Vers une prestation globale
En marketing direct la logistique est plus compliquée que le simple traitement d'une commande. Elle englobe bien d'autres métiers : gestion informatique des fichiers, impression, personnalisation, routage, fulfillment. Aussi, les annonceurs réclament de plus en plus un interlocuteur capable de prendre en charge la chaîne logistique. Les prestataires répondent à cette demande en formant des groupes multifonction, ou en revendiquant un rôle d'assemblier des différents corps de métier.
À LIRE AUSSI
De la fabrication du mailing à sa réception par le client, de multiples
opérations composent la logistique du marketing direct, concept nébuleux de
l'aveu même des intervenants du secteur. « C'est un terme assez ancien qui a
évolué depuis vingt ans. Avant, routeur était synonyme de logisticien. Mais
aujourd'hui, les prestataires doivent intégrer les contraintes de l'amont
(bases de données, impression, façonnage) et de l'aval (fulfillment) », analyse
Etienne Geiser, P-dg d'Actimail. D'ailleurs, rares sont les prestataires à se
définir comme "logisticiens". « La logistique du marketing direct, c'est un
Meccano. Chaque pièce doit être correctement fabriquée. Le planning en est
l'illustration : si l'imprimeur prend du retard, c'est toute la chaîne qui va
s'en trouver ralentie », estime Francis Lejeune, directeur financier du Grand
Livre du Mois. Routeur, spécialiste du fulfillment, intégrateur de services,
maître d'oeuvre : les appellations varient selon le secteur d'origine de la
société. Pourtant, de l'avis unanime, de plus en plus d'annonceurs réclament un
interlocuteur unique capable de maîtriser plusieurs métiers. Mais ce fameux
logisticien capable de prendre en charge toute la chaîne, y compris
l'impression, le façonnage, la gestion de stocks, l'expédition, le suivi des
retours et le traitement des paiements, n'existe pas encore. « Aucun
prestataire ne peut tout faire de façon intégrée. Les machines et les
compétences sont différentes pour la saisie, la mise sous pli ou l'impression
laser », mentionne Francis Lejeune. Néanmoins, sous la pression des annonceurs,
certains acteurs, et surtout des routeurs, ont constitué des pôles
multifonction à même de répondre à l'ensemble des besoins de leurs clients en
matière de logistique. C'est ainsi que quelques groupes ont émergé ces
dernières années, tels Diffusion Plus, Eurodirect Marketing, Koba ou encore
arvato services (ex-Bertelsmann Services). Cette tendance à la concentration
n'empêche pas l'existence de nombreux autres fournisseurs, actifs sur une
partie de la chaîne ou spécialisés dans une fonction. D'autres, comme Alma
Consultants ou Actimail, veulent apporter une dimension conseil, en faisant
office d'assemblier pour leur client. Reste qu'il n'existe pas encore de
package global estampillé "logistique" dans l'univers du marketing direct.
Solutions pour tous volumes
Pour Eric Bizouerne,
directeur commercial chargé du marketing direct chez arvato services, la
logistique, « c'est tout ce qui concerne la partie en aval de la création ».
Plus précis, Alain Gazard, P-dg d'Eurodirect Marketing, distingue trois
sous-métiers dans la logistique du MD. Le traitement de l'information : gestion
des fichiers et des bases de données ; le routage : impression, façonnage,
personnalisation (jet d'encre ou laser), mise sous enveloppe et mise sous plis,
et le traitement des objets : préparation de commandes, gestion des stocks,
expédition et transport. Ensuite, vient la phase dite de fulfillment (voir
encadré p. 94). Là encore, les avis divergent quant à la définition de cette
activité. Pour certains, cette notion recoupe celle de logistique. Pour
d'autres, comme Alain Gazard ou Laurent Charpentier, président de Cifea DMK, il
s'agit uniquement de la partie finale de la chaîne, du traitement physique de
la commande à l'encaissement des paiements. Quant à Pascal Coeurderoy, gérant
d'Alma Consultants, il évoque « tous les canaux de communication (téléphone
fax, courrier, Web) permettant de commander et payer ». Il n'est d'ailleurs pas
le seul intervenant à intégrer les centres de contacts au fulfillment. Mais on
dévie alors de la notion de logistique pour rejoindre celle de relation client.
Au-delà des problèmes de sémantique, les stratégies des logisticiens du
marketing direct ne sont pas semblables, bien qu'elles tendent vers le même
objectif : la création d'une offre globale pour satisfaire les demandes des
annonceurs. Ainsi arvato services (marque ombrelle de la division services du
groupe Bertelsmann) a regroupé ses activités logistiques sur son site de Lens.
Depuis fin 2000, la société y effectue le traitement d'adresses, la
personnalisation (jet d'encre ou laser), le façonnage, le conditionnement, le
tri et le dépôt Poste des mailings de ses clients. « En marketing direct, la
logistique s'étend de plus en plus vers l'amont. Certains annonceurs veulent
que l'on s'occupe de l'ensemble de la fabrication, de l'achat des consommables
à l'impression », explique Eric Bizouerne. Arvato est capable de proposer une
prestation globale, de la création de la base de données à la gestion des
retours, mais la filiale de Bertelsmann peut se contenter de distribuer de la
PLV pour Castorama, ou de faire de la réception d'appels pour Cegetel. « Gros
ou petits volumes, nous avons toujours une solution, puisque nous avons un
atelier de 23 000 m2 pour les campagnes dites industrielles et un autre atelier
pour les prestations à façon. C'est au cas par cas », détaille le directeur
commercial.
Figurer dans le Top 3
Arvato a ainsi été
chargée par une enseigne de la grande distribution d'assurer l'expédition de sa
carte, en même temps que son catalogue, à tous les anciens porteurs. Puis de
gérer les demandes des nouveaux clients au fil de l'eau. « Après un premier
envoi en masse de plusieurs centaines de milliers de cartes, nous en avons
traité 3 ou 400 par jour. Mais nous pouvons le faire pour dix cartes seulement
», affirme Eric Bizouerne. Déterminé à figurer dans le Top 3 des principaux
prestataires logistiques pour le marketing direct, arvato services a investi
dans de nouveaux types de machine afin d'élargir sa gamme. Elargissement de la
chaîne de valeur, personnalisation laser de toutes formes de documents,
personnalisation de cartes de fidélité par embossage ou par transfert thermique
figurent aujourd'hui dans l'offre du groupe. « Cela nous a permis de gagner de
nouveaux clients. Les prestataires qui disparaissent n'avaient plus les moyens
d'investir », affirme le directeur commercial. Autre groupe dédié à la
logistique, Eurodirect Marketing a emprunté un chemin différent. Ses activités
de routage ont été cédées à Bertelsmann, à travers la création de la holding
Eurodirect Marketing Letter Shop (EDMLS), détenue à 60 % par le groupe
d'origine allemande (voir Marketing Direct n° 62). « En raison de la guerre des
prix et de l'évolution des contrats postaux (voir encadré p. 96), nous avions
du mal à gagner de l'argent sur cette activité. Notre filiale Eurodirect
Routage n'a pas réussi à atteindre un volume suffisant », explique Alain
Gazard. Ce dernier a donc préféré se recentrer sur le fulfillment : gestion des
bases de données, call centers, préparation et expédition des commandes,
facturation. L'acquisition récente d'une société spécialisée au groupe allemand
ODD sert de socle à cette offre à vocation européenne, qui pourrait à terme
concerner également le marché français. Eurodirect évoque aussi la possibilité
de faire du cobranding de catalogues pour les vépécistes, cible principale de
ce prestataire. Pour Alain Gazard, deux stratégies sont en train de se dessiner
sur ce marché de la logistique. D'un côté, des groupes intégrés, comme arvato
ou Diffusion Plus. De l'autre, des holdings financiers avec des participations
dans certains prestataires. « Après une aventure dans le routage qui ne s'est
pas très bien terminée, la réflexion est en cours », précise le P-dg.
Un nouvel outil, le Logisticiel
PostUp International
est un autre holding avec participations majoritaires dans ses filiales PostUp
France et PostUp Tel, et dans d'autres sociétés. Ce prestataire se réclame d'un
positionnement "exclusif", qui provient en partie des origines du groupe. «
Nous sommes issus de la promotion des ventes. A ce titre, nous avons appris à
gérer des flux entrants d'informations et des flux sortants de colis »,
explique Arnaud Lepage, directeur général. Avec 1 500 opérations par an et cinq
millions de colis expédiés, PostUp se présente comme un spécialiste de la
logistique dédiée au marketing direct. Son directeur général a même écrit sur
le sujet (Marketing Direct, Editions Nathan en novembre 1996). Son credo : la
logistique commence et s'arrête avec le service. Autrement dit, le groupe veut
apporter une valeur ajoutée à la logistique, considérée comme un outil au
service d'une stratégie, celle du consommateur. « La logistique a une
importance cruciale, puisqu'elle permet la concrétisation physique du contact
entre la marque et le consommateur », estime Arnaud Lepage. Le logisticien a
développé un concept basé sur un programme informatique, le "Logisticiel"
(marque déposée). Il permet de prendre en compte les demandes ou les stratégies
des annonceurs, et de les décliner au travers de process. PostUp prend en
charge les opérations de publipostage, de gestion des stocks, de centre de
contacts et de reporting web. Mais le prestataire déplore que la logistique ne
soit pas assez reconnue comme une activité à valeur ajoutée. « Les clients
réclament d'abord des prix », regrette le directeur général. PostUp préfère, de
son côté, afficher des tarifs un peu plus élevés que la moyenne mais soigner
les services. Comme ce système logiciel d'arbitrage en temps réel des coûts de
transport sur le site web de Canon. Une stratégie qui semble fonctionner,
puisque le groupe avance un taux de croissance annuel élevé. Toujours dans
l'optique de l'offre globale, Actimail se présente comme "maître d'oeuvre en
logistique du marketing direct". Location d'adresses, personnalisation, routage
et fulfillment font partie de la panoplie proposée par le groupe suisse,
présent en France à travers Acticom, Beecom et Codimail. Etienne Geiser estime
que le marché réclame des assembliers, capables de délivrer du conseil dans la
gestion des opérations de marketing direct. Même s'il avoue que cette dimension
intellectuelle n'est toujours pas rémunérée en tant que telle par les clients.
Un marché stagnant
Le marché de la logistique serait
plutôt atone, aux dires des intervenants : « Après avoir beaucoup grandi dans
les années 80 et 90, avec des taux de croissance supérieurs à 10 %, on assiste
aujourd'hui à une stagnation », estime Etienne Geiser. Eric Bizouerne parle
même de « régression ». Pour se développer, malgré ces temps difficiles,
Actimail mise beaucoup sur ses capacités à proposer une offre complète : « Soit
en association avec d'autres, par le biais d'accords commerciaux, soit en
recensant les possibilités, afin d'offrir la bonne combinaison de solutions »,
détaille son P-dg. L'idéal étant, selon Etienne Geiser, de rassembler plusieurs
alternatives et de retenir la meilleure. Le conseil aux entreprises en matière
de logistique, c'est aussi le positionnement d'Alma Consultants. Pascal
Coeurderoy veut « balayer l'ensemble des métiers du marketing direct, en
apportant notre connaissance des contraintes techniques et de l'évolution du
marché ». Celui-ci est persuadé que les clients vont se tourner encore
davantage vers l'externalisation de leurs opérations logistiques, pour des
raisons de coûts, mais également de souplesse et de réactivité. Reste à régler
le problème récurrent : comment répondre à une demande globale ? Pour Alma,
certains routeurs ont pu utiliser leurs ateliers pour délivrer une prestation
de stockage et d'expédition. « Mais ils ne maîtrisent pas la fabrication des
supports en amont, ni la gestion des paiements en aval », objecte Pascal
Coeurderoy. Pour bénéficier d'une solution complète de logistique, le
prestataire se propose d'être l'interface entre le donneur d'ordres et les
sous-traitants. L'annonceur doit, selon Alma, gérer quatre types
d'interlocuteurs : l'imprimeur pour la fabrication, une société d'informatique
pour le fulfillment, un logisticien pour la partie conditionnement et
expédition et un routeur. En cas d'externalisation de ces activités par un
client, la société de services étudie les possibilités par corps de métier et
prépare un budget détaillé. Alma passe contrat avec les ateliers et prélève une
marge sur la revente de ces prestations à son client.
Des opérations de plus en plus sophistiquées
L'intégration de services
dans le domaine de la logistique du marketing direct, c'est également la
stratégie de Cifea DMK. « C'est la tendance. Il faut pouvoir proposer un
ensemble de prestations, affirme Laurent Charpentier. Les opérations sont de
plus en plus sophistiquées, il faut maîtriser l'informatique et les data. C'est
plus compliqué que l'édition d'un pavé adresse. » Le métier même du marketing
direct évolue vers toujours plus de personnalisation des messages pour
améliorer la fidélisation. Un envoi peut regrouper plus de cinquante sortes de
messages différents. D'où le besoin de s'équiper en matériel de routage pointu,
et cher. Cette nécessité d'investir dans les machines, associée à la baisse de
la rémunération postale des routeurs (voir encadré p. 96) condamnent ces
derniers à évoluer, en étoffant leur catalogue de solutions (fulfillment) ou en
se spécialisant (routage de presse). « L'effet de concentration va entraîner la
disparition des routeurs "purs" », annonce Laurent Charpentier. Malgré la
faible croissance de l'activité logistique, le marché global du marketing
direct continue de croître. Exemple : les nouveaux canaux de communication
comme l'e-mail n'ont pas tué le mailing, au contraire. « Il n'y a jamais eu
autant de papier ! », se réjouissent les professionnels du secteur. Mieux : le
développement lent mais constant du e-commerce peut constituer de nouvelles
opportunités pour les logisticiens du marketing direct.
La logistique en six parties et quatre concepts
Pour Cifea DMK, la logistique du marketing direct est composée de cinq activités, plus une. 1. La gestion informatique des fichiers d'adresses : l'hébergement des bases de données et leur traitement (normalisation, déduplication, dédoublonnage, tri, scoring). 2. L'éditique : impression, personnalisation, édition des messages. 3. La fabrication. 4 et 5. Façonnage et routage (mise sous enveloppe et sous film, dépôt Poste, avec ou sans bureau de Poste intégré). 6. Le fulfillment : traitement des commandes (stockage, préparation, expédition, gestion des paiements). PostUp International préconise l'adoption des 4C dans son approche de la logistique : Comprendre (les besoins de l'annonceur). Concevoir (une solution adaptée). Concrétiser (mettre en oeuvre les process). Contrôler (de manière opérationnelle).
Tarifs en baisse, concentration en hausse
L'avis des professionnels est unanime : la baisse des rémunérations rétrocédées par La Poste aux routeurs est pour beaucoup dans la réorganisation du marché de la logistique. En effet, depuis 1995, l'opérateur national n'accorde plus de remise en fonction du volume et donc du chiffre d'affaires généré en affranchissement, mais en fonction d'un coût au mille. La chute considérable des revenus a conduit des sociétés comme Eurodirect Marketing ou Le Grand Livre du Mois à se débarrasser de leurs activités de routage. Et déclenché le mouvement de concentration qui se poursuit aujourd'hui. Conclusion de Pascal Coeurderoy (Alma Consultants) : « A terme, il restera des entités industrielles et d'autres de petite taille pour gérer les moutons à 5 pattes, mais de moins en moins de prestataires de taille intermédiaire ». Avis partagé par Grégoire Mallet (Boulanger) : « Les groupes peuvent prendre en charge les gros volumes, et les petits doivent se spécialiser. Pour les prestataires de taille moyenne, c'est beaucoup plus difficile. »