L'évolution du langage dans le marketing relationnel
JEANNE BORDEAU est fondatrice et directrice de l'Institut de la qualité de l'expression, bureau de style en langage, et de Press'Publica, agence de communication d'influence. Jeanne Bordeau enseigne à l'université Paris V et en Italie, à l'école Holden et à l'Ecole nationale supérieure de la création industrielle (ENSCI). Cette conférencière est aussi l'auteur de cinq livres publiés aux éditions d'Organisation.
La langue évolue vers une oralité de plus en plus prononcée. On écrit comme on parle... avec la même spontanéité, mais aussi avec le même relâchement.
En consultant les plateformes de conversation des grandes marques, on ne s'étonne plus d'y lire des exclamations de joie comme «Super bon!!!», au sujet de recettes de cuisine sur la plateforme de Carrefour, ou au contraire «beurk», réaction d'un client de BNP Paribas à une offre de places de cinéma.
Gagnée par la fluidité et la facilité, mais aussi par le souci d'économie ou l'excès de vitesse de la langue parlée, l'écrit devient direct. Aucun sujet abordé n'est contextualisé. Ainsi, une cliente de la BNP Paribas en difficulté face à un jeu pour gagner un week-end aux Masters de Monte-Carlo s'écrie: «On fait comment, je n'y arrive pas!» Quel est l'objet exact de sa demande? Faut-il la guider depuis l'ouverture de son ordinateur jusqu'à la validation de son bon de commande? Faut-il lui épeler les lettres de son nom pour remplir les cases? A quelle étape sa démarche butte-t-elle? Rien ne l'indique dans son message. Ce flou n'a suscité aucune réponse. Pauvre cliente qui n'ira pas à Monte-Carlo!
Un moment de réflexion et quelques précisions auraient sans doute permis à un tiers d'apporter une solution à son problème. Lorsque l'on évacue ainsi les contextualisations, toutes les en-têtes et les adresses, l'énonciation file au diable. Les messages n'ont aucun destinataire particulier. Finalement, à qui s'adresse ce «Je n'y arrive pas»? A la BNP Paribas? Aux âmes prodigues de leurs conseils?
Nul ne le sait. Certains messages ressemblent à des SOS lancés tels des bouteilles à la mer. On le voit: le flou des échanges, le manque de précision peuvent générer des situations de frustration, d'incompréhension et provoquer une colère compréhensible du client vis-à-vis des porte-parole de la marque.
Les mots de la relation de confiance
A l'heure de la conversation, les annonceurs pensent créer une relation personnalisée encore plus aisément. Est-ce si sûr? Les banques connaissent aussi d'étranges aventures verbales. «Voleurs», «bandes d'escrocs», «honte sur vous», etc., sont autant de mots qui rythment les conversations sur leurs réseaux sociaux. Le client est roi, prétend-on souvent. Alors, comme un monarque habitué à voir ses désirs se réaliser, il devient autoritaire, prêt à dicter à une marque son comportement.
Ainsi, sur le site de Citroën peut-on lire: «Je trouve que la carrosserie n'est pas cohérente avec le luxe de l'intérieur. J'aurais plutôt vu cet intérieur dans une super C6.» Autre exemple sur la page Facebook de la BNP Paribas: «A quand un code promo équivalent pour ceux qui sont à la BNP depuis plus de 15 ans!» Le client tout puissant déclare, exige, mais ne prend pas toujours la peine de s'expliquer.
Les commentaires tombent aussi dans le jugement de valeur, comme «trop classe, vos chaussures» ou au contraire «C'est nul, moi je n'aime pas». Ce client exigeant et paradoxal réclame un service sans faille. S'il apprécie l'autonomie du «do-it-yourself, il déteste échouer et attend une aide des plus fiables. Les entreprises doivent alors impérativement, dans leurs échanges écrits et oraux, viser la simplicité. Plus le client est confus, plus les entreprises et les marques ont l'exigence d'être claires.
Ainsi, à l'heure où la langue écrite épouse la relâche de la conversation orale jusqu'à l'imprécision, les entreprises doivent maîtriser leur propos avec la plus grande rigueur, être pédagogues, séduisantes, crédibles et justes! Elles ont raison de scander le mot «contenu» de façon incantatoire. La qualité de leur expression fondera leur valeur ajoutée et leur spécificité dans le marché bavard et confus de la «Babelweb».