Logiciels d'études: de l'artisanat à l'industrie
Les logiciels d'études doivent répondre à de nouvelles exigences, traiter toujours plus de données, intégrer une dimension internationale et permettre une plus grande réactivité. Les éditeurs se regroupent pour faire face à cette mutation de l'offre.
Je m'abonneLes études sont devenues, en l'espace de quelques années, un outil de premier ordre pour interagir avec le consommateur. Elles permettent de cerner ses besoins et ses attentes, tout en établissant un rapport «collaboratif. Les études on line, dont le marché en France est estimé à 1,93 milliard d'euros, enregistraient un léger recul (3,4 %) depuis 2009. Mais d'un point de vue marketing, c'est un outil dont il est devenu difficile de se passer.
Le Syntec études marketing et opinion a d'ailleurs annoncé pour 2010 une progression du chiffre d'affaires des sociétés spécialisées dans ce secteur de près de 4%. GfK, Ipsos, Médiamétrie, Ifop France, BVA ou OpinionWay, ces acteurs ont vu leur chiffre d'affaires augmenter en 2010. Preuve que les études contribuent à générer de la valeur en apportant des informations essentielles à toute démarche marketing. Sans les logiciels de collecte et de traitement des données recueillies, aucune étude ne serait possible. Ce qui explique l'inflation des données: «En 2010, nous avons produit plus de données que depuis le début de l'humanité », rappelle Thierry Vallaud, directeur général adjoint de Socio Logiciel, responsable data mining et modélisation. Les éditeurs de ce type d'outils travaillent à améliorer fiabilité, ergonomie et puissance de leurs solutions, dans un univers très concurrentiel. « Ce marché de niche attire de gros acteurs. Chacun n'a donc qu'une petite part du gâteau », ironise Patrick George, cofondateur d'Askia.
La concurrence que se livrent les principaux acteurs du logiciel d'études entraîne la concentration du marché. Un phénomène sensible depuis deux ans. Entre la création de Feedback & Co (née de la fusion de Grimmersoft-Perspective 123 et Conversoft), le rapprochement de Socio Logiciel et de 5e Force ainsi que le rachat de SPSS par IBM pour 1,2 milliard de dollars fin 2009, on observe une perte d'influence des petits acteurs.
SaaS ou poste de travail?
Le mode SaaS (Software as a service) est à la mode. Bien que l'ensemble des éditeurs offrent désormais des solutions hébergées en mode «full Web», d'autres, comme Askia, proposent leur gamme en mode installé, directement sur poste de travail, même si de plus en plus de fonction alités peuvent être exploitées en mode connecté. « Cette formule de cloud computing a connu une belle croissance depuis trois ans chez FeedBack & Co, explique Pascal Hébert, son président Je pense que le mouvement qui a démarré est irréversible. » Avec près de 30 % de son chiffre d'affaires logiciel réalisé via le SaaS, Feedback & Co croit à ce modèle. Les solutions de Soft Concept s'appuient sur un fonctionnement hybride, avec une exploitation SaaS pour la collecte et le traitement des données, mais en mode installé sur poste de travail pour préparer les questionnaires. Thierry Vallaud, de Socio Logiciels, est sans doute le plus réservé sur le cloud computing. « Il me semble utile et pertinent pour disposer de reportings rapides, mais pour ce qui est d'analyses statistiques de second niveau, je n'adhère pas au mode SaaS... ». A l'heure actuelle, même si ce mode semble porteur, il demeure quelques freins à son utilisation, notamment concernant les temps de latence associés au chargement des informations. « Lorsque l'on traite des milliers, voire des centaines de milliers de questionnaires, c'est un point à ne pas négliger », précise Gérard Danaguézian (Soft Concept).
Des acteurs moins nombreux
« Aujourd'hui, un logiciel doit avoir un rayonnement international, confie Thierry Vallaud (Socio Logiciel). Les gros sont donc de plus en plus gros et les logiciels des petits finissent par être déclinés en freeware. » Une concentration liée, pour Gérard Danaguézian, p-dg de Soft Concept, « aux difficultés rencontrées par les sociétés qui, pour perdurer, doivent se rapprocher les unes des autres. Dans certains cas, les rachats sont effectués par des entreprises dont l'étude n'est pas le coeur de métier ce qui n'augure pas toujours le meilleur... »
Quant aux ambitions internationales de Soft Concept, elles sont clairement assumées, avec un passage de toute la gamme en «full unicode» afin de fonctionner sur tout support et dans toutes les langues. Néanmoins, dans le monde du logiciel d'études, on estime que ce resserrement du marché traduit surtout la mutation de l'offre elle-même qui, par le passé, était très atomisée. « Les clients attendent des solutions intégrées, globales... Pour être développées, ces applications nécessitent de très gros investissements, qui conduisent les acteurs à se rapprocher », précise Pascal Hébert, président de FeedBack & Co. Cette tendance s'explique par le fait que les logiciels d'études ont gagné en importance stratégique pour les marques et plus seulement pour les instituts spécialisés. « C'est un peu la fin d'un marché d'artisans, continue Pascal Hébert. L'enjeu? Conserver les valeurs de l'artisanat en appliquant une logique d'industriel. »
« Etre présent sur tous les segments »
3 questions à... Pascal Hébert
MM: Comment les attentes des clients ont-elles évolué?
P.H.: Ils ont de nouvelles exigences de productivité. C'est le phénomène le plus criant. Les annonceurs veulent des réponses rapides. Et ceci à tous les stades, de la conception à l'analyse de l'étude. Cette exigence d'instantanéité est liée à la volonté des annonceurs (au sens large) de réduire leurs coûts! Je pense à cet égard que le mode «full Web» est celui qui répond le mieux à cette attente.
MM:Quelle est la clé de la réussite pour un éditeur de logiciels d'études en 2011?
P.H.:L'atout le plus important est d'être présent sur tous les segments de l'activité. FeedBack & Co est né de la convergence de trois entités qui ont fusionné. Grimmersoft, orienté entreprises, Conversoft, spécialisé dans la collecte de données pour les instituts et Perspective123, quis réalise des études pour les instituts.
C'est cette présence sur tous les terrains qui nous a permis de supporter le repli économique de 2010.Nous avons pu renforcer notre activité grâce aux 30 % du chiffre d'affaires réalisés à l'international.
MM:Quels sont vos grands chantiers de recherche et développement?
P.H.:La dimension Social CRM figure en tête de nos priorités. Nous travaillons à affiner des outils permettant de tirer des enseignements de ce qui se passe sur les espaces communautaires, en exploitant des moteurs statistiques et sémantiques. C'est très intéressant, mais peu de nos clients investissent dans ce type de démarche. Nous sommes en perpétuelle recherche de nouvelles solutions, afin de faciliter la prise en main et l'intégration de nos programmes.
Pascal Hébert (FeedBack & Co): « Nous pouvons répondre aux besoins de tous types de clients. »
Gilles Bernasconi (Voxco): « La clé d'un logiciel d'études? Proposer tous les modes de recueil. »
Gérard Danaguézian (Soft Concept): « Les solutions que nous mettons en place doivent être mixtes. »
Une clientèle qui évolue
Traditionnellement, la clientèle des éditeurs de logiciels d'études est ventilée entre les instituts, qui sont parmi les plus gros consommateurs de solutions logicielles, les grands comptes et les agences de conseil en marketing. SocioLogiciels estime la part de chiffre d'affaires générée par les instituts à 40 %. Pour FeedBack & Co, il se répartit équitablement entre instituts et entreprises. De plus en plus de sociétés tentent de déployer des solutions d'études par leurs propres moyens, en court-circuitant les instituts ou les agences. « Avec l'impact de la crise économique, les annonceurs se passent de plus en plus des intermédiaires », explique Gilles Bernasconi, directeur général de Voxco. Cette volonté de maîtrise des coûts implique des usages différents des programmes. « Les solutions doivent être plus simples, plus rapides à prendre en main et moins chères », continue Gilles Bernasconi. Cette tendance crée des difficultés. Pour Thierry Vallaud (Sociologiciel), « la multiplication des logiciels pose le problème de la spécialisation, car pour une exploitation optimale, il faut une bonne connaissance des outils, mais celle-ci reste secondaire sans maîtrise des modèles statistiques ». C'est sans doute la raison pour laquelle les éditeurs tentent d'optimiser leurs outils, pour que ces derniers soient aussi facilement adaptables. Aymeric de Boishéraud, CEO de AreYouNet confirme: « Proposer le logiciel ne suffit plus. Il faut accompagner les clients pour les aider à monter en compétence et faire en sorte qu'ils soient guidés dans la mise en place de leurs enquêtes. »
Ergonomie: la quête ultime
Face à l'évolution de la clientèle, les éditeurs réagissent. Exit les logiciels trop arides et trop complexes. Askia mène un travail de fond sur l'ergonomie. « Nos interfaces et nos process ont totalement été repensés, explique Patrick George. Nous investissons beaucoup en recherche et développement, pour simplifier les usages mais aussi pour affiner le traitement des données. » Chez Voxco, même constat. C'est sur le terrain de l'ergonomie que la lutte va avoir lieu: « Les interfaces doivent évoluer, affirme Gilles Bernasconi. Les modèles statistiques ne changent pas, c'est sur l'intelligibilité des solutions que la différence se fera. » L'un des effets majeurs de la crise économique, au-delà de la tension sur le marché des études, c'est l'exigence de réactivité des annonceurs. « Il faut aller toujours plus vite pour répondre aux annonceurs, qui expriment leurs besoins de réactivité et de réduction des coûts », indique Pascal Hébert (FeedBack & Co). Ce phénomène explique sans doute l'engouement pour les solutions «full Web», qui peuvent être déployées en quelques heures, appuyées par des solutions d'automatisation de récupération des données via Internet, à l'image de WebReport Process Manager de Soft Concept. Chez AreYouNet, le mois de septembre a vu la sortie d'une nouvelle version de la plateforme, avec un relooking complet de l'interface, de nouvelles barres d'outils, un didacticiel permettant aux utilisateurs une prise en main plus rapide, ainsi qu'un module de gestion collaborative des projets.
La principale difficulté pour les éditeurs de logiciels d'études, c'est de ne jamais perdre de vue l'évolution des sources de collecte de données. Pour Patrick George (Askia), « la clé d'un logiciel d'études, c'est de proposer tous les modes de recueil possible, des enquêtes en face-à-face à celles effectuées via smartphones. Il faut être présent sur tous les fronts pour répondre à toutes les demandes ». Un point de vue partagé par Gérard Danaguézian (Soft Concept) qui insiste sur la très forte demande pour des solutions compatibles avec les tablettes interactives. « Nous avons déjà développé une version Android (NDLR: le système d'exploitation pour mobile de Google) de notre application et travaillons à des déclinaisons sur iPhone et iPad. Ainsi, nous couvrirons l'essentiel du marché des tablettes », précise le p-dg.
Si l'enquête on line s'est considérablement banalisée, du fait d'une offre à bas coût que Pascal Hébert qualifie de «pléthorique», l'ensemble des acteurs soulignent une tendance forte à la collecte multicanal: Web, téléphone, papier, tablette, ou encore Pocket PC... « Il faut que les solutions que nous mettons à disposition de nos clients soient mixtes, pour interroger tout type de personnes, via de nombreux canaux », indique Gérard Danaguézian (Soft Concept). Mais cette tendance au multicanal exige des éditeurs de gros efforts d'adaptation, pour que leurs logiciels permettent de traiter l'ensemble de ces flux de données de façon véritablement homogène.
Les logiciels d'étude et le phénomène communautaire
Lors de la précédente édition du Sémo (Salon des études médias, marketing et opinions) en 2010, l'ensemble des conférences traitant des réseaux sociaux et plus globalement du phénomène communautaire ont rencontré un vif succès. Pourtant, la question divise encore les différents acteurs en présence sur le marché. Si Gilles Bernasconi, de Voxco, perçoit un intérêt croissant des annonceurs pour les réseaux sociaux et propose désormais des modules permettant de monitorer les médias sociaux à des fins d'analyse (via des outils de text mining), d'autres acteurs, comme Gérard Danaguézian, de Soft Concept, se montrent plus perplexes. « Les réseaux sociaux sont intéressants mais je pense qu'à ce jour, on n'a pas encore trouvé le moyen d'exploiter correctement les informations que l'on peut y collecter. Les réseaux sociaux doivent plutôt être perçus comme un support complémentaire pour une étude. » A contrario, FeedBack And Co met en avant une réelle ambition de social CRM intégré à leurs outils. Fonctionnant comme des briques additionnelles, les fonctions associées aux réseaux sociaux permettent d'analyser les retours des utilisateurs de ces espaces sous deux angles, qui s'appuient sur un moteur statistique et un moteur sémantique. « Pourtant, si nous constatons un fort intérêt de nos clients pour ces thématiques, ils investissent encore peu », regrette Pascal Hébert.