que le développement durable touche
plus particulièrement des cibles qui leur sont chères. « Les habitants des
grandes agglomérations, les CSP +, les femmes, lorsqu'elles deviennent mères,
et enfin les jeunes seniors sont les catégories les plus attentives à cette
problématique. Partout dans le monde, 20 % de la population a pris conscience
des enjeux de la consommation sur la planète et 6 % ont modifié leur mode de
consommation. Ce sont eux qui ont fait le succès du commerce équitable »,
poursuit Elisabeth Pastore-Reiss. Le marketing serait-il à ce point autiste
pour ne pas entendre ces nouvelles revendications ? La réponse est bien
évidemment négative. C'est plutôt dans l'organisation de l'entreprise qu'il
convient de chercher la cause de cette absence de considération. « Qu'il
s'agisse de la direction marketing ou de l'équipe marketing, personne n'est
payé sur le développement durable. Et personne n'est responsable des dérapages
d'une marque ou de sa communication », atteste Elisabeth Laville. Qui rappelle
pourtant que, dans des secteurs où la communication et la publicité ont un fort
impact, certaines entreprises adoptent des communications responsables.
Vers une communication plus responsable
Pour
responsabiliser les automobilistes anglais aux problèmes d'environnement, la
marque coréenne Kia leur propose un vélo gratuit pour tout achat d'une voiture
neuve. Dans le même ordre d'idées, la marque finance la création de réseaux de
parents pouvant conduire à pied des groupes d'enfants à l'école. « Il y a peu
de temps encore, nos constructeurs automobiles offraient à leurs acheteurs
l'équivalent d'un an de carburant gratuit et faisaient ainsi preuve d'une
certaine irresponsabilité face aux problèmes de pollution », poursuit Elisabeth
Laville. Si les entreprises adoptent cette nouvelle attitude, ce n'est pas
tant par philanthropie mais bien parce que les financiers ont très vite
compris qu'un risque trop important pouvait devenir une catastrophe boursière.
Après les marques de cigarettes, c'est McDonald's qui a été traînée devant les
tribunaux par une de ses clientes américaines. Certes cette dernière n'a pas
obtenu gain de cause. Mais en sera-t-il toujours ainsi ? On peut en douter.
D'autant que les pouvoirs publics s'en mêlent. Plus que jamais affaire d'Etat,
la santé est bel et bien devenue, en Europe, un enjeu économique et sociétal.
En Angleterre, Sainsbury s'est ainsi engagée à chasser les surdoses de sel de
ses céréales du petit déjeuner, de ses pizzas, de ses soupes ou encore de ses
plats préparés. « Un film comme Super Size Me aura des conséquences sur la
consommation. Et l'intelligence des marques alternatives va pousser les grandes
entreprises à se poser des questions sur l'impact de leur activité. Si le
cabillaud disparaît des mers, ce serait tout de même très ennuyeux pour un
groupe comme Unilever », sourit Elisabeth Laville. Encore faudra-t-il que le
développement durable ne soit plus uniquement considéré comme un coût mais bien
comme un élément différenciant. Et que le marketing accepte cette part de
risque. Or aujourd'hui, aucune étude ne vient le garantir. Certes, les
consommateurs, lorsqu'on les interroge, se déclarent prêts à faire un geste
pour l'avenir, mais le décalage entre le déclaratif et la réalité est toujours
abyssal. La consommation de produits issus du commerce équitable demeure en
France très faible par rapport à celles de nos homologues britanniques ou
suisses. Dix fois moins qu'en Grande-Bretagne, trente fois moins qu'en Suisse.
Doit-on en déduire que les Français se montrent de plus en plus
schizophréniques face à la consommation ? « Le consommateur est avant tout
paradoxal, voire parfois schizophrénique. Sa première revendication concerne
d'abord sa personne, l'avenir du monde ne vient qu'après », rappelle Elisabeth
Pastore-Reiss. Cet égoïsme primaire qui nous caractérise peut, de fait, être
le meilleur allié du développement durable. Les entreprises, les
consommateurs, les actionnaires, les collectivités… Lequel de ces partenaires
peut sans sourciller accepter que la planète aille dans le mur sans rien tenter
pour l'en empêcher ? Certes, pour le marketing, le développement durable est
une vraie remise en question : du cycle de vie des produits, de leur coût/prix,
de leur accessibilité, de leur publicité. En cela, il devient donc un vrai
challenge. Et une vraie source d'innovation.
Vers une communication et une publicité responsables
Utopies, premier cabinet conseil en développement durable français, lance un nouveau groupe de travail consacré à la publicité et à la communication responsables. Le lancement de ce groupe de travail, le 30 septembre dernier, a donné lieu à la présentation des résultats d'un travail de benchmarking international sur le sujet (annonceurs, agences, médias) effectué par Utopies. A travers la constitution de ce groupe, qui devrait réunir de nombreuses entreprises, Utopies entend nourrir la réflexion et faire une pédagogie progressive sur le sujet. Cette année de recherche doit se conclure par la réalisation d'un rapport d'une cinquantaine de pages qui réunira, entre autres, des éléments très concrets sur les enjeux ainsi que les principes permettant de fonder une politique, un benchmark et des pistes pour intégrer ces questions aux rapports de développement durable.