Vers une réappropriation du sens
Les programmes de fidélité sont aujourd'hui légion et touchent la plupart des secteurs d'activité B to C. A l'heure où l'on parle d'une certaine saturation, les professionnels s'interrogent déjà sur l'avenir de la carte. Emergent deux hypothèses : le recentrage sur la "valeur" et la dématérialisation du support.
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Selon la société d'analyses Eurostaf, le nombre de cartes privatives
s'élevait en 1999 à 28 millions d'unités. Ce qui signifierait qu'un Français
sur deux adhérerait à un programme de fidélité. Ratio purement arithmétique. En
fait, on estime qu'un consommateur plutôt perméable à ce type de programme (on
le rencontrera en priorité au sein d'une clientèle d'acheteurs à distance) sera
facilement utilisateur de quatre, cinq, six cartes. C'est moins que dans
d'autres pays d'Europe où le nombre moyen de cartes va de cinq à dix, et
beaucoup moins qu'aux Etats-Unis où les porteurs détiennent souvent jusqu'à 30
cartes. Ce qui laisserait de belles perspectives de développement à ce marché.
Même si, de l'avis de nombreux professionnels, on a atteint un certain seuil de
saturation. « Beaucoup de programmes vivotent. Il est vrai que la profusion des
programmes rend difficile la captation du client. Les programmes devront, à
l'avenir, privilégier les registres de la valeur, de l'émotion et de la
légitimité à celui de l'économie », estime Nicolas Stiegler, directeur de
l'activité conseil CRM d'Atos Origin.
Isabelle Cinquin (Wunderman)
: "On sait que les cartes de paiement
augmentent le chiffre d'affaires réalisé par porteur jusqu'à 30%."
Exemple souvent cité du danger inflationniste, le pétrolier Total, qui s'est un
jour trouvé submergé par une base de plusieurs centaines de milliers de noms,
devenue ingérable et, de ce fait, ruineuse. La carte Aurore de Cetelem,
première carte revolving en France, est aujourd'hui détenue par 9,6 millions de
porteurs. Cet imposant portefeuille, doublé d'une image un peu vieillotte,
explique-t-il le palier récemment franchi par la société de crédit ? Cetelem a
en effet décidé d'associer à la carte le concept d'affinité. En lançant, dès
mars 2001, une série de cartes thématiques, "Travaux Déco", "Vacances Loisirs",
"Micro Clic", "Auto"... « Ce dispositif affinitaire est une première en France.
Mais il ne remet pas en cause la carte mère », insiste Benoît Héry, directeur
général de Grey Marketing Services, l'agence en charge du lancement de ces
cartes thématiques. A priori, on est tenté de faire confiance au premier
fournisseur français de crédit en direct, qui a tant inspiré les établissements
bancaires dans l'édition de leurs propres programmes de crédit : Cetelem ne
saurait faire les choses au hasard. Et pourtant, cette immixtion dans la
segmentation des profils de porteurs ne risque-t-elle pas de déclencher un
phénomène de saturation ? « Cetelem est entré dans ce processus justement pour
sortir d'une certaine saturation par le volume », répond Benoît Héry.
Les trois objectifs centraux de la carte
Quels que
soient sa forme et son niveau de technicité, la carte a toujours les mêmes
objectifs majeurs, que l'on peut identifier au nombre de trois. S'attirer les
20 % de clientèle qui réalisent 80 % du chiffre d'affaires (ou 30 %/70 %, 40
%/60 %) et capter un maximum d'information sur cette population. Fidéliser en
augmentant la fréquence, le montant et la diversité de la consommation. Et
développer des partenariats. Une fois ces objectifs définis, rien n'est
acquis. L'ennemi premier de la carte, c'est sa non-utilisation par le porteur.
Les programmes sont nombreux qui n'ont jamais atteint leur seuil de
rentabilité. Une carte coûte cher. Le coût du support lui-même est très
directement lié à plusieurs postes. Comme le nombre de couleurs que l'on
imprimera en recto et en verso. Comme les fonctions de mémorisation et de
calcul intégrées à la puce, si puce il y a. Grosso modo, le coût unitaire de la
carte varie entre 3 et 25 francs. Mais le gros des dépenses est ailleurs, dans
la gestion des cartes. Il faudra ici compter de 20 à 80 francs par support et
par an, selon les prestations réalisées : saisie de plusieurs adresses,
adresses provisoires, proposition de renouvellement, interface internet,
collecte d'informations... Certes, sur de grandes quantités avec des mécanismes
linéaires, on peut descendre en dessous des 20 francs par carte et par an.
Réduction de 30 % du taux d'attrition
En matière de
gestion, il faut différencier les charges de fonctionnement et les charges
marketing. « La partie informatique représente entre 10 et 20 % du coût d'un
programme, 20 % avec back-office pointu, détaille Nicolas Stiegler. Le
marketing pèse pour 80 %. Si l'on estime que le ticket d'entrée de la gestion
informatique de fonctionnement est, à partir de quelques dizaines de milliers
de porteurs, de 2 à 3 millions de francs, on a vite évalué le poids d'un
programme. » Au moins 10 millions de francs. La carte coûte cher, mais elle
peut également rapporter de l'argent. Statistiques à l'appui, les
professionnels s'accordent à penser qu'une carte de fidélité réduit jusqu'à 30
% le taux d'attrition et augmente sensiblement (jusqu'à 30 % également) le
chiffre d'affaires des porteurs. « Toute modélisation économique avant le
lancement d'un programme doit prendre en compte ces données. Il faut se donner
tous les moyens d'atteindre des ratios de 30 % », note Isabelle Cinquin,
responsable du pôle d'expertise de gestion de la relation et de la connaissance
client de Wunderman. Selon cette dernière, le retour sur investissement se fait
en moyenne à trois ans. Pour Denys Rousseau, P-dg de Seditel - une société
française spécialisée depuis 20 ans dans la gestion des programmes de
fidélisation off et, aujourd'hui, on line -, les choses doivent aller plus vite
: si au bout d'une année, l'entreprise n'a pas rempli 80 % de ses objectifs en
termes de rentabilisation, elle doit s'inquiéter. L'enseigne Formule 1 a mis un
peu moins de deux ans pour atteindre son équilibre, avec un nombre pourtant
important de porteurs : 45 000. Grands Voyageurs, le premier grand programme de
fidélité de la SNCF, aura mis deux ans à atteindre son point d'équilibre. «
Nous venons juste de le dépasser. Mais il faut rester vigilants et faire en
sorte que les choses se stabilisent dans la durée », affirme Jérôme Laffon,
responsable dudit programme, qui ne précise pas cependant quel en a été
l'investissement. Mais on parle ici de volumes importants. La taille critique
n'est-elle pas le corollaire obligé de la rentabilité des programmes à la carte
? N'est-ce pas la raison pour laquelle les cartes de fidélisation semblent
réservées au B to C ? Car développer un support pour les 20 % qui réalisent 80
% du chiffre d'affaires, c'est déployer un dispositif d'autant plus coûteux
qu'il concerne une population restreinte. Et la carte est un support très
coûteux. C'est pourquoi, en B to B, plus encore que dans une stratégie grand
public, il faut trouver les moyens d'alléger tous les coûts inductibles à la
carte : du support lui-même à l'exploitation des informations qu'elle générera,
en passant par la communication périphérique.
Usipass.com ou la légitimation de la carte B to B
Le portail usipass.com, dédié au
monde de l'industrie, a ainsi été lancé il y a un an via une communication
construite autour du concept de carte. Dans une première vague d'annonces en
presse professionnelle avec encollage d'une carte factice, la cible est invitée
à composer un numéro pour recevoir une carte et une documentation sur ce
portail d'information au travers duquel les entreprises peuvent construire et
héberger leur propre site avec facilité. Aujourd'hui, usipass.com compte 40 000
entreprises référencées et 10 000 sites web. La carte de membre mentionne mot
de passe et log-in. « On prend pied à la fois dans le off et le on », affirme
Benoît Héry. Ici, la carte occupe une place centrale. Elle est l'élément
tangible fédérant plusieurs milliers de personnes autour d'un concept
communautaire. « L'affinitaire est particulièrement adapté au B to B »,
souligne-t-il. L'affinitaire comme palliatif au moindre volume ? Sans doute.
Mais l'affinitaire n'en est pas pour autant un facteur de rentabilité en soi.
En fait, en matière de rentabilité, il est difficile d'établir des règles
systématiques. « Tout dépend des critères métiers. Dans la grande distribution,
par exemple, si on identifie 70 % du chiffre d'affaires d'une enseigne au
travers de la population des porteurs de la carte, on sait que l'on peut
générer de premières économies qui vont peser dans le rapport carte/ISA »,
souligne Nicolas Stiegler. Il n'en demeure pas moins que les investissements
consentis par les sociétés spécialisées dans la gestion des cartes sont assez
colossaux. Et que le marché est, pour peu qu'on l'attaque avec les bons outils,
assez porteur. Comme semble en témoigner la présence d'Atos Origin sur ce
secteur. La société, historiquement positionnée sur le marché de la carte
monétique, s'est intéressée il y a cinq ans à la carte de fidélité.
Nicolas Stiegler (Atos Origin)
: "Les programmes devront à l'avenir
privilégier les registres de la valeur, de l'émotion et de la légitimité à
celui de l'économie".
Aujourd'hui, Atos Origin gère plus de 15 millions de porteurs. Parmi les cartes
gérées : celles de Système U, Casino, Atac, la carte du Club Avantages...
Autre acteur, autre positionnement, Seditel. Créée par des anciens responsables
du monde de l'hôtellerie, l'entreprise a acquis des galons et une
reconnaissance qualitative dans ce secteur d'activité. Seditel est le
partenaire du groupe Accor, mais aussi de Concorde Hôtels, d'Avis, d'Hertz,
d'Adda... Aujourd'hui, Seditel gère quelque 500 000 porteurs. La société a
fait le choix d'un traitement qualitatif. « Nous ne travaillons que sur des
programmes à cartes payantes. C'est le porteur qui achète sa carte, il ne
tolèrerait aucune erreur de civilité ou d'orthographe sur son nom », insiste
Denys Rousseau. La société sous-traite une grande partie des postes de gestion
des cartes (édition, estampage, encodage, mise sous pli, renouvellement...)
pour se concentrer sur le coeur de la prestation : le traitement informatique
et la saisie. Jusqu'alors, cette dernière a été prise en charge par des
personnes recrutées de bac + 2 à bac + 5. Cette activité pourrait elle aussi
être confiée à des sociétés extérieures. « Mais avec un contrôle très strict de
notre part. Sachant que la supervision de la saisie, de même que la gestion des
doublons et tous les cas épineux resteront en interne », précise Denys
Rousseau. En fait, l'objectif est de se concentrer sur la seule gestion
informatique.
Les cartes multimarques ont du mal à percer
Seditel a modernisé en 1999 l'ensemble de ses systèmes de gestion afin de
les rendre compatibles avec la norme internet (langage Java, accessible via
Internet Explorer et Netscape). « Nous avons sans doute l'outil le plus moderne
du marché. Grâce à lui, nous pouvons gérer la nouvelle carte Compliment, lancée
par le groupe Accor pour le Brésil. Une carte exclusivement gérée via Internet
», lance Denys Rousseau. Le montant de l'investissement ne sera pas communiqué.
Mais on peut le déduire : « Cette modernisation a occupé, durant deux ans, 7
ingénieurs à plein temps. » 30-40 000 francs x 7 x 24, soit près de 6 millions
de francs en investissement temps-hommes. Car pendant deux ans, les
développements commerciaux de la société auront été mis en stand-by. Le cas de
Seditel illustre bien le poids du traitement informatique dans la gestion des
programmes de fidélisation. En fait, la complexité de la gestion dépendra de
multiples facteurs. A commencer par la nature même de l'entreprise. « Lancer un
programme de fidélisation est plus complexe pour la SNCF que pour toute autre
société. Le nombre de trains, de destinations, de gares, de clients, de
services, sur quoi vient se greffer l'obligation de faire coïncider une
politique marketing avec les objectifs d'un service public... », affirme
Catherine Sudre, responsable du projet SNCF chez Wunderman. Plus les
programmes sont complexes, plus la gestion des cartes est pointue. C'est le cas
des cartes multimarques. Même si celles-ci, par-delà tous les discours
prometteurs toujours en vogue il y a encore quelques mois, ont du mal à percer
en France. Peut-être, justement, reposent-elles sur des mécanismes
d'utilisation et, partant, de gestion trop complexes. Peut-être aussi parce que
la légitimité des partenariats n'est pas toujours assurée. « American Express,
qui perd des parts de marché en France au profit de Visa, vient de lancer un
partenariat avec Peugeot. Un programme avec carte réservé aux clients fidèles
du constructeur. Le problème, c'est qu'il n'est pas certain du tout que les
clients de Peugeot le soient également d'Amex », affirme Isabelle Cinquin. On
s'interroge également sur les motivations d'Accor, qui vient de lancer un
programme de fidélisation autour d'une carte multimarque, "Favorite Guest".
Certes, les enseignes partenaires se limitent au giron du groupe, mais il
s'agit quand même de marques a priori très éloignées, comme Sofitel et Ibis.
Association pour le moins surprenante, tant on imagine mal qu'un client soit
adepte, régulièrement, de ces deux enseignes à la fois. A côté de ces cartes
multienseignes, on voit également évoluer d'autres supports complexes à gérer :
les cartes de paiement. Pour certains, la fonction de paiement est la seule qui
puisse justifier que l'on s'échine encore à gérer des programmes à carte. « La
carte comme simple vecteur d'accumulation de points, je n'y crois pas. Ce n'est
pas un hasard si la Fnac, ou d'autres grandes enseignes, y ont intégré une
fonction de paiement », relève Guillaume Villemot, directeur général
d'UrsaMaïor. Et Isabelle Cinquin d'abonder dans ce sens : « On sait que les
cartes de paiement augmentent le chiffre d'affaires réalisé par porteur jusqu'à
30 %. »
La fonction de paiement : un apanage de la distribution
Les cartes de paiement sont essentiellement le fait
de la distribution. Et pour cause : ce type de support est à ce jour le seul
moyen mis à disposition des enseignes pour reconnaître le consommateur. Mais il
s'agit de dispositifs très coûteux. C'est pourquoi les enseignes passent
généralement par une phase de test avec une carte "basique" avant de proposer
la fonction de paiement. La carte Grands Voyageurs de la SNCF est une carte à
puce, qui peut devenir carte de paiement si le porteur en formule le voeu. Le
paiement étant alors exclusivement limité aux achats auprès de la compagnie
ferroviaire. 15 % des porteurs ont demandé cette option. C'est aussi l'une des
vertus de la carte. Sa praticité en fait un support de test à bien des niveaux.
De support central, la carte de fidélité peut même passer au statut de support
expérimental. C'est le cas chez VVF. La société spécialisée dans le séjour de
loisirs a lancé, il y a deux ans, un vaste plan de refonte et de
rationalisation de sa politique marketing relationnel. Avec, moteur parmi
d'autres, l'initiation d'un programme de fidélisation, matérialisé par la carte
"Sourire". Un modèle classique de capitalisation de points. Le concept, testé
auprès d'un échantillon de clients générant un chiffre d'affaires important,
s'avère probant. « Nous sommes alors allés plus loin, résume Benoît Héry, dont
l'agence a été appelée par VVF. En optant pour un modèle à la fois plus
légitime par rapport à la marque et plus bénéfique pour les clients. » Le
programme Collect'Heures est alors lancé. Les clients ne gagnent plus de
points, mais des heures. Et le support carte disparaît. « Les clients reçoivent
via mailing le décompte des heures gagnées avec leur facture, ainsi qu'un
chèque d'heures à "dépenser". C'est plus parlant. » D'abord réservé aux clients
à fort potentiel, Collect'Heures pourrait être généralisé à un volant plus
large de la clientèle, voire à sa totalité.
La dématérialisation en question
Ainsi, chez VVF, la carte fut en quelque sorte le
support expérimental de sa propre relégation. Et c'est bien là l'une des
perspectives que d'aucuns envisagent fortement pour ce petit rectangle de
plastique. La dématérialisation. « Les nouvelles technologies, comme Internet,
l'UMTS ou les SMS, vont permettre de dépasser le support carte », avance
Guillaume Villemot. A-t-on d'ores et déjà sonné le glas de la carte comme
support central des programmes de fidélité ? « Si la carte demeure le support
le plus visible et le plus courant des programmes de fidélisation, elle n'est
plus le support le plus important en termes de business », avance Benoît Héry.
La carte ne serait donc pas morte, loin de là. Même si elle n'est pas, comme on
l'a trop entendu, la condition sine qua non de tout programme. Tout dépend en
fait du secteur d'activité concerné. « En lançant leur programme, Danone ou
encore Unilever ont jugé que la carte n'était pas justifiée pour des produits
de grande distribution multienseigne. Ils ont privilégié le magazine et les
bons de réduction, qui deviennent les supports de reconnaissance et les outils
de remontée d'information. Supports et outils qui ne sont pas plus économiques
dans leur gestion », affirme Isabelle Cinquin. A l'inverse, pour la SNCF, la
carte est encore le moyen le plus efficace pour reconnaître les meilleurs
clients partout où ils passent et consomment dans l'entreprise. C'est par la
carte que les clients les plus générateurs de chiffre d'affaires sont sortis de
l'anonymat. Qu'en pensent les professionnels de la carte, gestionnaires
informatiques des programmes ? « La question à se poser n'est pas tant celle de
la dématérialisation que celle de la multiplication des supports et des canaux
», avance Nicolas Stiegler. La carte n'a pas vocation à disparaître, mais à
s'intégrer dans un dispositif fonctionnel plus composite : Internet, SMS, GSM,
points de vente... L'enjeu réel étant alors d'utiliser chacun des canaux à bon
escient. Denys Rousseau est plus définitif : « Je crois à la disparition de la
carte plastique dans les programmes de fidélisation. Les entreprises ont
suffisamment joué avec. » Pour lui, l'avenir est à un référent plus immatériel,
de type numéro universel ou numéro de téléphone. En fait, la question de la
dématérialisation n'est pas anecdotique. Conséquence d'un mouvement général
d'évolution des technologies, elle induit par ailleurs une reconsidération de
l'ensemble des points d'entrée d'un programme, et notamment de la place et de
l'implication des points de vente. Imaginons que la carte disparaisse au profit
d'un mot de passe ou d'un numéro identifiant, quels seraient alors les outils
de lecture et d'enregistrement de ce code ? On peut imaginer une nouvelle
génération de TPE (terminaux de paiement électronique). On peut, plus
plausiblement, envisager une information circulant via l'ordinateur et
Internet. « Le vrai problème des programmes de fidélisation, ce sont les points
de vente, affirme Denys Rousseau. Or, on n'a pas encore trouvé de solution.
Soit on installe des TPE dédiés. Mais les entreprises ne sont pas prêtes à
mettre 2 000 ou 3 000 francs dans chaque point de relais avec la clientèle, a
fortiori quand il s'agit de points de vente franchisés. Soit on demande aux
distributeurs d'utiliser Internet. Mais les points de vente sont très peu
équipés de l'Internet en front-office. Soit on ins-talle des caisses
enregistreuses en réseau. Mais les franchisés n'y sont pas prêts. » Selon le
patron de Seditel, la formule optimale pourrait prendre la forme de petits
appareils de saisie connectés à Internet. Certes. En tous cas, on est encore
loin de l'attirail que promettaient, il y a deux-trois ans, les fabricants de
cartes, fait de montres, porte-clés, bracelets dotés d'écrans à diodes ou à
cristaux, de supports divers munis d'antennes... Avant de disparaître ou de se
laisser rejoindre par des supports plus inattendus, la carte ne doit-elle pas
atteindre un degré de maturité plus avancé dans sa fonction et sa finalité
mêmes ? « Il y a trois étapes pour la carte de fidélité, développe Nicolas
Stiegler. D'abord, les entreprises cherchent à déployer des programmes à forts
volumes et privilégient à cet effet des mécanismes économiques. Ensuite, elles
souhaitent enrichir le contenu de ces programmes, en recourant toujours aux
leviers économiques, mais en segmentant davantage et en proposant des offres
plus légitimes. Enfin, les entreprises procèdent à une véritable intégration de
l'approche client et de la fidélisation à leur organisation et leur stratégie.
En Grande-Bretagne, de nombreuses entreprises ont atteint ce stade. En France,
les entreprises les plus en avance n'en sont qu'au précédent. »
Vers la fin des mécanismes linéaires ?
De l'avis
général, le marché s'engage vers un abandon des mécanismes linéaires de
bénéfice. Finis donc les programmes à 10 francs = 1 point ? Ce qui est certain,
si l'on en croit le credo ambiant, c'est que les entreprises veulent fidéliser
leur clientèle au travers de bénéfices moins comptables et recelant davantage
de reconnaissance. En cassant la linéarité des gains, en doublant les bénéfices
pour un segment de clientèle, en proposant des bonus spécifiques. « Il faut
savoir déconnecter le bénéfice de l'acte d'achat. Autrement, les clients sont
tentés de faire le calcul. Or, ce n'est pas le but du jeu d'un programme de
fidélité », note Denys Rousseau. Par ailleurs, calculer le ratio argent
dépensé/points gagnés/bénéfice effectif revient à circonscrire le "taux de
générosité". Qui est souvent très déceptif. Celui de la carte Fnac, par
exemple, ne dépasserait pas les 2-3 %. On le voit, les paramètres intervenant
dans la viabilité d'un programme de fidélité "carté" sont trop nombreux pour
que l'on puisse établir des règles positives systématiques. Mais, par-delà tous
les préceptes, fort justifiés, que les entreprises et leurs prestataires auront
établis à l'aune de réajustements empiriques, il en est un qui demeure, quoique
pas assez souvent mis en avant. Dans la conception de tout programme de
fidélité, il faut savoir en envisager le terme et en préparer la transition. Et
c'est encore une autre aventure.