La visite mystère : une technique de poids
Le marché de la visite mystère s'élèverait autour de 900 millions d'euros
aux Etats-Unis, soit presque autant que le marché français des études dans sa
globalité. Il s'élèverait à quelque 80 millions d'euros en Grande-Bretagne et
autour de 30 à 35 millions en France, avec une croissance estimée à 20 % par an
qui devrait se poursuivre. Il est vrai que le nombre d'enquêtes annuelles dans
une entreprise à réseau monte vite, notamment quand chaque point de vente doit
être interrogé, à différents "moments de vérité". Une société possédant 500
points de vente en France fait réaliser tous les ans une visite mystère par
mois pendant onze mois sur l'ensemble de ses points de vente. La Poste fait
réaliser deux visites par an et une série d'appels mystères deux fois par an
dans les 6 000 bureaux qui représentent 80 % de la fréquentation (sur 14 000).
Chez Quick, ce sont 5 000 visites qui sont réalisées par an à raison d'une par
mois dans ses quelque 500 restaurants en France, Belgique et Luxembourg. A
titre indicatif, CSA TMO a réalisé 40 000 visites mystères depuis cinq ans ; 20
% du recueil en face à face d'ISL se fait sur les visites mystère, une activité
développée en commun avec Satisfecit, société spécialisée fondée en 1994. Cette
technique est devenue tellement complémentaire des études de satisfaction que
les instituts qui ne la possèdent pas en interne cherchent à la développer. «
Notre développement dans cette activité passera probablement par une
acquisition », précise ainsi Stéphane Truchi, Dg d'Ipsos France. Parallèlement,
« de la même manière que les études et mesures de satisfaction
s'internationalisent, les visites mystères se font internationales », constate
Fernand Wiesenfeld, directeur de MV2, qui a monté une structure internationale
ad hoc qui intervient, avec des prestataires locaux en Slovaquie, au Maroc, à
Taiwan, au Brésil, aux Etats-Unis et en Europe. Research International, qui en
fait beaucoup dans le secteur automobile, tire parti de sa présence dans 56
pays. « Cela nous permet de traiter les visites mystères dans tout notre
réseau, souligne Marc-Antoine Jacoud, Dg de RI France. La visite mystère est un
vrai métier qui exige une grosse logistique, une grande qualité de recueil et
une capacité à produire des référentiels et des bases de données. »
Des règles strictes
L'objectif de la visite mystère est
de simuler un client réel en solution d'achat selon un ou plusieurs scénarios
de visite pour permettre la mesure de la qualité de l'accueil et du service
rendu par rapport à des normes définies par le service Qualité de l'entreprise.
Elle permet ainsi l'évaluation de la performance-client, non seulement pour les
entreprises en réseau (magasins, concessions, courtiers, agents) mais également
pour celles qui ont besoin d'évaluer la coopération de certains partenaires
(distributeurs, fournisseurs, sous-traitants spécialisés...). Les laboratoires
pharmaceutiques s'y mettent à leur tour : Market Audit réalise ainsi des études
clients mystères en officines pour les produits en vente libre ou sur
ordonnance avec scénarios adaptés à la problématique du laboratoire. « Il
existe en pharmacie de vrais enjeux merchandising et conseils. La visite
mystère commence donc à s'imposer », remarque Fernand Wiesenfeld. « Cette
technique d'évaluation est très complémentaire des autres outils de mesure de
la satisfaction client, estime Bernard Mandin, directeur général associé d'IS.
Elle répond à des attentes fortes des opérationnels réseaux pour améliorer la
qualité. » « C'est plus qu'un outil de mesure, ajoute Alain Dubreuil, directeur
associé de Satistème. C'est un puissant outil de progrès et de management au
service de l'entreprise en réseau, qui favorise la formalisation des standards
de qualité de service et leur traduction sous forme opérationnelle, une
réflexion sur leur évolution, une adaptation des comportements et des
procédures, tout en étant un support de simulation. Il y a là une véritable
attente des employés. » Encore faut-il que certaines règles soient respectées :
élaboration d'un projet avec le client avec une pleine connaissance de
l'existant, construction d'un référentiel, élaboration des parcours-clients,
extrême rigueur dans la gestion des visites mystères, contrôle qualité
permanent de l'enquête, opérationnnalité des résultats pour une meilleure
assimilation et appropriation par les opérationnels, base de données pour
pouvoir se comparer. TNS a ainsi mis au point une base de données interne qui
sert à faire du benchmarking. Différents modes de recueil sont possibles : face
à face (mesure la plus complète de l'environnement et de la prestation,
particulièrement adapté dans le cas de la distribution), téléphone (en
complément de l'exploitation des appels réels, notamment pour des call
centers), postal ou par le Web. « On sait qu'aujourd'hui, le plus important
pour un site est la confiance, note Olivier-Henry Biabaud, Dga de NFO Infratest
France. On ne peut pas seulement se contenter de la satisfaction des
utilisateurs, il faut une vraie démarche mystère avec un plan d'expérience et
en comparant ce qui se passe sur d'autres sites.» NFO Infratest propose ainsi
deux modules : Mystery e-shopping et e-Mail mystère. Les visites mystères
évoluent, par exemple, avec le recours à l'analyse qualitative des verbatim.
TNS et Cogitude figurent parmi les instituts qui les pratiquent le plus,
d'autant que ces analyses sont de formidables supports de formation. Autre
évolution : faire du coaching d'appels mystères, technique utilisée par Orange.
Un chef de groupe écoute et débriefe a posteriori, en accord avec les
partenaires sociaux, les conseillers client, et évalue la qualité de leur
prestation sur le fond et la forme. Une cellule calibrage peut aussi écouter
les conseillers et les responsables. « Le coaching peut être fait en interne ou
en externe ou les deux à la fois », souligne Laurent Depond, directeur Qualité.
Courir : une vraie attente de l'interne
Avec 175 points de vente sous enseigne Courir et 9 sous enseigne Moviesport, un nouveau concept lancé il y a deux ans, Courir France (groupe Go Sport) utilise les visites mystères depuis 1997, date à laquelle le parc atteignait la centaine de points de vente et augmentait de 15 unités par an. « Courir et une enseigne spécialisée dans la chaussure de sport avec des magasins de 150 m2, explique Stéphane Bureau, directeur exécutif de Courir France. Avec des vendeurs pour accueillir, présenter, argumenter. Nous avions besoin d'un outil pour évaluer et analyser nos performances selon nos axes de progrès. » Chaque point de vente est visité deux fois par an (une aux heures d'affluence, une en heures creuses). « Idéalement, il faudrait faire des visites mystères trois fois par an, mais il faudrait dégager un budget plus conséquent et, de toute façon, il faut du temps pour assimiler les enseignements de l'enquête et mettre en place les plans d'action. » En 2000, le programme de visites mystères a été interrompu, « pour voir comment faire évoluer l'outil ». Il reprendra en 2002, « parce que les équipes de vente l'attendent mais aussi parce que nous allons mettre en place une nouvelle carte de fidélité informatisée et que la qualité de service sera encore plus au coeur de notre métier. Avec 180 magasins dans notre parc, il faut s'assurer que nos standards de qualité sont bien appliqués. C'est notre façon de nous différencier de la concurrence. »
Chiffres clés
1 mécontent le fait savoir à 10 personnes, 1 client satisfait à 2. 1 mécontent sur 20 se plaint. Acquérir 1 nouveau client coûte cinq fois plus cher que d'en retenir 1. 1 client bien traité après une réclamation est en général plus fidèle qu'avant l'incident. On estime entre 5 % et 20 % du chiffre d'affaires d'une entreprise le coût de la non qualité. La moitié des entreprises américaines n'exploitent pas les résultats de leurs études de satisfaction (source Peat Marwick US).