Interview Daniel Morel (Wunderman) : « La relation annonceurs-agences ne sera plus jamais la même »
A quel horizon envisagez-vous une reprise pour vos marchés ?
Nous venons de traverser trois années déplorables. De 1991 à
2001, nos secteurs ont enregistré une croissance annuelle moyenne de 5,5 %.
Durant 63 ans, le marché n'avait jamais connu deux années successives de
récession. En France comme en Allemagne, on a senti quelques signaux positifs
en juillet dernier et puis tout est retombé en septembre. Il y a une expression
américaine qui dit : “Au bout du tunnel, on voit la lumière”. Et une expression
anglaise qui dit : “C'est un train qui arrive dans le mauvais sens”. Je ne
prévois pas de reprise avant le deuxième semestre de l'année 2004.
Quels auront été les effets les plus marquants de la crise sur vos métiers ?
Nous subissons une forte pression de la part des
services achats, qui nous demandent de réaliser des économies d'échelle. En
fait, nous nous dirigeons vers un nouveau modèle de lien commercial. Un modèle
né avec la crise et qui, je crois, restera la règle après. La relation
annonceurs-agences ne sera plus jamais la même. Aux Etats-Unis, les services de
procurement ont pris une place essentielle au côté des services marketing. Ce
sera la même chose ici. Si les services achats demandent de plus en plus de
productivité, ils vont devoir accepter, de la part des agences, des modes de
production différents. Rompre, par exemple, avec le principe d'exclusivité,
accepter que leurs agences travaillent pour des entreprises directement
concurrentes. Les méthodes de rémunération vont changer. Nous définirons des
niveaux de prix et de marge de plus en plus nombreux et affinés en fonction
des services fournis.
Cela signifie une offre de plus en plus intégrée ?
Une étude menée il y a 6 mois aux Etats-Unis auprès de
600 directeurs marketing et 300 responsables d'agences a révélé le fossé entre
les annonceurs et leurs prestataires sur cette question de l'intégration : 92 %
des annonceurs et 84 % des agences revendiquent cette responsabilité. Nous
allons vers un modèle où ce ne sont pas les agences qui décideront de
l'intégration des stratégies, mais leurs clients.
Les acteurs des marketing services sont-ils prêts pour ces évolutions ?
Il y a
encore beaucoup trop d'agences sur le marché. Pour pouvoir réaliser des
économies d'échelle, il nous faut avoir à la fois l'échelle et des économies.
On ne peut pas diminuer nos tarifs de 10 à 20 % si l'on n'a pas l'étendue et la
stabilité. Deux tiers des 100 premières marques mondiales sont américaines.
Wunderman a la chance d'être très présent aux Etats-Unis et dispose d'une bonne
panoplie de gros clients mondiaux : Ford depuis 27 ans, IBM depuis 10 ans… Le
réseau compte 87 bureaux dans le monde. Les groupes qui sont moins présents à
l'international et qui n'ont pas établi de relations sur le long terme avec
leurs clients auront du mal.
Cela n'augure-t-il pas une standardisation préjudiciable à vos métiers ?
Il y a une
standardisation dans les processus de livraison de nos prestations, qui n'est
rien d'autre que l'industrialisation du business. C'est une bonne chose et je
ne crois pas que la créativité y perde. Au contraire. Les spécificités légales
et culturelles de chaque pays limitent l'uniformisation et stimulent la
créativité.