Recherche

Le développement durable est-il compatible avec la grande distribution ?

En juillet 2002 naissait Vigeo, agence de notation sociale et environnementale. 14 missions ont depuis été réalisées auprès d'entreprises. Sa fondatrice, Nicole Notat, nous éclaire sur les grands enjeux de cette démarche.

Publié par le
Lecture
7 min
  • Imprimer

Écologiquement soutenable, socialement équitable, économiquement viable, le développement durable, et ses trois P (People, Planet, Profits), implique les entreprises, les investisseurs et les consommateurs. Des acteurs qui peuvent trouver leur compte de façon simultanée dans une politique guidée par le développement durable. En matière de grande distribution alimentaire, les différentes manifestations du développement durable peuvent s'articuler autour de cinq grands axes (1) : - l'environnement : optimisation des consommations d'eau et d'énergie, gestion des déchets, réduction des emballages ou encore des activités de transport…, - les relations avec les fournisseurs : création de codes de bonne conduite, développement de partenariats à long terme (MDD), soutien aux PME régionales…, - les clauses sociales - commerce équitable : audits sociaux des entreprises, dialogues avec les syndicats et ONG, engagement de non compétition marketing sur les clauses sociales…, - les produits : développement des filières, valorisation des produits issus de l'agriculture raisonnée et biologique, labels sociaux…, - la solidarité et le mécénat : actions humanitaires… Compte tenu de ces différents éléments, peut-on répondre à la question : le développement durable est-il philosophiquement compatible avec la grande distribution alimentaire ? On serait tenté de répondre par l'affirmative. Toutes les enseignes se sont engagées dans cette démarche. Mais en pratique, le développement durable se réduit à la protection de l'environnement. Seule une partie du développement durable semble donc appliquée par la grande distribution alimentaire. La partie la plus simple à mettre en œuvre, la plus médiatique. Celle qui génère les économies, ce qui n'est pas pour déplaire à la grande distribution dont le principal souci demeure le profit. L'aspect social et éthique se résume, en revanche, à des audits effectués auprès des fournisseurs. Les enseignes qui intègrent l'aspect social et celui des Droits de l'Homme le reportent sur leurs fournisseurs étrangers en opérant des audits pour prendre des sanctions le cas échéant. En revanche, en France, rien n'est fait. Qu'en est-il de l'aspect social dans notre pays ? Pourquoi ne pas imposer les mêmes clauses aux pays développés, aux fournisseurs français ? Plus surprenant, pourquoi les enseignes ne s'appliquent-elles pas à elles-mêmes ces clauses et concepts ? L'enseigne idéale On peut pourtant imaginer ce que serait une enseigne de grande distribution alimentaire qui intégrerait le développement durable dans sa globalité. Sur le plan de l'environnement, tous les magasins s'occuperaient de leurs déchets, des économies d'eau et de plastique, réduiraient tous leurs packagings et emballages, optimiseraient leur transport pour économiser les matières premières. Elle exigerait que tous ses fournisseurs adoptent la même démarche. Sur le plan social, elle appliquerait tous les principes à ses salariés et contribuerait à l'égalité sociale et à l'insertion autour de chaque magasin. Puis, elle l'imposerait à ses fournisseurs et les auditerait. La préoccupation du profit ne serait pas absente, mais le moyen de l'obtenir serait constructif pour tous. Un cercle vertueux verrait le jour. Les fournisseurs et leurs sous-traitants seraient entraînés dans cette démarche Le développement durable semble compatible avec la grande distribution alimentaire, à condition que les distributeurs l'inscrivent dans leurs axes stratégiques. Mais, plus que des déclarations d'intention, n'est-ce pas un changement en profondeur des mentalités vis-à-vis de l'approche du consommateur qui est nécessaire ? Georges Lewi, fondateur de BEC-Institute (Branding Experts Center), tendrait à le penser : « Pour satisfaire les demandes des consommateurs en termes d'éthique, il faudrait déjà que les hypers respectent leurs clients comme des êtres humains et pas seulement comme des consommateurs. »

Qui fait quoi ?
Auchan

L'entreprise s'engage pour la défense de l'environnement avec la réduction du nombre de camions sur la route. Auchan a également 7 hypermarchés certifiés ISO 14001 (certification des systèmes de management environnemental des entreprises). L'enseigne référence des produits issus du commerce équitable. Depuis fin 1997, un code de bonne conduite a été instauré, les acheteurs ont été formés, un programme d'audits sociaux des fournisseurs et des postes de responsables de comités ont été mis en place.

Carrefour

Depuis 1997, le groupe veut assumer sa responsabilité sociale et travaille avec la Fédération internationale des droits de l'Homme pour mettre en place des audits sociaux chez ses fournisseurs et leur faire signer une charte. En 2002, 117 audits ont eu lieu et des fournisseurs ont été exclus. En 1998, Carrefour bannit de ses magasins les OGM (1er distributeur au monde à le faire). Des produits de commerce équitable sont référencés. Un partenariat a été conclu avec WWF pour la protection de la nature et plus particulièrement pour préserver la forêt et réduire certains emballages. L'enseigne semble avoir une volonté d'informer et d'être transparente sur ces actions.

Casino

L'enseigne s'est associée à Amnesty International pour soutenir sa démarche de développement durable. Amnesty participe à la formation des acheteurs, accompagne les équipes lors des audits sociaux et va aider à la constitution d'indicateurs pertinents pour évaluer les pays. Dès 2000, Casino avait créé un comité d'éthique et réalisait déjà des audits sociaux en se focalisant à l'étranger sur les conditions de travail chez ses fournisseurs et en France sur la politique de la ville pour jouer un rôle dans l'insertion locale. L'humanitaire, la traçabilité, la gouvernance et la protection de l'environnement font partie intégrante de la stratégie du groupe, qui travaille dans la discrétion et communique peu sur le sujet.

Cora

En 1996, l'enseigne publie un premier bilan environnemental. Une démarche de certification ISO 14001 a été entreprise, mais seuls 2 points de vente sur 59 sont à ce jour certifiés et 6 autres sont en cours de certification. Plus d'une vingtaine de références de commerce équitable est rentrée chez Cora et, depuis 2002, une cinquantaine de produits à la marque porte le logo “développement durable”. Sur le plan de l'éthique sociale, un comité d'éthique a été créé en 1999 et, depuis 2001, des clauses sociales ont été incluses dans les contrats de référencement. Des formations sur les Droits de l'Homme ont eu lieu en 2002 et 38 audits ont été réalisés. Au niveau de son organisation, Cora a créé un groupe de travail “développement durable”.

Intermarché

Si le distributeur ne communique pas sur ce sujet, il n'est pas pour autant absent du débat. La rubrique développement durable est présente sur la page d'accueil du site institutionnel des Mousquetaires. Depuis avril 2003, des produits de commerce équitable sont référencés dans les magasins. En matière de responsabilité sociale, l'enseigne a créé, en 2001, un code de bonne conduite qui s'appuie sur l'Organisation Internationale du Travail, la norme de responsabilité sociale SA 8000 et la directive européenne relative à la protection des jeunes travailleurs. Depuis 2002, ce code est intégré à tous les contrats d'achat non alimentaires avec les fournisseurs d'Asie et 220 audits ont eu lieu.

Monoprix

Pionnière en matière de développement durable, Monoprix se lançait dès 1987 dans le référencement de produits bio, puis en 1990 de produits verts. En 2002, l'enseigne commercialise, en exclusivité, la marque Alter Eco et ses produits du commerce équitable. Monoprix se préoccupe aussi d'environnement et lance en 2000 le sac plastique transparent (moins d'encre et de solvant). Au niveau social, 195 fournisseurs ont été audités. Une charte de développement durable existe au sein de l'entreprise qui présentait en 2002 son deuxième rapport d'activité sur le sujet. C'est la seule enseigne à avoir une mascotte, le “manchot”, pour symboliser le développement durable. C'est aussi une des premières à avoir mené une campagne de communication grand public sur le sujet. Cette enseigne, dans le sillage du groupe Casino auquel elle appartient, inscrit le développement durable comme axe prioritaire dans sa stratégie.

Nadine Nicolas et Leïla Loussaïef, professeurs associés à l'Escem Tours-Poitiers.

S'abonner
au magazine
Se connecter
Retour haut de page