Des kamikazes chez les parfumeurs ?
Par Jacques Seidmann, directeur de MàLT.
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«D'abord je n'en ai pas cru mes yeux tant les deux publicités paraissaient
construites sur le même modèle. Ces deux affiches 4 x 3 pour Ted Lapidus Hommes
et Façonnable semblaient si interchangeables qu'on aurait pu croire qu'elles
avaient été mises l'une au-dessus de l'autre pour faire la démonstration que le
conformisme publicitaire ne peut produire que de l'antipublicité, et que, si
deux marques tiennent le même discours, ipso facto, leurs produits auront l'air
identiques ! Est-ce bien utile d'investir autant en communication pour créer
aussi peu de différence ! Malheureusement, cette ressemblance ne fut pas une
coïncidence car depuis, bien d'autres publicités de parfums bâties sur le même
modèle sont apparues. On y retrouve toujours le même code visuel (ou plutôt
l'absence de code), le même procédé : un homme, un flacon, une marque, comme si
la communication parfum ne se résumait plus aujourd'hui qu'à une histoire de
casting ? (1) N'y aurait-il donc point de salut pour une campagne hors de ces
sentiers (ra) battus ? Les briefs des services marketing souffriraient-ils
d'une épidémie ravageuse de marketing-ment correct ? Ou bien les codes
lessiviels auraient-ils déteint sur l'univers du parfum ? Ce nouveau
conformisme aura été la tendance lourde de l'année 2002, si l'on en juge aussi
ces autres marques comme l'américaine Calvin Klein, ou notre symbole national
de l'audace, de la fête et du chic Yves Saint Laurent. Cette dernière marque
nous avait habitués à mieux en matière de créativité. En effet, jouer la
provocation - le visuel d'un nu masculin intégral - suffit-il pour construire
une identité durable ? En affichage 4 x 3, où la nudité n'apparaît plus,
l'image redevient platement conventionnelle, déclinée selon le tryptique un
homme + un flacon + une marque. Son nom, la fameuse "trouvaille" M7 paraît bien
fade à côté du célébrissime Opium. Espérons qu'il n'y aura pas de M8 comme il y
a eu des C3, C4, C5 chez Citroën ! Car, on le sait, le nom d'un parfum est
crucial pour suggérer un imaginaire et donner au produit son caractère unique.
Des noms comme Fahrenheit de Dior, Anarchiste de Caron, Organza de Givenchy
restent inimitables. Par comparaison, les descrip- tifs "Lavender" chez Azzaro,
"Homme" chez Façonnable, ou "Absolu" chez Rochas paraissent bien fades. Pour
les marques, c'est à terme un vrai suicide, car à force d'affirmer leur toute
puissance au détriment de l'identité de leurs produits, sans imaginaire ni
caractère distinctif, elles finiront par n'être plus que des coquilles vides.
Le conformisme est meurtrier. Qu'on en juge : n'est-il pas surprenant que ce
soit les campagnes pour des "classiques" comme Shalimar, Fahrenheit, Opium ou
J'adore qui émergent aujourd'hui du paysage publicitaire et non pas le
lancement des nouveautés ? Dans un tel contexte, il est clair que le premier
qui osera donner à son futur parfum une identité forte et singulière, créera la
surprise sur le marché et recueillera comme toujours les fruits de son
audace... » (1) La campagne 4 x 3 qui est sortie en décembre pour Givenchy va
encore plus loin. Elle ne montre plus que le flacon et le nom de la marque sur
fond noir avec pour toute mention "Nouveau parfum".