Les agences à la conquête de la fidélisation
Et si les objectifs alloués à la fidélisation marketing cœxistaient avec ceux traditionnellement confiés à la communication sur l'image de marque des entreprises ? Pour de nombreuses agences, ces deux disciplines sont désormais indissociables, même si les objectifs restent, eux, différents.
Dans le petit monde des agences de marketing relationnel, la fidélisation
n'est pas matière pouvant souffrir l'amateurisme. Il n'est plus question, à
l'heure des grand chantiers de la relation client, de se contenter d'actions de
marketing purement incitatives, improvisées à l'occasion des grandes
braderies, de lendemains de fête ou de changements de saison pour doper la
consommation. La fidélisation, toutes les agences en conviennent, c'est une
relation qui s'inscrit dans la durée du cycle de vie du client. Il n'est plus
question, donc, de développer un discours opportuniste, isolé du dialogue
habituel que l'annonceur entretient sur sa marque en communication
publicitaire, mais de « prendre conscience que cette relation se construit ou
se détruit avec tous les éléments de dialogue que l'entreprise entretient avec
ses clients », fait valoir Michel Salinier, directeur associé de l'agence Ebb &
Flow. Or, sans aller jusqu'à assimiler une stratégie de fidélisation à une
stratégie de marque, il faut pourtant souligner l'interdépendance de ces deux
politiques, dont le discours de la première ne s'exprimera pas sans tenir
compte du dialogue développé par la deuxième. « Si l'agence n'a pas vocation à
toucher au positionnement de la marque, mission qui revient uniquement à la
pub, elle devra néanmoins s'approprier les valeurs de la marque et en tenir
compte à chaque occasion de contact avec les clients », poursuit Michel
Salinier. Les objectifs mêmes attendus de cette relation méritent d'être
révisés, le but d'une stratégie de fidélisation n'étant plus d'accroître la
consommation d'un même produit mais plutôt d'amener le client à consommer
transversalement une ligne de produits proposée par une même marque. Ambition
qui suppose une réflexion de longue haleine menée autour du profil, des
habitudes de consommation et des attentes de la cible prioritaire pour
l'annonceur. Voilà, en quelque sorte, la mission qu'entendent remplir les
agences dans la construction d'une stratégie de fidélisation. « Ce qui tue un
programme, c'est croire que le simple système de récompense puisse permettre à
l'annonceur d'acheter la fidélité de son client. Or, un programme fonctionne
bien quand il y a équilibre entre relationnel et transactionnel et c'est
pourquoi le programme de fidélisation de masse est un non sens », estime Michel
Salinier. Ne pas confondre promotion opportuniste et relation durable, tel est
le point de départ de toute réflexion sur la fidélisation.
La fidélisation, nouveau dada des agences
Dans toute stratégie de
fidélisation, deux axes essentiels doivent être pris en compte, ainsi que
l'explique Eric Pietrini, P-dg de Proximity BBDO : « Soit le programme repose
sur une dimension purement transactionnelle qui récompense les clients de
manière indifférenciée suivant leurs volumes d'achats, c'est typiquement le cas
des programmes de distributeurs comme Auchan qui propose un contrat 100 %
transactionnel, soit on associe autre chose à la dimension transactionnelle, et
ce quelque chose, c'est le relationnel, soit un ensemble de moyens permettant
de faire entrer le client dans l'univers de la marque ». Chez Tequila\,
l'agence de marketing services du groupe de communication TBWA\, 70 % de
l'activité est couverte par la fidélisation ou le relationnel au sens large.
C'est dire si cette discipline a pris du galon depuis l'ère du cadeau Bonux ! «
L'enjeu de la fidélisation est de plus en plus stratégique pour les entreprises
», explique Emmanuel Filippi, directeur général adjoint de l'agence. « Car il
ne s'agit plus seulement d'augmenter le chiffre d'affaires client, c'est-à-dire
d'accroître son niveau de consommation, mais aussi de réduire le taux
d'attrition, de rallonger ou raccourcir le cycle de vie du client et de mener
des opérations qui ont trait à l'image ou à la marque », précise-t-il.
Illustration avec l'opérateur SFR, qui figure parmi les clients les plus
matures de l'agence en termes de relation client. En cinq ans, la fidélisation
a fini par s'imposer comme axe stratégique majeur pour l'enseigne, au point
d'inspirer la base line de son positionnement : “Chez SFR, vous serez toujours
plus qu'un numéro”. C'est ainsi que Tequila\ a bâti la garantie Carré Rouge, un
programme de fidélisation sophistiqué en back-office, mais extrêmement simple
d'utilisation pour les clients SFR.
Le client fidèle, une question d'empathie
Carré Rouge présente un volet transactionnel récompensant les volumes de communications téléphoniques et l'ancienneté du
client par l'attribution de points. Plusieurs options d'échange des points sont
proposées : renouvellement du mobile, minutes de communication gratuites,
crédit temps, etc. Toutefois, ces mêmes arguments se retrouvent développés, à
l'identique, par la concurrence. Chez Orange, par exemple qui limite les transferts de clientèle. « Si la générosité d'un programme doit être clairement perçue par le client, il est nécessaire d'aller
plus loin que le simple système de points pour se démarquer de la concurrence
», accorde Emmanuel Filippi. C'est là que la notion d'attachement à la marque,
chère aux agences, prend tout son sens. À condition de le développer de façon
solide et durable, ce lien émotionnel servira de fil conducteur à toute
réflexion sur la relation client. Chez SFR, cela s'est traduit par ce
qu'Emmanuel Filippi n'hésite pas à qualifier “d'empathie client”. Principales
émanations de ce concept : le client peut copier le contenu de sa carte SIM
dans n'importe quelle agence afin de le récupérer en cas de perte ou de vol de
son mobile, ou encore bénéficier de tarifications réduites à destination de
régions problématiques… Autant d'arguments sensés déclencher la “préférence
durable”, tant auprès des clients SFR que de ses prospects. Car, et c'est
l'ultime ambition de cette discipline, la fidélisation est le plus beau des
outils de recrutement.
Emmanuel Filippi, Dga de Tequila dénonce quatre idées reçues sur la fidélisation. À méditer.
• La fidélisation, c'est pour fidéliser. Véridique, mais oublier que la fidélisation est tout aussi efficace en recrutement serait une regrettable erreur. Faire de son programme de fidélisation un argument de conquête, même en communication au sens large, telle est l'ambition ultime de la fidélisation. • Un programme de fidélisation doit, par nature, être programmé. Oui, une stratégie de longue haleine suppose un minimum d'organisation, chacun en conviendra, cependant, il ne faut pas négliger l'impact de l'effet de surprise. Penser à toujours surprendre ses clients est un bon moyen de les attacher à l'univers de la marque. • Les actions de fidélisation s'expriment à travers les techniques du marketing direct. Certes, mais la fidélisation ne doit pas se résumer à quelques communications adressées de-ci de-là. Il ne faut donc pas négliger l'ensemble des canaux de communication existants, y compris les mass média, pour s'adresser aux clients comme aux prospects. Dans le mix des moyens, c'est la clé de voûte pour créer l'identification du client aux valeurs de la marque. • La fidélisation concerne les clients. Faux, elle peut concerner désormais les prospects. Une bonne illustration est fournie par la campagne de prélancement, en France, de la nouvelle Mini. Afin de stimuler le désir pour ce nouveau modèle, nous avons repéré des prospects à fort potentiel susceptibles de devenir clients de la nouvelle gamme, et nous les avons stimulés jusqu'au jour du lancement, en travaillant à la fois le relationnel et l'image de marque et en recourant à différentes disciplines, telles le MD papier, le e-marketing avec jeu en ligne et mini-site, la presse et le terrain.
Orange Feu vert pour la “fid”
Après avoir réglé la problématique des résiliations d'abonnement, l'opérateur amorce la deuxième étape de son plan de fidélisation. La qualité de la relation doit transformer les abonnés en clients heureux. La fidélisation du client chez Orange ne s'organise pas, historiquement, autour d'un ambitieux programme relationnel concocté par une agence d'envergure. Et l'on peut s'en étonner, pour plusieurs raisons : l'extrême compétitivité du secteur de la téléphonie mobile, la quasi-atteinte du seuil de saturation en termes d'équipement du marché résidentiel qui impose de réduire l'attrition ; enfin, à la lueur du tapage médiatique produit par son principal concurrent, SFR (37 % des PDM), l'apparente nonchalance d'Orange semble encore plus frappante. Les notions de satisfaction et de reconnaissance client ne sont pourtant pas absentes de la réflexion de l'opérateur. « Nous avons amorcé le déploiement d'une approche relationnelle il y a trois ans dont le programme “Changer de mobile” constitue le principal levier de rétention. Mais ce n'est que la première étape d'un déploiement à deux vitesses », détaille Julien Billot, directeur marketing d'Orange France. Jusqu'ici, Orange ne s'est donc pas vraiment focalisé sur la segmentation de son système de récompenses. Ses priorités étaient ailleurs. « Nous devions avant tout trouver des moyens de retenir nos clients à des moments clés de leur cycle de vie », ajoute le directeur. En effet, d'après les études réalisées en interne, 30 % à 40 % des résiliations annuelles des contrats seraient étroitement liées au remplacement de l'ancien téléphone par un modèle plus récent. Rien d'étonnant si, dans un premier temps, l'accent a été mis sur la rétention des clients, avec succès, puisque les objectifs ont été atteints rapidement. En à peine trois ans, le programme “Changer de mobile” a permis de réduire le taux de churn de manière significative, de 25 % à 11,5 %, un seuil jugé satisfaisant par le marketeur, « car il ne sera guère possible de baisser davantage le taux d'attrition qui est un phénomène structurel dans nos métiers », précise-t-il. Orchestré sur les même critères qu'un programme de fidélisation conventionnel et faisant levier sur les bénéfices les plus attractifs identifiés auprès des utilisateurs de mobiles, le programme “Changer de mobile” repose sur une mécanique auto-segmentante. Les points permettant d'obtenir un nouveau mobile à des tarifs préférentiels sont cumulés par tous les clients d'Orange. Y compris les minimalistes en termes de consommation téléphonique car, chez Orange, la fidélité doit être valorisée davantage que la consommation. « Le marché français est loin d'avoir atteint son seuil de saturation et 5 % de parts de marché de l'équipement restent à conquérir », explique Julien Billot.
Améliorer le service clients
D'où la décision de l'opérateur d'exploiter davantage les vertus de la fidélisation. Et d'ajouter un volet, qualitatif celui-ci, à son programme transactionnel. « Les études de satisfaction réalisées auprès de nos clients nous ont révélé un très fort besoin de reconnaissance », révèle le directeur marketing. Le nouvel enjeu, pour l'opérateur, est donc de réussir à attacher les clients à sa marque en leur donnant, outre les avantages habituels, de vraies raisons d'être client Orange. Des effets business devraient résulter, à terme, de la nouvelle approche qui sera déployée courant premier semestre 2005. Elle prévoit de nouveaux avantages et beaucoup plus de flexibilité pour les clients, à commencer par la mécanique d'échange des points qui sera élargie à toutes les prestations relatives à l'usage du mobile (SMS, MMS, crédit temps, etc.) et non plus automatiquement déduites, chaque mois, du montant de la facture. Au programme, aussi, des efforts consacrés à l'amélioration du service clients car, conclut Julien Billot, « la fidélisation commence par le produit, s'entretient par la qualité et la qualité, c'est avant tout la façon dont la marque se comporte avec ses clients. »
ChateauOnline Tous n'iront pas au Paradis
Miser sur les clients à haute contribution, tel est le moteur de la stratégie de fidélisation, conçue en interne chez ChateauOnline. Quelques mois après son déploiement, le programme fédère 200 membres privilégiés en ce cénacle. Inspiré du concept de “la cave dans la cave”, né dans l'univers du cognac, le Paradis chez ChateauOnline, c'est un peu un site dans le site. Comme l'indique son nom fortement évocateur des notions de plaisir, de bonheur et de chatoiement, le Paradis du caviste propose à ses membres une kyrielle de bénéfices sans cesse renouvelés. Réservé aux clients à plus fort potentiel, c'est-à-dire ceux qui contribuent le mieux à son chiffre d'affaire et détiennent, aussi, une certaine culture du vin, ce club d'initiés accueille actuellement 100 à 200 nouveaux membres par mois, rigoureusement triés sur le volet par la société. En effet, les conditions d'adhésion au Paradis sont établies par la direction du site qui fixe, seule, ses critères d'acceptation et, seule, invite un nouveau membre à en faire partie. « Les conditions d'adhésion sont pour partie fondées sur l'activité du client, mais entrent en ligne de compte également certains critères de scoring. Cela doit nous permettre d'assurer l'homogénéité des membres du club, ce qui suppose que nous ne puissions pas répondre à toutes les demandes d'adhésion sollicitées par nos clients forts consommateurs de vins », explique Christophe Poupinel, directeur général de ChateauOnline. Homogénéité donc, et cohérence entre les promesses de la société et les attentes connues de ses meilleurs clients. Pour donner plus d'impact au traitement de faveur qui leur est réservé, une lettre de félicitation leur est adressée, accompagnée du programme mensuel d'activités développées au sein du club. Au menu figurent des offres exclusives de vins à des prix spécifiques pour la partie transactionnelle du programme, le volet purement relationnel se déclinant à travers les services : la Cave Sommelier qui conseille l'adaptation des vins aux mets, l'évaluation de la cave du client par un expert, des invitations récurrentes à des dégustations animées par des stars mondialement réputées dans l'univers du vin, la visite d'un domaine agrémentée d'une dégustation de 50 exemplaires du nectar de Bacchus ou encore la visite d'un château, la participation au Trophée Ruinart… Bref, qui a bu verra. Et c'est tout vu pour ChateauOnline, dont 60 % du chiffre d'affaires est réalisé par 15 % de sa base clients. Pour mesurer le ROI de son programme, Christophe Poupinel se base sur la méthode de l'échantillon de contrôle : « Nous observons la consommation de trois cents personnes, dont les critères de scoring corrrespondent exactement à ceux des membres du Paradis », indique le directeur. Le bilan est éloquent : en un an de Paradis, 25 % de CA additionnel ont été réalisés auprès de ces membres privilégiés.