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Le luxe tisse sa Toile

Les marques de luxe ont mis du temps à prendre le virage internet. aujourd'hui, c'est chose faite, elles intègrent le Web dans leur stratégie de communication ou de vente. et investissent la toile pour créer du lien avec leur clientèle, voire profiter d'une nouvelle manne financière.

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Milliardaires russes et américains, Chinois ou Japonais en quête de produits d'exception, jeunes retraités de la finance, consommateurs à la recherche de beaux bijoux, de sacs ou même de voyages, tous ont en commun le goût du luxe. Ils exigent le hors norme, le service, la relation, quels qu'en soient le prix et, désormais, le circuit de distribution. Une chance à saisir pour les marques françaises de luxe sur le Web. D'autant que, selon les prévisions du bureau d'études Precepta (groupe Xerfi), le marché du luxe en ligne sera multiplié par 5 à l'horizon 2010 pour atteindre 500 millions d'euros. «Dès 2012, le cap des 10% du chiffre d'affaires des marques de luxe sera ainsi franchi», révèle sa dernière étude sur le sujet. En outre, les perspectives de croissance en ligne pour ce marché sont excellentes. Et pour cause, après une année 2007 déjà bien dynamique, les ventes sur Internet devraient, selon le cabinet d'études, progresser de 130% en 2008. Il faut dire que, malgré une dégradation de la conjoncture économique, les maisons de luxe sont épargnées et profitent pleinement d'un certain nombre de facteurs.

@ (C) Terex/ Fotolia.com/CL

«Le luxe est là pour durer», lance Rémy Oudghiri, directeur du département tendances et prospectives d'Ipsos Marketing, qui s'est vu également confier la direction et la coordination de l'ensemble des activités luxe. Avec l'élargissement de la clientèle des pays émergents, le vieillissement de la population ainsi que le culte de la notion de singularité, le luxe a forcément de belles perspectives. «Il est désormais devenu une compensation pour les classes moyennes, une récompense», estime encore ce dernier. Ainsi, pour cet expert, le luxe a non seulement de l'avenir dans les boutiques, mais aussi sur le Net. Canal de vente complémentaire, conquête d'une nouvelle clientèle, services et produits personnalisés, les effets de levier sont multiples. Le premier d'entre eux étant naturellement qu'Internet est une porte d'entrée pour beaucoup de consommateurs dans le luxe. «Beaucoup de gens n'osent pas passer la porte des grandes marques. Ils se sentent jugés», constate Hélène Mengus, éditeur délégué de Joyce.fr, nouveau site d'information entièrement dédié au luxe.

Le site web de Coach (sacs, bijoux, prêt-à-porter, etc.) est devenu la plus grande boutique de la marque.

Le site web de Coach (sacs, bijoux, prêt-à-porter, etc.) est devenu la plus grande boutique de la marque.

Toutes les marques de luxe connaissent, en effet, le phénomène de la «phobie du pas-deporte» et à quel point il est difficile de lutter contre celle-ci. «Elles savent aussi, mieux que quiconque, à quel point elles ont intérêt à lever ce frein pour renouveler leur clientèle. Internet s'avère ainsi un levier de désinhibition, de réassurance et d'incitation à se rendre dans les points de vente: une fois que vous vous êtes familiarisé, que vous connaissez les produits et leur valeur, l'entrée en boutique est moins effrayante», explique Thibaut Cornet, planner stratégique de G2 Paris. Mais Internet permet également aux marques de s'adresser à une clientèle qui n'avait pas de magasin près de chez elle.

Thibaut Cornet (G2 Paris):

«Vuitton, Hermès et Prada se sont convertis au Web et prévoient une montée en puissance de leurs chiffres d'affaires on line.»

Outre séduire de nouveaux consommateurs, la Toile permet surtout à la marque de proposer à ses clients des offres ou des services personnalisés. Les exemples sont nombreux, depuis Ralph Lauren qui propose de «customiser» ses polos en ligne (choix du logo et?, de la couleur, ajout des initiales, etc.) à Boucheron qui offre la possibilité de personnaliser des bagues, en passant par Longchamp qui vend des sacs sur mesure uniquement sur la Toile.

Frédéric Rouzaud (Champagne Louis Roederer):

«Nous communiquons sur notre identité auprès d'une cible de connaisseurs.»

Enfin, outre la personnalisation, la fidélisation est sur Internet plus évidente et surtout moins onéreuse. «Les coûts limités de mise en place des opérations et les nombreuses interfaces proposées dans les programmes de fidélisation on line renforcent l'interactivité et l'implication des membres autour de ces marques», confirme Precepta.

Pourtant, malgré ces nombreux avantages, les marques françaises ont pris du retard. «La différence de maturité entre les opérateurs du luxe américains et français est significative», constate le cabinet d'études, qui estime à 100 millions d'euros ce marché sur le Web, contre 1,4 milliard d'euros (soit 2,2 Md$) pour le marché américain (selon Forrester). «Les Français vendent peu ou pas encore de luxe sur la Toile, contrairement aux Américains», confirme Claus Lindorff, directeur général de BETC Luxe. Le site Coach (sacs, bijoux, prêt-àporter...) est ainsi devenu la plus grande boutique de la marque aux Etats-Unis. Mais cet exemple n'est pas unique. Les Ralph Lauren, Tiffany, Estée Lauder, Saks ou Neiman réalisent plusieurs millions d'euros de chiffre d'affaires en ligne.

Une vitrine et bien davantage

Dans l'Hexagone, certaines marques refusent pourtant encore de vendre. A l'instar des champagnes Roederer ou de Van Cleef & Arpels. Ainsi, pour Frédéric Rouzeau, président du groupe Champagne Louis Roederer, le nouveau site, créé par l'agence Duke et lancé le 25 mars dernier, est plutôt un site d'image qui permet de faire connaître la marque et ses différents mécénats d'art. A l'occasion du lancement de ce nouveau site et de l'exposition «Prenez soin de vous» de Sophie Calle à la BNF dont Louis Roederer est partenaire, l'internaute a pu découvrir, en exclusivité, le making off de l'accrochage du travail de l'artiste.

Pour Frédéric Rouzaud, «avec ce site internet, nous ne nous dotons pas seulement d'un formidable outil de communication. Nous nous exprimons aussi sur notre très grand attachement à l'art et à la culture». Avant de résumer: «Nous communiquons sur notre identité auprès d'une cible de connaisseurs.» En outre, la marque souhaite retranscrire la richesse de la maison sans interférer avec les ventes.

Reste que la plupart des maisons de luxe ont pris le virage Internet. Car s'il demeure une vitrine formidable, le réduire à cette seule fonction revient à mal cerner son potentiel et à déconsidérer les usages et habitudes développés par les internautes. D'autant que les verrous d'achat en ligne ont sauté. Les paiements sont sécurisés et permettent d'enregistrer de fortes sommes. Quant à la logistique, elle est au point. D'abord honni et méprisé parce synonyme d'antiélitisme, le Web est donc aujourd'hui largement investi par la plupart des marques. «Vuitton, Prada, Longchamp et Hermès se sont tous convertis et prévoient une montée en puissance des chiffres d'affaires réalisés depuis leurs boutiques on line, demain sans doute aussi rentables que leurs boutiques physiques», analyse Thibaut Cornet. Avant d'ajouter: «Chopard a lancé son site il y a six mois et son trafic a augmenté de 400%, on imagine aisément l'impact sur les ventes

Le Web 2.0 pour le luxe aussi...

Une marque de luxe peut, et doit donc, vendre sur Internet. «Mais il faut de la cohérence, et surtout une réelle innovation dans la structure du site», prévient Aurélie David, directrice conseil spécialisée dans le luxe chez Duke. Ainsi, pour cette dernière, un espace privilégié est indispensable ainsi qu'«une vraie relation avec un vendeur, comme dans la vraie vie». La majorité des marques en ont saisi l'enjeu. «Elles ont compris que même si elles avaient une marque forte, il fallait des services, des avantages», glisse Nicolas Marette, directeur marketing de TheBestMatch.com, agence conseil en e-marketing pour les marques de luxe. Fin mars, la société a révélé les résultats d'une étude sur les nouveaux leviers du e-commerce pour les marques de luxe. Parmi les principales tendances, ces marques souhaitent davantage tester les leviers 2.0 pour l'année 2008. «Ces dernières sont, par exemple, très présentes sur Facebook. En fait, elles souhaitent toucher les CSP+ par leurs centres d'intérêt», indique Nicolas Marette.

A l'heure du Web 2.0 et du social shopping, les marques de luxe ne peuvent plus ignorer l'aspect communautaire qui devient un enjeu majeur de recrutement et de fidélisation des clients. Pour autant, l'étude réalisée par Precepta montre que toutes les marques ne disposent pas des mêmes atouts pour instaurer un dialogue avec les internautes. «Pour les marques qui n'ont jamais prôné le dialogue dans le monde réel, se lancer dans les blogs du jour au lendemain peut apparaître artificiel et sans force», nuance l'étude. Mais voilà, Internet offre aux marques de luxe la capacité de fédérer davantage et d'animer les communautés qui les entourent et attendent d'elles d'être choyées, valorisées et favorisées.

aurélie David (Duke):

«Une marque de luxe doit offrir une réelle innovation dans la structure de son site.»

L'ADN de la marque

En outre, pour investir la Toile, les marques de luxe doivent avant tout se poser la question de leur positionnement, de leur histoire et de leur personnalité. «Il n'existe pas de modèle idéal à copier en raison de l'identité de chaque marque, et des caractéristiques propres à chacune», explique le cabinet Precepta. Il n'existe pas de «One Best Way». Et pour cause, chaque marque a bien son ADN et celle-ci doit, encore plus dans l'univers du luxe, être mise en avant. «Les sites de marques de luxe sont à considérer, non comme un outil, mais comme un univers expérientiel, capable de plonger l'internaute ou le client au coeur même de l'ADN de la marque, permettant à cette dernière de réaffirmer sa vision et de sublimer son identité», considère Thibaut Cornet. Un avis que partage Aurélie David, en charge des sites de marques prestigieuses telles que Van Cleef & Arpels ou Roederer, convaincue que les marques de luxe ne peuvent plus se permettre de ne pas être sur la Toile. En revanche, elles doivent, plus que d'autres, jouer sur leur histoire et leur ADN. Le site Roederer permet ainsi à l'internaute de suivre les étapes de l'élaboration et de la fabrication du champagne en mêlant les codes de la vigne et de l'art. Idem pour le joaillier de la Place Vendôme, qui offre un site à la fois recherché, floral et raffiné où l'internaute plonge au pays des pierres précieuses. «La marque a voulu rester dans le rêve et l'évocation. Créer le site a nécessité un travail d'orfèvre», explique Aurélie David. Car voilà, si la maroquinerie compte parmi les secteurs du luxe à utiliser le plus l'e-commerce, la joaillerie et l'horlogerie ont du mal à franchir le pas. «En dehors d'une très forte volonté de créer un lien avec le réseau physique, il y a dans ce secteur peu d'actions d'optimisation des ventes», décrypte Nicolas Marette. Et pourtant le luxe est l'un des secteurs qui est le plus à même de s'adapter à ce nouvel outil.

«Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, Internet n'est plus un outil de masse, mais un canal de vente sur mesure pour les marques de luxe», conclut Claus Lindorff. C'est donc naturellement sur le Web que les marques de luxe devront innover en transformant leur vitrine en un outil de vente, mais surtout de relation client. Bien évidemment sur mesure.

AVA ESCHWESE

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