Manager, c'est prévoir
Comment mettre en place les bons effectifs pour répondre à une activité par essence variable ? Si la question du dimensionnement est au coeur des préoccupations des managers de call centers, c'est qu'elle révèle toute la complexité d'une gestion au quotidien, où productivité, normes de service et ressources humaines ne sont pas toujours en bons termes.
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La gestion des effectifs constitue la préoccupation majeure des patrons de
centres d'appels. La pénurie de main d'oeuvre qui se fait jour à Paris et
maintenant en province ne fait qu'accentuer les difficultés des managers à
mettre en place les bons effectifs en face des variations d'une activité par
définition assez imprévisible. Or, c'est là tout l'art du dimensionnement :
anticiper les fluctuations volumétriques d'appels et de contacts arrivant sur
les plates-formes afin de maintenir des objectifs de qualité de service et de
productivité. De plus en plus, le dimensionnement devra être considéré en
étroite corrélation avec les perspectives offertes par la connexion
téléphonie/informatique (CTI), avec la dimension multisite des call centers,
avec l'hétérogénéité des outils qui s'ensuit (différents PABX, différents
serveurs vocaux, différents logiciels de CRM), avec le développement des
pratiques reposant sur la multicompétence des agents. Bref, le dimensionnement
est, quasi inévitablement, lié à l'aspect fonctionnel et technologique des
services clients. Tous les centres d'appels ont un ACD. Un grand nombre a opté
pour le SVI. Ils sont de plus en plus nombreux à avoir intégré le CTI. Et les
techniques de web call center, à défaut d'être réellement implantées, font
beaucoup parler. Aujourd'hui, la technologie est une dimension vitale du
fonctionnement des centres de contacts. Alors pourquoi ne pas intégrer des
outils de dimensionnement ? A fortiori lorsque la réflexion sur la gestion des
ressources humaines est avancée. A fortiori quand la pénurie de main d'oeuvre
devient préoccupante et qu'il faut se donner tous les moyens de fidéliser au
mieux ses équipes. La question du dimensionnement est bien sûr beaucoup plus
prégnante dans une configuration de réception d'appels. Pour la bonne raison
que, malgré l'expérience et les données statistiques des médiaplanners
permettant de cadrer les flux entrants, il est impossible d'évaluer de manière
précise le volume et les variations du trafic arrivant sur une plate-forme. Par
ailleurs, plus le volume d'appels est important, moins les calculs de
dimensionnement sont épineux. Il est en effet proportionnellement moins
conséquent de jouer sur deux ou trois personnes de plus ou de moins dans une
configuration à 100 conseillers que dans une situation à 30 agents. Plus le
ratio du variable par rapport au fixe est élevé (un ou deux conseillers de plus
ou de moins pour une équipe de 10 agents), plus le manager sera contraint de
"saucissonner" arbitrairement les effectifs les plus proches de la ligne de
rapport (le ou les deux conseillers en plus ou en moins). Le cas de figure est
encore différent dans une configuration d'externalisation en débordement. Sous
quels délais et à quel prix un outsourcer est-il en mesure d'aligner les
effectifs nécessaires au traitement des pics d'activité que son client ne peut
gérer ? La loi sur les 35 heures a été, sur ce secteur d'activité des centres
d'appels, et notamment pour les outsourcers, une aide indirecte au
dimensionnement. « La loi Aubry a été l'occasion d'une modularisation des
horaires en annualisation.
Maurice Cautela (CSC Peat Marwick)
: "Le dimensionnement relève de
considérations budgétaires et techniques : contrôle de gestion, services
informatiques et télécoms".
Ce qui nous a permis de transformer
de nombreux contrats à durée déterminée en CDI », explique Thierry Mormentyn,
P-dg de Teleperformance Nord et patron du réseau Teleperformance en France.
« 30 % de marge de flexibilité : ça n'est pas assez »
Cette stabilisation sociale permet aux sociétés d'externalisation de disposer
"sur place" d'un vivier stabilisé. D'une part de collaborateurs aux horaires
plus facilement programmables. D'autre part d'effectifs plus perméables à des
sessions d'évaluations spontanées et à des formations réactives. « Avec les
CDI, il est plus facile de jouer sur une gestion mutualisée des différents
clients », note Thierry Mormentyn, qui revendique pour Teleperformance Nord 70
à 80 % de CDI sur environ 200 postes équivalent temps plein. « Aujourd'hui, en
matière de dimensionnement, nous avons une marge de flexibilité de 30 %. Ça
peut sembler énorme. Mais, pour une activité comme la nôtre ça n'est pas
suffisant », poursuit le P-dg. Dans le cas d'une structure internalisée, la
problématique n'est pas la même. Même si le fait de dédier des équipes à des
tâches spécifiques handicape évidemment la réactivité et l'adaptation aux
variations des flux, même si l'évolution "ordinaire" d'un service client est à
l'augmentation progressive du trafic entrant, il est généralement plus simple
de dimensionner. Pour la simple et bonne raison que les centres de contacts
internalisés gèrent très généralement des services clients sur le terme et très
rarement des opérations de communication, de publicité ou de promotion. Au
pire, pour anticiper sur une activité qui deviendrait par moments plus
incontrôlable, les entreprises peuvent-elles passer avec des outsourcers des
contrats de sous-traitance en débordement.
Gestion des débordements : dépasser l'arithmétique
Mais attention, la gestion des
débordements ne s'opère pas nécessairement sur la base d'un calcul purement
arithmétique de transfert d'un site vers un autre au premier appel qui ne peut
être traité sur le premier. Certes, ce modèle est prévalent dans un contrat de
sous-traitance. En revanche, dès lors qu'elles optent pour le transfert sur un
deuxième ou sur plusieurs sites gérés en interne, les entreprises ont intérêt,
pour optimiser la qualité de service, à programmer le routage des appels avant
que la situation ne devienne critique. Europcar a ouvert en février 2001 un
site à Dijon pour répondre à une production accrue. Le premier site du loueur,
à Nanterre, pouvait traiter les 3 500 appels reçus en moyenne chaque jour avec
une équipe de 70 personnes. Mais, lorsque les flux montaient à 5 000 appels
quotidiens, la qualité de service ne pouvait être maintenue, même avec un
redimensionnement à 90 agents. L'entreprise a donc choisi de créer un lieu de
traitement de la production en débordement, animé par une bonne vingtaine de
chargés de réservation. Avec l'objectif, non pas d'absorber le strict débord,
mais plutôt celui de fluidifier le trafic en amont, avant que l'on enregistre
les premiers appels en attente. Fluidification plutôt que gestion des
débordements. Ce, pour une raison bien connue des managers de call centers : le
débord est toujours traité avec un temps de latence qui oblige à perdre,
inévitablement, 2 à 5 % des appels. Les professionnels font parfois un
distinguo entre dimensionnement, prévision et planification. « Le
dimensionnement relève de considérations budgétaires et techniques : contrôle
de gestion, services informatiques et télécoms. La planification revêt une
dimension plus opérationnelle et dépend plus spécifiquement du planner. Quant à
la prévision d'activité, elle interagit à la fois sur le dimensionnement et sur
la planification et s'approche d'un travail d'analyse qui appartient plutôt à
la direction du centre d'appels », affirme Maurice Cautela, consultant chez CSC
Peat Marwick.
Une décision qui doit rester locale
Dans
le cas d'un centre de contacts multisite par exemple, la prévision d'activité
sera l'affaire d'une direction centralisée, alors que la planification relèvera
plus directement des directeurs de sites, qui communiqueront à une autorité
centrale les différents éléments ponctuels entrant dans la gestion des
effectifs (absences, retards...). Depuis ce creuset central, on veillera à ce
que la somme de toutes les ressources corresponde bien au maintien de la
charge. Voilà du moins pour la théorie. Car, dans les faits, pour une
configuration de centres d'appels en réseau, la décision opérationnelle du
dimensionnement ne peut pas être prise de manière centralisée. Pour des raisons
de praticité et même d'efficience. Imaginons : le siège fait ses calculs de
prévision d'activité et prévoit le routage de 30 % des appels vers le site 1,
d'un deuxième tiers sur le site 2 et d'un dernier sur le site 3. Si le moindre
incident arrive sur le site 1, il faudra remonter l'information et renvoyer les
flux vers le siège, qui devra ensuite faire remonter l'ensemble des flux
arrivant sur les deux autres sites afin de procéder à une deuxième simulation
et de redéfinir le dimensionnement en fonction des avaries du premier site. Une
belle perte de temps. Le dimensionnement, par définition, doit rester une
affaire locale. « On peut toujours prendre en compte au niveau national des
données exogènes : météo, événements locaux, manifestations diverses. Mais au
final, c'est le local qui subit les effets du local. Si une pluie diluvienne
s'abat sur Bordeaux, c'est le site de Bordeaux qui le subira, pas les autres »,
souligne François Rey, directeur commercial et marketing de Holy-Dis, éditeur
français de solutions de planification. Que peuvent dire les outils de
dimensionnement déployés sur un centre d'appels ? Par exemple, qu'il faut
prévoir un effectif de trente personnes à telle heure, et le réduire à cinq
agents quatre-vingt-dix minutes après. Or, contrairement à ce qui se pratiquait
il y a quelques années (et parfois encore aujourd'hui, mais si possible loin
des regards de l'inspection du travail), les entreprises spécialisées dans
l'exploitation de centres d'appels n'ont plus toute latitude à staffer et
déstaffer. C'est pourquoi les outsourcers, et dans une moindre mesure les
entreprises exploitant leur call center en interne, développent des services
connexes. Pas tant pour compléter leur palette de prestations que pour occuper
les effectifs durant les plages de moindre activité.
Les limites du co-blending
Cette technique de management et d'organisation est
appelée "co-blending" : on va demander aux téléconseillers d'alterner la
production au téléphone avec la gestion du courrier ou des mails, soit de
manière très programmée, soit au coup par coup. Pour aider les managers dans la
mise en place de ces systèmes, il existe également certains modules logiciels.
Le problème étant plus dans la formule d'organisation elle-même. Car, si le
co-blending, ça marche sur le papier, pour nombre de responsables de centres
d'appels, ça ne fonctionne pas bien dans les faits. Pour une raison majeure :
les compétences requises pour la réception et pour l'émission d'appels ne sont
pas les mêmes. Ce qui n'empêche pas les entreprises d'y avoir recours. Une
étude menée en 2001 par la CFDT sur la base de réponses à un long questionnaire
apportées par 1 877 salariés de centres d'appels (1 160 dans des services
clients internalisés, 717 chez des outsourcers) montre que le modèle est
courant au moins pour un quart des téléconseillers. Si 59 % d'entre eux disent
travailler toujours en réception d'appels et 5 % toujours en émission, ils sont
25 % à parler d'un travail en alternance entre appels entrants et sortants. Il
est à noter que le co-blending est sensiblement plus fréquent chez les
outsourcers (30 %) que sur les centres internalisés (21 %). « En matière de
co-blending, il faut faire extrêmement attention à la communication. Il est
évident que si on lance aux téléconseillers : "Nous allons enrichir votre
travail !" pour leur proposer une diversification des tâches, on s'expose à des
difficultés », explique Maurice Cautela. Dans ce même ordre d'idées, dès lors
que l'on confie à ses équipes d'autres tâches que celles pour lesquelles elles
ont été recrutées, il faut prêter à ce nouveau travail et à la manière dont il
est exercé la même attention, le même suivi. Evaluer le travail avec les mêmes
outils, les mêmes incentives. Et fournir aux conseillers tous les retours
nécessaires quant aux résultats de leurs activités. D'où la place centrale du
management de proximité dans un contexte de co-blending ou d'extension des
charges. Attention, d'autre part, à inscrire les tâches complémentaires dans
une durée significative, au moins deux à trois heures de suite. Pour éviter
l'effet "travail d'appoint".
Quand communiquer leur planning aux salariés ?
Bref, mieux vaut inscrire le co-blending dans une
démarche programmée. D'autant que, plus on programmera, plus on pourra
communiquer à l'avance aux salariés leur emploi du temps. A cet égard, le
management des centres d'appels est loin de l'optimal. « On s'oblige à
communiquer les plannings une semaine à l'avance. Mais ça n'est pas toujours
possible », reconnaît Thierry Mormentyn. Selon l'enquête de la CFDT, 27 % des
personnes interrogées sont prévenues moins de quinze jours à l'avance de leurs
horaires futurs. Elles sont 18 % à en être informées entre quinze et trente
jours à l'avance et 23 % plus d'un mois avant. Pour 32 % des téléconseillers,
la question ne se pose même pas puisque l'emploi du temps reste invariable. Il
semble par ailleurs que les managers n'aient pas trop mal intégré les
techniques de planification puisque 47 % des agents interrogés disent n'avoir
jamais eu à effectuer d'heures supplémentaires. A noter toutefois que ces
dernières sont davantage le fait des centres d'appels en externalisation. Les
salariés d'entreprises d'outsourcing sont en effet 36 % à faire des heures
supplémentaire (souvent, pour 6 %), contre 16 % pour les conseillers de
plateaux internalisés. Sur le centre d'appels de l'entreprise de développement
photo par correspondance Extra Film, les plannings sont communiqués un mois à
l'avance. Le fonctionnement étant basé sur un régime de polyvalence, chaque
conseiller, pour peu qu'il ait accumulé de six à douze mois d'expérience sur le
centre d'appels, va occuper par roulement les divers postes constitutifs du
service client : call center, traitement du courrier et des colis, facturation.
Mais toujours pour une durée minimale d'une semaine. Un cas de figure qui
semble assez représentatif des pratiques courues sur les services clients
internalisés. Rares sont les sociétés réussissant l'exploit de Direct
Assurance, filiale du groupe Axa, qui soumet aux 400 salariés de ses deux
centres d'appels des plannings annuels. « Nous avons mis en place bien avant la
loi Aubry un système d'annualisation. Nos chargés de clientèle travaillent
trente-deux heures par semaine. Ils sont soit de tranche du matin, soit de
tranche du soir et travaillent un samedi sur quatre. On leur remet leur
planning à l'année, avec une possibilité maximale, et signée par accord, de six
modifications par an », explique Bertrand du Réau, directeur des opérations
d'assurance. En fait, la diversification des missions peut être intéressante si
elle repose sur une bonne gestion des compétences. Et ce, en amont du
redimensionnement. Dans une politique d'aide à l'évolution des carrières, elle
constitue un excellent baromètre pour les managers et un excellent tremplin
pour les agents.
Le taux de qualité de service : un paramètre déterminant
Mais, ici comme ailleurs, l'un des paramètres
incontournables sera le taux de qualité de service que les managers souhaitent
imposer. Un taux qui sera déterminant dans le calcul même du dimensionnement. «
Certains voudront que l'on prenne 80 % des appels en moins de vingt secondes
avec une perte ne dépassant pas les 3 %. D'autres voudront une prise à 100 %.
Certains arrêteront un temps d'attente maximal de vingt secondes, d'autres de
quinze. Et, sur des gros volumes d'appels, cinq secondes de différence changent
très sensiblement la donne », explique Dominique Berthelot, directeur
commercial Europe de Call Center Alliance (CCA). En matière de codes de qualité
de service, la norme se situe entre un taux de 85 % et un taux de 90 % d'appels
traités. Cette dimension est moins anecdotique qu'il n'y paraît. Plus on
s'approche des 100 %, plus la facture sera élevée. Mais pas selon un rapport
arithmétique. La différence se marquera très vite de manière exponentielle.
Car, plus on s'approche des 100 % d'appels traités, plus on s'approche de
l'impossible. Sauf à opter d'emblée pour un surdimensionnement, c'est-à-dire
vers un effectif plus important que ce que les besoins réels ne demandent.
Bref, l'entreprise paiera un temps horaire toujours en partie non exploité. Et
le surcoût est d'autant plus lourd que la pertinence de cette politique, quant
à ses effets mêmes, est très relative. « Il est complètement idiot de vouloir
surdimensionner dans le cadre de certaines campagnes de prospection TV, pour
lesquelles la loi interdit la vente directe par téléphone en premier contact et
où la part d'appels perdus, même si elle est de 15 %, ne correspond pas à des
contacts à forte valeur ajoutée », explique Dominique Berthelot. Le
dimensionnement, c'est toujours le résultat d'une recension de plusieurs
facteurs. C'est toujours, surtout, au final, une affaire de coût. « Un client
nous a, un jour, demandé de respecter une durée minimale de quarante-cinq
minutes par contact. Après discussion, nous avons réussi à réduire ce temps
standard à trente-cinq minutes », poursuit le directeur commercial Europe de
CCA. Le surdimensionnement ne va pas sans risque. La surqualité induit
nécessairement une diminution du niveau d'activité. Et l'un des pires ennemis
du manager de centre d'appels est précisément l'inconstance de l'activité. Car
il faut maintenir la structure dans ses ratios de productivité. Le
dimensionnement est, du moins dans les structures fonctionnant en grande partie
sur des ratios de productivité, également associé aux objectifs quantitatifs de
production fixés aux agents et donc aux politiques d'incentive. Celles-ci
portant généralement, dans ce cas de figure, sur un total d'appels pris en un
temps donné, voire, plus subtilement, sur la capacité à réduire la durée
moyenne des contacts. L'annuaire multicanal Scoot, qui enregistrait à son
lancement, en mars 2001, des durées moyennes d'une à deux minutes pour le
traitement des demandes qualifiées, a ainsi révisé le temps maximal de contact
à soixante secondes. Arval PHH, numéro un français de la location et gestion de
parcs automobiles multimarques d'entreprise, mise également sur la réduction
des durées moyennes de contact. Ordinairement, celles-ci se situent entre une
et deux minutes selon les services du centre d'appels : assistance,
maintenance, service conducteurs, assurance. « Nous enregistrons des variations
de flux assez sensibles, avec une saisonnalité prévisible et des mouvements
plus imprévisibles directement liés à la météo. Les fluctuations peuvent aller
du simple au triple », explique David Chenu, directeur communication et
marketing. Pour autant, les équipes (environ 80 personnes) ne seront pas
triplées. Arval PHH va jouer sur la conjonction de différentes approches : en
piochant dans un vivier préformé de CDD, en formant les conseillers et
techniciens à mettre un terme à une conversation, en utilisant le serveur vocal
pour inviter les clients à rappeler ou à s'orienter sur les autres numéros du
call center. « De manière générale, nous veillons toujours à être sur- staffés
pour ne pas avoir de mouvements importants d'effectifs », souligne David
Chenu.
Pas de dimensionnement sans objectifs de productivité
Pour optimiser cette productivité à laquelle le
dimensionnement est si fortement lié, les entreprises disposent aujourd'hui
d'une palette d'outils, à commencer par le CTI (lien logiciel entre
l'informatique et la téléphonie). Une récente étude du cabinet Xerfi (juillet
2001) portant sur le marché des centres d'appels à l'horizon 2001 détaille les
effets de l'intégration du CTI chez l'opérateur SFR. Selon cette société
d'analyse, la montée automatique de la fiche client entraîne une réduction
moyenne de trente secondes par appel. Ce qui permet d'augmenter la productivité
des acteurs de 14 %. Au total, l'éco-nomie induite se monterait à 87 millions
de francs par an ! Impressionnant. Mais tous les services clients n'imposent
pas à leurs effectifs des rythmes aussi stakhanovistes, Dieu merci. Par
ailleurs, le CTI coûte cher. S'il existe aujourd'hui des offres développées
pour les petites structures et accessibles à raison de 3 000 ou 5 000 francs
par poste, les solutions des grands éditeurs peuvent très vite être facturées
deux à trois fois plus cher. Suffisamment pour faire que des entreprises y
renoncent définitivement. « Notre charge d'appels n'est pas suffisamment lourde
pour nous permettre d'absorber ce type d'investissement. Par ailleurs, les
managers de centres d'appels savent bien que le CTI, de facto, repère environ
50 % des appelants, pas davantage », affirme Eric Marc, D-ga d'Extra Film.
Autre outil utilisé - plus souvent celui-ci - dans la gestion des pics
d'activité, mais plus en aval : le serveur vocal. Qu'il soit exploité dans sa
facture la plus simple ou dans son mode interactif, cette dernière option étant
moins répandue lorsque le serveur intervient comme instrument de secours. Et en
tant que tel, les managers de centres d'appels l'utilisent avec parcimonie.
Chez Floritel, société marseillaise de transmission florale, le serveur vocal
est là pour gérer le trop plein. Situation récurrente pour cette activité
fortement saisonnière qui peut enregistrer jusqu'à 60 000 appels par jour alors
que la moyenne quotidienne lissée sur l'année est de 6 000. Dans un tel cas de
figure, difficile de multiplier les troupes par dix. Chez Floritel, la
fourchette des effectifs fluctue entre 15 et 80 personnes. Mais, face à un flux
de 60 000 appels, la qualité de service ne peut pas être optimale. Il ne s'agit
plus alors de viser un taux de prise d'appels de 100 % que de limiter au mieux
le ratio d'appels perdus. C'est là que le serveur vocal intervient. Comme un
pis-aller.
Ne pas négliger la "longévité" des agents
Outils ou pas, soit c'est le dimensionnement qui fera l'objet de réaménagements
si les ratios effectifs de productivité devaient évoluer. Soit, inversement, on
adaptera le rythme de travail aux effectifs en place, en jouant, dans les
périodes de plus faible trafic téléphonique, sur du co-blending, par exemple.
L'enquête menée par la CFDT semble montrer qu'en l'occurrence, il n'y a pas une
école qui prévale sensiblement sur l'autre. Ainsi, 44 % des personnes
interrogées déclarent être soumises à un flux continu d'appels (48 % chez les
outsourcers, 41 % sur les plateaux gérés en interne). Pour 30 % d'entre elles,
le rythme de travail dépend du nombre d'appels en attente. Elles ne sont que 17
% à avoir la maîtrise sur les appels à prendre. Avec, ici, un écart sensible
entre salariés en externalisation (11 %) et dans un service en interne (21 %).
Autre paramètre à ne pas négliger lorsque l'on introduit la donnée productivité
dans le calcul de dimensionnement : la longévité. « Quand on impose en
télémarketing des objectifs de productivité à dix contacts argumentés par heure
avec deux ventes, avec une comptabilité à l'heure, comme c'est le cas chez
nous, tout le monde ne peut pas le supporter », affirme Thierry Mormentyn. Du
bon sens. Pour parer aux défections, au turn-over en général, pour faire
"coller" les effectifs à la charge d'activité, les entreprises doivent trouver
les bonnes ressources. Aussi, et notamment pour les outsourcers, la question du
recrutement et de la nature des contrats de travail à proposer se pose-t-elle
de manière centrale. Or, entend-on de tous bords, la source de recrutement
semble se tarir, y compris en province, en tout cas dans les villes à forte
présence de call centers. Exemple : Teleperformance Nord. La société est située
au coeur d'un campus de 40 000 étudiants. Pour recruter 30 personnes (avec un
salaire minimal fixe annuel de 120 KF brut), l'outsourcer va recevoir 400
candidatures, en retenir 120 pour entretien. Et sur les 30 qui seront retenues,
toutes ne seront pas là au terme d'une année. La société affiche en effet un
taux de turn-over de 10-15 %. Ce qui est peu dans l'univers de
l'externalisation. Ce ratio 400/30 traduit on ne peut mieux l'énergie que les
sociétés d'externalisation doivent déployer pour répondre à leur croissance et
aux aléas permanents du dimensionnement. « Nous avons mis en place un
assessment qui nous permet, en une demi-journée, d'évaluer une vingtaine de
personnes pour un poste ou un travail donné. Avec un entretien collectif, un
entretien individuel et une mise en situation. A quoi il faut ajouter 48 heures
de formation. En une semaine, la personne est opérationnelle », souligne
Thierry Mormentyn.
La solution du groupement d'employeurs
Extrafilm, également situé dans le Nord, a choisi de
jouer sur tous les tableaux en matière de "colmatage" d'effectifs. La société
est soumise à de fortes variations dans le volume d'appels. Le service client
emploie de 10 à 40 personnes, avec une moyenne de 30. Alors qu'il reçoit en
moyenne annuelle quelque 600 000 appels, le trafic passe du simple au double
sur les deux périodes de pointe, décembre-janvier et avril-août, avec un
paroxysme pour les quinze derniers jours d'août. Pour répondre aux pics, Extra
Film puise dans les divers viviers de secours, et les exploite en totalité dans
les périodes les plus chaudes. Outre l'intérim, la société a également recours
au service de cinq, six, sept salariés d'un groupement d'employeurs. Une
formule originale et intéressante dans cette région du Nord où le recrutement
des téléconseillers est souvent épineux. Un certain nombre de sociétés non
directement concurrentes, comme Extra Film, Plantiflor, Bonprix, se sont
associées au sein d'un groupement d'employeurs pour co-salarier un pool de
téléconseillers qui vont répondre aux besoins propres de ces entreprises dont
les pointes d'activité ne sont pas concomitantes. « Tous les deux mois, ils
changent de société. Ce qui leur permet de conserver un travail tout au long de
l'année. C'est de l'intérim intelligent », note Eric Marc. Enfin, en dernier
recours, la société de développement photo à distance fait appel à des
étudiants, notamment pour les services de soirée et du samedi. « Nous essayons
de les recruter en été, afin de pouvoir les former durant deux semaines avant
qu'ils n'attaquent la production », explique Eric Marc. Les effectifs
estudiantins viennent ainsi répondre aux pics d'appels (notamment fin août),
lorsque le recours à l'intérim et au vivier d'un groupement local d'employeurs
ne suffit plus. Ils sont également là pour se substituer aux CDI durant les
vacances estivales. Depuis les outils de filtrage en amont (ACD, CTI),
jusqu'aux actions ponctuelles de recrutement, le dimensionnement interagit en
fait avec l'ensemble des aspects fonctionnels et organisationnels d'un centre
d'appels. Ce qui en fait toute la complexité. Une complexité qui peut toujours
s'opacifier à mesure que l'on ajoute des strates dans la gestion des ressources
humaines. On peut, par exemple, aisément concevoir à quel point une dimension
internationale ne simplifiera pas les choses. Qu'en est-il en effet des centres
d'appels paneuropéens ? Certes, il s'agit généralement d'entités à vocation B
to B, soumises à des flux entrants plus prévisibles. Mais la question du
multilinguisme, des fuseaux horaires et des législations locales entre en ligne
de compte, donnant au dimensionnement une nouvelle forme de complexité. Certes,
le paneuropéanisme n'a jamais été la dynamique la plus porteuse du marché des
centres d'appels en France. Et, justement, la difficulté du dimensionnement n'y
est pas étrangère.