Le papier : de création... ou pour la création ?
Le choix des supports de création est-il limité ? Dès lors que l'on abandonne l'offset et le couché traditionnel, le papier de création est, semble-t-il, incontournable. Pour autant, est-ce un papier pour la création ? Il offre certains avantages à l'impression : une seule couleur suffit, pas besoin de quadrichromie. Mais les opérations de manipulation sont souvent plus chères et les cadences de production plus basses. Les autres matériaux restent confinés à des niches. Une aubaine pour des papetiers qui renouvellent ainsi leurs gammes...
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Le papier est le support principal de la création. Comment le choisir ? La
réponse dépend des objectifs assignés à la campagne. En matière de
communications émises par les entreprises, on peut distinguer la communication
événementielle des messages à but utilitaire. Pour un relevé de compte, le prix
et le poids comptent parmi les premiers impératifs. Et le support devient une
contrainte. Pour la communication événementielle, dans le cadre de la relation
client, en revanche, c'est le fond, la forme graphique du message et le support
qui prennent le dessus. La politique dans les entreprises est de faire des
économies sur les messages "utilitaires" et de privilégier "l'événement". Et,
pour la communication utilitaire, celle qui peut se contenter de l'information
factuelle, de faire davantage appel à des moyens de diffusion électronique. Par
exemple pour les soldes, un "marronnier" par excellence. « Quant à la partie
événement, même si elle est prioritaire dans les politiques budgétaires, le
choix du support ne doit pas être gratuit, remarque Yannick Grelot, P-dg de
l'agence Venise Nouveau Siècle. Un papier léger, transparent, lumineux
correspond bien aux produits liés à la saison estivale, par exemple à certaines
campagnes de Princesse Tam Tam ou Kookaï. Des produits design ou high-tech
s'accommodent mieux des papiers vernis, ceux avec une scintillance, et
peut-être même des matières plastiques, des incrustations acier, etc. » Dans le
courant design, Venise Nouveau Siècle a élaboré un kit de communication pour le
cabinet KPMG, une mallette avec un CD-Rom, avec des matières plastiques
d'aspect un peu technique, des rainurages. Faut-il utiliser le même papier pour
les documents et pour l'enveloppe ? « Le marketing direct utilise souvent
plusieurs papiers différents à l'intérieur du même mailing, jusqu'à l'enveloppe
retour et le bon de commande de la VPC », constate Pierre Vincent, directeur
général d'Arctic Paper (ex-Trebruk). « On utilise rarement la même gamme, même
couleur pour le document et l'enveloppe, pour des raisons budgétaires
essentiellement », explique Sophie Fily, directrice de prescription chez
M-Real, papetier, producteur notamment de la gamme Chromolux, fournisseur des
Papetiers de France, d'Antalis, de Papyrus... Selon elle, la fourchette des
prix entre un papier de grande consommation et un papier de luxe varie entre
0,76 et 27 euros le kilo. Soit un écart impressionnant de trente-cinq fois.
L'enveloppe, le parent pauvre du mailing
« Les
contraintes budgétaires ne permettent pas toujours d'utiliser le même papier
pour tout », confirme Sandra Gourdin, responsable de prescription chez Antalis.
Quand on a choisi un papier plutôt haut de gamme pour le message, souvent on
cherche à faire des économies sur l'enveloppe. » Il existe des exceptions,
notamment quand l'annonceur applique rigoureusement une charte graphique
intégrale avec le même papier prévu pour les documents, les têtes de lettres,
etc. Difficile d'imaginer Cartier envoyer sa communication dans des enveloppes
ordinaires. Mais le luxe n'est pas le seul secteur à s'intéresser à la qualité.
La recherche de nouveaux supports qualitatifs obéit à une évolution de la
démarche commerciale. L'informatique donne aux entreprises les moyens d'aller
plus loin dans la connaissance de leur clientèle, d'appliquer une segmentation
plus forte. Cette segmentation apporte son paradoxe : puisque les tirages
diminuent et les promesses de transformation augmentent, les coûts unitaires
peuvent aussi augmenter. Cela permet de faire appel à des papiers plus
sophistiqués. « Les séries sont plus courtes, mais la création et le papier
sont d'une qualité supérieure, confirme Bertrand Du Mesnil, directeur
commercial de Manuparis, spécialiste de façonnage et des enveloppes pour le
marketing direct. Des impressions à plat avec le vernis en machine pour fixer
la qualité de l'impression, beaucoup de quadri. En revanche, l'impression en
deux couleurs est un peu en baisse. »
Des fichiers réduits pour des opérations de qualité
Pour un mailing, informant sur une opération
de "soldes" d'une voiture en fin de référencement, Renault a choisi le papier
Mineralis. « C'est un peu plus cher que le papier standard, mais cela a
amélioré la visibilité de la campagne, suppose Christophe Balaresque, Dg de
Thibierge & Comar (papiers Cromatico, Evanescent...). Ils ont plutôt réduit la
taille du fichier pour rentrer dans les budgets. Et les annonceurs appliquent
de plus en plus souvent cette démarche. » Dans le cas de Renault, le mailing à
l'échelle réduite aurait généré un taux de remontées trois fois supérieur à
celui escompté, toujours selon Christophe Balaresque. « Les annonceurs
cherchent des moyens pour se différencier de leurs concurrents, constate Pierre
Vincent. Mais, on ne peut pas être tous différents avec le même papier offset à
80 grammes ! Et d'ailleurs ce serait bien triste de faire de la création sur de
l'offset simple. » Alors, comment se différencier ? Prenez l'ensemble des
gammes des papetiers, enlevez le papier offset et le couché traditionnels, les
matériaux synthétiques et le carton. Resteront les papiers dits "fins", et,
parmi eux, les papiers de création. Leur part du marché n'est pas très
importante, mais ils procurent une bonne marge aux professionnels, d'où leur
engouement pour ces produits.
Le papier pour la création
« Le papier de création très sophistiqué suffit à
lui-même pour donner une dimension créative haut de gamme, pour affirmer le
côté qualitatif du mailing », estime Pierre Vincent. Les agences s'intéressent
aux papiers décalés, aux kraft, aux calques, etc. Tous ces papiers qui
n'étaient pas faits pour le marketing direct, ni pour les machines
d'impression. Aujourd'hui, on en trouve jusque dans les mailings. Et les prix
ne sont pas toujours un obstacle pour utiliser des papiers originaux.
D'ailleurs certains supports, comme ceux de la gamme Munken, sont inscrits dans
un positionnement prix intermédiaire et relativement attractifs. Ils sont d'un
tiers plus cher que les papiers ordinaires, mais restent meilleur marché que
les papiers de création. Autre papier très en vogue aujourd'hui : les calques
de couleur. Les Trois Suisses ont utilisé un papier Cromatico transparent de
couleur orange, pour une campagne à grande échelle. Le calque est utilisé pour
le mobilier, pour des articles de papeterie à destination des particuliers,
pour des produits ménagers... « Même les annonceurs plus petits se mettent à
utiliser des papiers de création. D'autant plus facilement que la différence
des coûts est somme toute marginale. Sur l'ensemble d'un budget comprenant le
brief agence et bien d'autres dépenses, la part revenant au papier ne constitue
pas une barrière. Prendre un papier 100 % plus cher, provoque une augmentation
des coûts de 5 % tout au plus », remarque Christophe Balaresque. « Une agence
marseillaise a fait une carte de voeux pour un cabinet d'architecte, avec un
tout petit budget, raconte Sandra Gourdin. Elle a utilisé le calque Cromatico
extra-blanc. Son effet de transparence soulignait la symétrie de l'image
représentant un bâtiment. Pas besoin d'un délire créatif pour faire original !
» Le papier de création de Thibierge & Comar a servi au décor de la mise en
scène des chocolats pour le compte des Editions du Chocolat. Le papier
participe ici à véhiculer une image de qualité. Dans le même esprit, le
joaillier Fred a fait imprimer ses montres sur du chocolat disposé dans du
papier de création, comme dans un écrin à bijoux. Sur un secteur plus terre à
terre, Jacob Delafon a réalisé une campagne sur du papier Cromatico ; son
aspect visuel extra-blanc servait à présenter une nouvelle gamme de
robinetterie.
Le synthétique pour des classeurs
A
l'instar des papiers de création, les matériaux synthétiques permettent de
sortir des sentiers battus. Souvent utilisés pour des classeurs, ils ne
représentent qu'une petite part du marché du marketing direct. Si les
synthétiques classiques, comme Priplak, nécessitent d'en appeler à la
sérigraphie pour l'impression, des créations plus récentes sont à classer
plutôt parmi les non-couchés. Elles peuvent être imprimées en offset, ce qui
les rapproche plutôt des papiers habituels et facilite leur utilisation. Parmi
ces synthétiques, le Neblina avec son effet de transparence et un touché tissu.
Ou le Polyart, un synthétique résistant à la déchirure, aux graisses, à
l'humidité, etc. Ces caractéristiques le prédestinent à la réalisation des
enveloppes. Les coffrets présentent une problématique à part. Leur fabrication
nécessite un papier avec des caractéristiques techniques différentes. Plus le
contenu est lourd et plus fort sera le grammage. Mais, les papiers les plus
épais ne dépassent pas les 300 grammes au mètre carré. Pour obtenir un matériau
plus rigide tout en restant dans la gamme de papier souhaitée pour le mailing,
on fait appel au contre-collé : du carton recouvert avec une couche de papier.
Arctic Paper vient d'installer une ligne de contre-collage qui permet justement
de proposer des papiers, en différents grammages, avec les mêmes aspects
visuels, le même touché... Le papier est indissociable du message. Pourtant,
dans tous les sens du terme, il ne pèse pas très lourd dans les budgets. Le
support représente la part la plus fragile, celle qui souffrira le plus lors
des réductions budgétaires, comme l'explique Christophe Balaresque : « Dès lors
qu'il faudra couper dans le vif, l'agence va privilégier ses honoraires de
création et fera des économies sur l'impression et sur le papier. Quant à
l'imprimeur, il fera des économies sur des consommables et des opérations de
transformation. » Tout cela au détriment de la qualité du message. Pourtant le
poste "papier" ne représente qu'au mieux 5 % dans un budget, le poste
"enveloppe" est plus de dix fois inférieur au poste "création" dans la facture.
Mais les agences vont les réduire en priorité, pour protéger leurs propres
revenus. Les coupes sombres dans les budgets papier sont-elles inévitables ? «
Les contraintes de budget apparaissent de manière plus forte quand on raisonne
opération par opération, sans anticiper », explique Yannick Grelot. Il
préconise l'élaboration d'une charte des relations clients pour l'annonceur. Ce
document doit comprendre le profil de la marque, ses valeurs, sa lexicologie,
les occasions de contact avec les clients et jusqu'au type de papier utilisé
suivant l'occasion. « Cette charte n'est pas un générateur de coûts
supplémentaires, mais plutôt un outil qui nous évite de perdre du temps à
chaque fois », explique Yannick Grelot. Selon lui, la charte permet d'établir
de manière claire des attributs récurrents. Ils permettent une meilleure
reconnaissance par le client et une meilleure ventilation des budgets. Faut-il
utiliser toujours le même papier ou bien pratiquer des changements fréquents ?
La capacité de se renouveler est l'un des aspects les plus importants pour le
papier de création. C'est la difficulté mais aussi un véritable enjeu pour les
papetiers, pour les années à venir.