Le quali elargit sa visison
Que seraient la marque, la communication, l'innovation sans l'insight consommateur ? C'est là qu'interviennent les approches qualitatives qui pèsent 25 % des études ad hoc mondiale. Une réali-té qui explique bien des stratégies.
Je m'abonneÀ LIRE AUSSI
«Chez Renova les équipes sont imprégnées des valeurs de la marque et ont
une vraie passion pour le produit et le consommateur, souligne Joao Lopes,
responsable marketing de Renova France. C'est cette connaissance intime qui
mène notre stratégie. Les études qualitatives viennent en relais, pour trouver
des inputs, expliquer des résultats. Le grand atout des études qualitatives est
de comprendre les besoins non exprimés d'un consommateur dans sa relation à un
produit ou à une marque. » C'est une étude quali par focus group en France, en
Espagne et au Portugal qui a conforté Renova dans sa décision de lancer Renova
Fraîcheur en 2001, complétée par le lancement en 2003 des lingettes humides. Le
quali n'est pas loin derrière les dernières success stories : lancement de
Réponse de Yoplait, de Télé 2 Semaines, du nouveau packaging de Freedent… Quel
que soit le type d'entreprises, la culture quali prend de l'ampleur : les
différentes directions générales de la Commission européenne y ont de plus en
plus recours. Et les équipes marketing sont davantage présentes dans les
différentes phases de développement de l'étude. Procter & Gamble a lancé un
programme, “Meet the consumer”, qui oblige ses équipes à se mettre au contact
direct du consommateur. Au sein du groupe Pernod Ricard, les approches
qualitatives représentent près de la moitié du budget études ad hoc. « Les
études qualitatives font partie du paysage, elles sont beaucoup plus intégrées
dans le fonctionnement des sociétés qu'avant », souligne Esther Flath,
directrice associée de Sorgem. « En même temps, le quali se fait plus
opérationnel, constate Yves Krief, président du directoire de Sorgem. On nous
demande un peu moins d'études de compréhension à long terme et de plus en plus
d'aide à la décision à court terme. » Et Claude Suquet, P-dg du groupe CSA, de
renchérir : « Les projets sur lesquels nous travaillons aujourd'hui étaient
hier du ressort des consultants. » Selon Marie-Christine Renault, D-ga de
MFR-Millward Brown, « la dimension consulting est de plus en plus forte. Les
clients nous demandent d'aller plus loin dans les recommandations. » Alors même
que la pression sur les délais s'alourdit. Conséquence : le métier se
“seniorise”, pour aller le plus vite possible à l'essentiel et être capable
d'extraire des informations utiles dans des délais extrêmement courts. «
Aujourd'hui, le quali est une histoire de repérage de talents, soit à la
naissance, soit quand ils sont déjà nés », constate Stéphane Truchi, Dg d'Ipsos
France. En même temps, une certaine standardisation apparaît. « On doit
standardiser les procédures et les méthodologies tout en personnalisant la
relation avec le client, explique Georges Guelfand, Dg de QCG. Il n'y a pas de
bon quali sans bonnes relations de travail. » Nathalie de Rochechouard,
directrice des études du groupe Pernod Ricard, confirme : « Nous attendons
parfois de nos prestataires des recommandations qui vont jusqu'à la
préconisation marketing. Pour cela, il faut qu'ils soient vraiment bons et que
l'on se connaisse bien. »
A la recherche de l'insight consommateur
Les études de communication font la part belle au
quali, mais les deux domaines de prédilection actuels sont les marques - leur
positionnement (repositionnement), les stratégies de portefeuille -, et bien
sûr, l'innovation, que l'on cible le grand public ou un public professionnel. «
Nous faisons de plus en plus d'ateliers interactifs, constate Marianne de
Souza, P-dg de MSM, et nos outils d'innovation, notamment Needscape, explosent
». Chez RI Qualitatif, marque de la communauté quali du groupe Research
International, on parle “d'insightment”, qui combine du recueil d'information
auprès des consommateurs (avec photographies de vie), intervention auprès
d'experts et de la créativité (Super Group). « Nous sommes en train de recruter
des Super Groupers (consommateurs experts et créatifs) parlant anglais afin de
pouvoir proposer des Super Group européens », explique Geneviève Reynaud,
directeur de RI Qualitatif. Côté méthodologies, la tendance est plutôt aux
approches mixtes (groupes, mini groupes, entretiens de consommateurs,
d'experts). L'intérêt pour la sémiologie revient en force : Danielle Rapoport,
sociologue, et Odilon Cabat, sémiologue, proposent ainsi une méthodologie
croisée qui marie l'apport de la sémiologie (connaissance de la nature des
signes émis par les marchés, culture des marques…) et l'apport de la sociologie
(évolution des attitudes et des comportements, des tendances émergentes et des
signaux fiables) pour anticiper les réactions du consommateur. Les entreprises
sont aussi friandes d'outils de veille et sur les tendances (Ipsos, Allegoria,
TNS Sofres, etc.). Et, parce que le point de vente est un point de contacts
essentiels entre un produit, une marque et un consommateur, les études
“shoppers” se multiplient. Stratégir Quali propose une étude de packaging en
linéaire. Les études comportementales et l'observation complètent les
dispositifs : Audirep Qualitatif propose des modules quali (observations in
situ, micro-trottoirs, caméra mystère, ergonomie, etc.). QCG propose la
méthodologie Puzzle (voir p. 82). Pour le dixième Youth Panel de Levi's, Added
Value Icon a mis au point une méthodologie qui implique, sur une journée, des
entretiens avec de jeunes consommateurs, à qui l'on confie de l'argent pour des
achats vestimentaires, avec un(e) ami(e). Ils expliquent ensuite les raisons de
leurs choix, le tout suivi d'un atelier. « Si l'on veut comprendre la
complexité du consommateur, il faut élargir la vision, remarque Eric Fouquier,
P-dg de Théma. Ceci devrait nous conduire à des modifications sensibles sur nos
façons de faire, tant au niveau des techniques d'interrogation qu'à celui des
raisonnements d'analyse qualitatifs. » « En fait, précise Georges Guelfand,
cela fait longtemps que nous essayons de faire ressortir les contradictions
dans les groupes. » Le groupe Ipsos lance cet automne Krisis, une nouvelle
méthodologie pour créer des situations de contraste dans les groupes. « Le
consommateur d'aujourd'hui est plus expert, plus critique, il décode plus vite.
Il faut trouver une façon de travailler avec lui pour mieux exploiter ce talent
», précise Stéphane Truchi.
Le quali aux enchères ! Tribune Libre Le point de vue de Danielle Rapoport, directrice de DRC.
Notre cabinet ainsi que d'autres confrères ont été “soumis”à répondre à un référencement de prestataires venant d'un grand opérateur de télécommunications. Il s'agit bien de “soumission” car, si nous n'acceptions pas d'en-trer dans le jeu, nous perdions un client avec lequel nous sommes en liens, de qualité, de confiance, de respect du travail effectué. J'ai été choquée par cette procédure que je découvrais, parce qu'elle révèle les aspects les plus négatifs et dangereux de la globalisation. Les prestataires d'études qualitatives ont dû remplir les mêmes pages formatées, quel que soit leurs types d'activités, leurs structures, leurs tailles, leurs manières de faire. Il a fallu se plier à un découpage qui n'est pas le nôtre, élaboré pour des comparaisons de prix plus faciles, mais peu adapté aux complexités des études qualitatives. Pour exemple, la case “préparation” de l'étude demande des prix de juniors ?… Que répondre ? Je considère comme essentielle cette phase de l'étude pour que ses recommandations finales soient les plus pertinentes. C'est mon temps ou celui d'un directeur d'études que je sollicite. Le formatage proposé ne rend pas compte de l'exigence qui fait encore la richesse du métier des études qualitatives en France. Cette exigence a un prix. Serons-nous sanctionnés pour avoir maintenu ce prix ? Cette première épreuve effectuée permet une présélection pour la participation à des enchères descendantes. Tous les prestataires sont “conviés”, en temps réel, à baisser leurs prix pendant les deux heures que vont durer les enchères. Une sélection finale prendra en compte les “efforts” consentis croisés avec des données plus techniques. Je pose ici la question des risques encourus, si le critère prix est dominant et la gestion des coûts aussi catégorique. A la fois pour les études qui risquent de s'en trouver dégradées, mais aussi pour les responsables études dans l'entreprise, qui pourront se voir obligés de travailler avec des prestataires non choisis. Risques aussi d'incommunicabilité, en interne, entre les “acheteurs” et les “études”. Si les directeurs des achats sont des gestionnaires, savent-ils ce qu'est une étude qualitative ? Il serait bon que ces derniers en soient conscients, pour donner la possibilité à l'entreprise dont ils défendent la rentabilité de travailler à partir d'études pertinentes, et aux cabinets concernés la confiance et le respect qui leur sont dus.