Jusqu'où peut-on personnaliser les messages ?
Les bases de données contiennent de plus en plus d'informations personnelles. Les techniques d'édition au laser, au jet d'encre et en numérique, donnent la possibilité de parler au client de manière personnifiée, lui faire des offres basées sur sa consommation des produits de la marque, mais aussi des concurrents. Bien utilisée, cette méthode permet d'accroître les résultats attendus. Mal appliquée, elle va effrayer le prospect.
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La réflexion sur la personnalisation est articulée autour de trois grands
choix. Le nombre et la profondeur des renseignements que l'on va utiliser pour
préparer et pour éditer les mailings, le nombre de variables que l'on intégrera
dans le texte, enfin les valeurs que l'on va attribuer à ces variables et donc
le nombre de scénarios, de variantes de lettres que l'on obtiendra en les
combinant. Les créatifs réfléchiront à la forme et à la disposition des
paragraphes variables, à l'utilisation des couleurs pour le fond de page et
pour la partie personnalisée, éventuellement au choix des visuels différents
selon le scénario, à la taille, au pliage et à l'assemblage des documents.
Viendront ensuite les options techniques conditionnées par les choix déjà
opérés : la sélection d'un type d'impression et d'un outil d'édition, selon
l'utilisation des couleurs ou seulement du noir pour la personnalisation, selon
le nombre total d'envois et la taille de chaque lot, etc. Certaines décisions
provoqueront ici des débats sur la faisabilité de telle ou telle opération et
des surcoûts qu'elle va engendrer. Par exemple, la manière d'accorder le pliage
du document va réduire les possibilités de l'édition personnalisée. Celle-ci ne
pourra pas être réalisée en automatique sur toutes les faces du document plié
sans demander des interventions manuelles coûteuses. La personnalisation de
plusieurs documents pour le même mailing exigera la mise en place d'un
rapprochement optique, etc. La personnalisation est inséparable de la
segmentation marketing. Elle en est le bras opérant. Un client A ne ressemblant
pas à un client B, on va essayer de leur faire des offres différentes, adaptées
aux attentes de chacun. La profondeur de ces informations préalables et leur
fiabilité sont les clés d'une opération réussie. Donc, la personnalisation sera
plus facile et peut-être aussi plus efficace en fidélisation, là où l'on peut
disposer des bases de données sur les clients. Cela n'exclut pas la
personnalisation en prospection, mais sa dimension est alors tributaire de
l'efficacité et de la fiabilité des résultats obtenus avec des méthodes de
scoring. Pour des raisons éthiques, il faut éviter d'exagérer l'effort de
personnalisation sur des prospects, car c'est dans ce domaine que l'on trouve
le plus souvent des abus, par exemple lorsque l'on essaie d'anticiper l'âge du
destinataire. « Montrer à un prospect qu'on le connaît bien, c'est un moyen
d'accélérer les ventes, de faire rentrer vos produits dans l'univers du client,
confirme Michel Toloton, directeur général de Cutty Sark. Mais on ne peut pas
parler de la personnalisation sans parler des données de personnalisation
fiables... Or, à part les banques, peu de secteurs peuvent en disposer et en
quantité suffisante. » Alors, pour beaucoup d'acteurs de la VAD, la
personnalisation se limite à insérer le nom et le prénom toutes les deux
phrases dans le texte. C'est ce qu'on appelle "la perso du laseriste", la
parodie d'une démarche marketing. Pourtant il n'est pas si facile d'en faire
plus en prospection, où les données personnelles fiables manquent. En revanche,
il est important de comprendre le prospect, d'anticiper ses attentes. Pour
Bertrand Wolff, directeur associé de Proximity BBDO, « dans la
personnalisation, il y a l'aspect économique et l'aspect pertinence, et ce
n'est pas une contradiction. D'un côté, il faut ajuster la taille de
l'investissement au potentiel du client. De l'autre, il faut adapter le message
aux attentes et aux besoins du consommateur. » Dans un programme pour un
fabricant de baby food, Proximity a été amenée à se pencher sur le problème du
ciblage. Les études montrent que près de 20 % des mamans sont grosses
consommatrices de ces produits. Et elles sont faciles à joindre grâce aux
fichiers exhaustifs en provenance des colis maternité. Si l'on décide de
communiquer dans les colis, on va obtenir un ciblage utile de 20 %. Mais, sur
une base bien renseignée, on peut aussi essayer de bâtir un modèle prédictif,
de segmenter. A ce moment on passe, par exemple, de 20 à 75 % de certitude. Et
l'on peut décider de surinvestir, d'augmenter la fréquence des contacts, de
pratiquer des envois plus lourds, d'adapter les mécanismes de
personnalisation.
Un ménage à trois
« La
personnalisation est un ménage à trois entre le client, l'agence et le
logisticien », analyse Laurent Charpentier, P-dg de Cifea DMK, prestataire de
services pour le marketing direct. Selon ses observations, dans 90 % des cas,
c'est l'annonceur qui est maître d'oeuvre, c'est lui qui intègre la réflexion
et la démarche, entre la création et la personnalisation. Donc cette charge,
mais aussi la responsabilité des difficultés, ne revient pas toujours à
l'agence. Les secteurs les plus concernés sont ceux des banques et des
assurances, la grande consommation, la grande distribution. Ils travaillent
tous sur leurs propres bases de données, en général riches de plusieurs
millions d'adresses. Dans la banque, on peut l'utiliser pour élaborer des
offres individuelles, par exemple pour une montée en gamme. On détecte
automatiquement que les revenus du client ont augmenté, on lui envoie une
relance automatique : "Votre effort d'épargne pourrait être plus important !".
Partout ailleurs, il vaut mieux se limiter à la création de sous-groupes. La
fidélisation à partir de variables existants donne également lieu à des
opérations de personnalisation sophistiquée. « Nous avons réalisé une campagne
de 800 000 envois pour une entreprise du secteur de la finance, explique
Laurent Charpentier. Il y avait plus d'une cinquantaine de messages différents
tenant compte de la situation personnelle du destinataire, de son historique,
des produits détenus et de certains critères particuliers comme la durée de
détention des plans épargne ou les dernières échéances des crédits à
rembourser. » La décision de personnaliser avec plusieurs dizaines de messages
ne doit pas être prise à la légère. Multiplier le nombre de variantes signifie
aussi des contraintes particulières lors du façonnage, la multiplication de
lots à la production, plus de calages des machines et, comme résultat,
l'addition des frais fixes et l'augmentation des coûts de l'opération. De plus,
une personnalisation multiple signifie bien souvent que l'on va personnaliser
sur plusieurs bobines et ensuite rapprocher les documents. Tout faire sur une
seule bobine serait la solution idéale, mais pas toujours réaliste. Dès lors
que l'on doit personnaliser la lettre, le carnet de coupons et la brochure, on
ne peut pas espérer tout faire en un seul passage. Les surcoûts provoqués par
le seul rapprochement optique vont atteindre une dizaine d'euros pour mille. Ce
n'est pas négligeable. Dans le secteur de la grande consommation, les
programmes de personnalisation utilisant les coupons de réduction se basent sur
l'analyse du questionnaire initialement rempli par le client sur les différents
univers de consommation par rapport à la marque. « S'il s'agit d'un gros
consommateur de marques concurrentes, nous allons lui offrir un montant
important de réductions pour le faire basculer vers nos marques. C'est une
personnalisation dans la structure de l'offre », explique Jean-François
Laforge. Par exemple, Téquila\ gère une lettre pour le compte d'une grande
surface de bricolage. La lettre est imprimée de manière centralisée, mais son
contenu varie d'un magasin à l'autre, selon les gammes proposées dans le
magasin. Cette enseigne possède aussi bien de très grandes surfaces en
périphérie que des points de vente dans le centre-ville, jusqu'au centre de
Paris. Naturellement, ces derniers ne vendent pas les mêmes gammes, donc
inutile de proposer des tondeuses à leurs clients. Toutes les informations dans
une base de données sont-elles exploitables dans le texte du mailing ? Par
exemple, les informations sur les voitures que le client a possédées par le
passé. On pourrait lui écrire : "Vous qui avez eu d'abord une Renault 5,
ensuite une Fiat Uno et aujourd'hui, qui conduisez une voiture plus spacieuse,
vous serez sans doute intéressé par...". Mais nous sommes là à la limite de
l'usage raisonnable des données. « Le client peut très bien percevoir ce
mailing comme une intrusion dans sa vie privée : "Je suis fiché !". Ce n'est
pas intéressant, commercialement parlant. En revanche, c'est pertinent, pour un
constructeur auto, quand on peut personnaliser le message avec le plan d'accès
du concessionnaire le plus proche, suivant l'adresse du destinataire »,
remarque Jean-François Laforge, directeur général adjoint de TBWA\DRM. L'agence
a aussi travaillé pour le compte d'un constructeur automobile qui propose aussi
des offres de financement. En ciblant les clients qui sont à la fin de leur
crédit auto, les retours auraient été triplés. Jusqu'où aller en
personnalisation ? « Le marketing one-to-one est mort-né !, clame Michel
Toloton. Elaborer une offre commerciale pour une personne coûte trop cher et il
s'agit de coûts incompressibles. » Selon lui, ce n'est guère une problématique
technique mais plutôt de coûts. On peut tout faire, on peut analyser
l'historique de chaque client, mais cela générera des coûts de développement
informatique. Et quelle sera l'espérance de retour sur cet investissement ?
Eviter le côté Big Brother
Pour Bertrand Wolff, il faut
« éviter le côté Big Brother, ne pas écrire au consommateur : "Et, puisque nous
savons que vous avez acheté nos produits trois fois en deux semaines...". C'est
assez mal vu et surtout cela ne rapporte rien commercialement parlant. » Un
message intrusif, un message qui fait peur, ne peut pas vendre. Il faut rester
dans la limite de la relation commerciale, montrer au client que la marque
tient compte de sa consommation chez elle et des informations qu'il a fournies,
mais sans aller plus loin. La connaissance du client doit servir pour adapter
le message. Pour une grosse consommatrice : "Consommez mes marques !". Pour une
consommatrice moyenne : "Consommez plus souvent et si possible, mes marques".
L'inconvénient dans cette histoire, c'est que l'hypersegmentation et la
personnalisation qui l'accompagne coûtent cher. Seront-elles couvertes par
l'espérance de gain ? C'est la vraie question. A trop personnaliser, on risque
aussi d'agresser le prospect. Un projet de mailing à éviter : "Vous avez 75
ans, il serait temps de penser à un capital-décès". C'est un message
personnalisé que l'on ne fera pas. Autre exemple où l'on risque la
contre-performance : écrire à quelqu'un qui vient de divorcer pour l'inviter à
adhérer au club Vive le célibat, cela peut mal passer, car on ne sait pas si le
ou la destinataire vit bien sa nouvelle condition... La règle est de ne pas
confondre ciblage et personnalisation. Un maximum de données nominatives peut
être utilisé pour le ciblage, mais la personnalisation ne fera appel qu'à un
nombre limité des données. Certains secteurs échappent pourtant à ce postulat.
La personnalisation plus approfondie peut être utile quand le produit lui-même
n'est pas standard. Par exemple, dans la téléphonie mobile, le client ne sera
pas outré si l'opérateur lui écrit : "Vous avez un forfait de 300 minutes, mais
je constate que vous le dépassez systématiquement, alors prenez plutôt 400
minutes, cela vous coûtera moins cher". C'est une démarche légitime. « Pour ce
genre d'opération, on utilisera trois ou quatre variables ; ce qui fait déjà
une personnalisation coûteuse nécessitant un montage informatique particulier.
Mais le contraire, l'envoi d'une brochure avec toute la gamme
"Débrouillez-vous", n'est pas efficace. La personnalisation qui apporte au
client un conseil utile et lui présente une offre choisie, verra les taux de
retour multipliés », estime Jean-François Laforge. Dans le même registre, le
mailing d'un cuisiniste adressé à des personnes qui viennent d'emménager et qui
pourraient avoir besoin d'équiper leur cuisine, constitue aussi une
personnalisation acceptable. On peut remarquer que la frontière entre
l'admissible et ce qui ne l'est pas n'est pas définitivement tracée. Elle varie
même d'un secteur à l'autre. En dehors des restrictions éthiques, les limites
sont surtout imposées par une "connaissance légitime", les données que
l'entreprise peut utiliser sans agresser le client. La confiance que le client
ou le prospect accorde à la marque, va permettre à cette dernière d'aller plus
loin dans une démarche personnifiée. L'avenir de la personnalisation passera
probablement par un meilleur contact entre l'entreprise et le consommateur.
Nouvelles machines chez Data One
Chez les prestataires, de nouveaux équipements ont permis d'élargir sensiblement les capacités de personnalisation. « Nous essayons de faire plus que le simple pavé adresse, d'augmenter la valeur ajoutée du document en l'adaptant à chaque destinataire. Et les progrès ici sont considérables ! Personnaliser recto verso ou imprimer les variables en quadrichromie, il y a cinq ans on ne savait pas le faire », déclare Patrice Rey, directeur de clientèle chez Data One, filiale de Diffusion Plus. Ce prestataire réalise, par exemple, une lettre pour une caisse de retraite, un pré-imprimé personnalisé recto verso et mis sous film. « On parle au destinataire de sa situation, on lui présente les variables sous forme de diagrammes, de graphes, de camemberts, explique Patrice Rey. On lui propose des offres adaptées autour de l'épargne, de la défense et protection juridique, de l'indépendance financière pour toute la famille. Cette lettre est destinée aux 100 000 plus gros clients de la caisse. » Data One s'est équipé de machines Xeykon pour l'impression numérique page à page et Scitex pour des grands tirages en jet d'encre. Ces dernières offrent une résolution de 600 dpi en quadrichromie, ce qui est plutôt une bonne performance pour une production de masse. Personnaliser en numérique le document à 100 000 exemplaires, est-ce rentable ? « Cela dépend de ce que l'opération va apporter », répond Patrice Rey. On l'aura compris, la personnalisation à cette échelle commence par la segmentation et la recherche de clients avec un très fort potentiel.
DRM personnalise pour Nissan
« Dans le cadre de notre démarche de personnalisation, nous devons gérer un fichier de concessionnaires, d'affectation territoriale pour les zones de diffusion, explique Jean-Christophe Sellier, coordinateur de communication locale et gestion de la relation client chez Nissan. Cela comprend la vérification des dénominations, s'assurer que les adresses des concessions ont été bien écrites, etc. Des problèmes apparaissent parfois au croisement avec les fichiers des clients et des prospects. » Par exemple, dans le mailing d'une opération Micra en cours, le texte standard est personnalisé, en plus du pavé adresse du destinataire, avec le champ genre, la variable "concession", et les informations sur le client utilisées pour des événements. « Pour ces opérations, nous faisons appel à l'agence DRM, car notre marque travaille avec TBWA\, sa maison mère, à l'échelle mondiale », précise Jean-Christophe Sellier.