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Délocalisation : la fin des tabous ?

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Les outsourcers observent de près les opportunités de développement que leur offre l'étranger. La délocalisation apparaît comme l'une des inévitables évolutions du marché. La logique de prix aura sans doute raison des derniers tabous.

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Le marché français de l'outsourcing a longtemps été un marché parisien. Son développement exponentiel l'a progressivement étendu à la province, grandes villes proches de la Capitale, grandes villes accessibles par TGV. Rapidement, les impératifs RH (manque de main-d'oeuvre, instabilité des personnels, absentéisme...) ont contraint les entreprises à déployer des sites vers les villes moyennes, voire les zones rurales. La région parisienne est encore celle qui abrite le plus grand nombre de plateaux en outsourcing. Mais aujourd'hui, selon le cabinet Affluence, 55 % des postes déployés se trouvent en province. « Le ratio devait encore être de 70 % à Paris et 30 % en province il y a seulement deux ans », affirme Philippe Baldin, directeur associé du cabinet conseil Affluence. Aujourd'hui, on en est à se demander combien de temps mettra la profession à faire migrer massivement une partie des postes à l'étranger. La délocalisation est en effet à l'ordre du jour de tous les débats et de toutes les attentions. « La délocalisation, c'est une chimère. Pourquoi les Américains, qui ont dix ans d'avance sur nous et qui sont très orientés coûts, travaillent-ils si peu en délocalisation ? Pourquoi, alors qu'ils en sont à 30 dollars de l'heure, ne sont-ils pas allés développer en masse des positions à 10 dollars ? », demande Bernard Caïazzo, P-dg de Call Center Alliance. Force est de constater que la délocalisation, en France, relève aujourd'hui davantage du discours, des projets, des intentions prospectives que d'une tendance effective.

Maroc, Tunisie, Maurice, Sénégal...


Il n'empêche, le Maroc, la Tunisie, l'Ile Maurice apparaissent comme des terres de refuge pour des outsourcers ancrés dans une logique de réduction de leurs coûts de fonctionnement, et/ou poussés par leurs clients à produire moins cher : - 30, - 40 ou - 50 %. Et, au vu de l'évolution géné-rale du marché, nombreux sont les outsourcers qui voient dans l'expatriation la seule issue. « La délocalisation est une évolution fatale de cette activité. On n'y échappera pas. Car ce n'est pas avec des directives comme la loi de modernisation sociale que l'on s'en sortira. Je pense que le marché des outsourcers va suivre le schéma du secteur textile : la valeur ajoutée ne bougera pas, mais les tâches à plus faible valeur ajoutée partiront à l'étranger. Cela dit, attention, rien n'est immédiat. Et les pays dont on parle aujourd'hui ne sont pas forcément très sûrs pour une implantation économique », développe Roger Lei, P-dg de E-Laser Contact. Fin avril, le groupe Victoria finalisait les modalités de constitution d'une joint-venture avec une société mauricienne pour une ouverture de site prévue cet été. « Aujourd'hui, grâce à un partenariat avec Mauricius Telecom, nous sommes en mesure d'ouvrir 120 positions en l'espace de trois semaines », précisait Vincent Tuzi, le nouveau patron de l'activité centres de contacts de Victoria. A l'Ile Maurice se trouve déjà AD Marketing, jeune prestataire spécialisé dans le monde de la réservation et du voyage, qui gère notamment le call center de Travelprice. Là aussi, la société a délocalisé via la joint-venture, AD Marketing International, sur la base d'un partenariat avec le groupe Rogers, acteur local du monde des télécoms et de l'informatique. Le centre d'appels ainsi constitué compte 150 postes et emploie une quarantaine de personnes. PCCI, société créée fin 2001 par deux anciens dirigeants de grandes sociétés d'outsourcing, n'a de son côté pas véritablement entamé une démarche de localisation puisqu'elle ne dispose d'aucune activité de production en France. PCCI repose en effet sur une activité pour l'heure exclusivement concentrée au Sénégal. 300 positions à 3 km du centre de Dakar, un investissement technologique de l'ordre de 2,6 millions d'euros et un chiffre d'affaires prévisionnel de 7 millions d'euros pour son premier exercice. « En s'implantant ailleurs qu'en France, on peut proposer aux entreprises françaises un service étendu en termes de plages horaires, ce qui, au vu des contraintes sociales, est quasiment impossible en France », affirme Dominique Berthelot, vice-président de PCCI, qui estime par ailleurs pouvoir réduire les coûts de fonctionnement de 40 % en s'implantant à Dakar. Complément de prestation et chiffre d'affaires sont en effet les deux motivations majeures des sociétés en délocalisation. Certaines pencheront plutôt vers la valeur ajoutée, d'autres vers le volume d'activité. « Nous voulons d'abord proposer du complément de gamme avec l'amplitude horaire et le bilinguisme. Mais si on peut aussi faire du "traditionnel" pour moins cher... », résume Vincent Tuzi. L'outsourcer B2S devrait, de son côté, ouvrir une structure pilote en délocalisation d'ici la fin de l'année. Quant à Phonepermanence, il observe. Teleperformance s'est pour sa part installé en Tunisie sous forme de société offshore où il a ouvert pour Wanadoo un centre de 150 positions. L'outsourcer, qui a également déployé des plateaux pour Canal + et pour La Redoute prévoit pouvoir compter bientôt (peut-être dès juillet 2002) sur un parc de plus de 700 positions. Mais avec une telle force de production, on peut considérer que le marché tunisien est déjà quasiment "trusté". Ce qui ne fait que confirmer l'idée que les sources de développement, sur ce marché de l'outsour-cing, sont en grande partie entre les seules mains des acteurs leaders. Quel autre acteur que Teleperformance aurait pu prétendre, en si peu de temps, préempter ainsi un marché naissant ?

La délocalisation n'apprend pas à devenir gestionnaire


Par-delà les visées et les stratégies des uns et des autres, il faut constater que la part de positions outsourcing délocalisées est marginale. Les échecs semblent même plus nombreux que les expériences menées à bien. Le Maroc a notamment été le décor de quelques déconvenues. Quant à l'Ile Maurice, elle n'accueillerait pas à ce jour ce raz-de-marée d'investisseurs trop bruyamment attendu. « On n'a pas vu grand chose de concret, remarque Vincent Tuzi. Ce n'est pas difficile de délocaliser. Mais il faut que le business et le marché local suivent. » Sans doute les outsourcers français auront-ils trop rapidement reproduit ailleurs les erreurs commises dans l'Hexagone. Car après tout, la distance n'apprend pas à devenir gestionnaire. Peut-être même accentue-t-elle les impérities dès lors qu'elle répond davantage à une logique de réduction des coûts qu'à une logique de rentabilité. Plus encore qu'en France, sans doute, les outsourcers en quête d'horizons nouveaux ont cherché à construire des centres avant de les avoir "vendus". Autant qu'ailleurs, il se sont donc trouvés confrontés à des soucis de rentabilisation. Soucis auxquels sont venus se greffer d'autres paramètres, très liés ceux-ci à la délocalisation mais qui ne sont, finalement, que la traduction en très gros traits de ce dont souffrent les sociétés d'outsourcing en France. Quels éléments peut-on identifier comme des obstacles majeurs à une délocalisation pérenne des centres d'appels à l'étranger ? Premièrement, le contexte juridico-politique. S'il est vrai que les call centers ne choisissent pas les régimes les plus instables pour s'installer, nul ne peut dire que la Tunisie soit un havre politique de sérénité, ni que le Maroc ne souffre d'aucune tension interne. Quant aux cadres juridiques et aux moeurs judiciaires, ils peuvent aussi constituer un frein aux ambitions de délocalisation. Pour s'installer à l'étranger, les outsourcers sont la plupart du temps obligés de signer des accords avec des entreprises locales, par exemple sous la forme de joint-venture. Webhelp, pour s'implanter au Maroc cette année, a cédé les deux tiers du capital de Webcad, la société spécialement créée, à un partenaire local (une famille d'investisseurs). « Il faut être introduit dans le réseau pour faire des affaires. Mais il faut aussi que les partenariats soient exclusifs », souligne Olivier Duha, P-dg de Webhelp. La joint-venture exploite déjà à Rabat une cinquantaine de postes et devrait en déployer une centaine d'ici la fin de l'année. Chiffre d'affaires visé : si l'on considère qu'une position au Maroc génère 3 000 euros de CA mensuel, on peut estimer le CA de Webcad à plus de 3 millions d'euros au terme d'un premier exercice. Mais les joint-ventures ont leurs limites. Que se passe-t-il lorsque des problèmes apparaissent entre les associés ? Quel est le niveau d'impartialité de la justice locale ? « A l'Ile Maurice, les entreprises prennent d'emblée au moins 51 % des parts, affirme Claude Briqué, patron de Phonepermanence (groupe D interactive). Mais ce qui se passe au bout d'un certain temps, quand les affaires roulent, c'est qu'elles obligent leurs partenaires étrangers à revendre leurs parts. » Olivier Duha, patron de Webhelp, présent à Maurice, n'a pas été confronté à ce type de comportement. Mais il reconnaît qu'une joint-venture implique des blindages juridiques à plusieurs épaisseurs. « Je détiens 100 % du volume d'affaires traitées sur les centres. S'ils me sortent, ils perdent tout le chiffre d'affaires », concède-t-il.

Hiatus culturel et retards technologiques


Deuxième élément de blocage dans la course à la délocalisation : la dimension culturelle. « Vous aurez beau recruter à des niveaux bac + 3 ou + 4, les téléconseillers n'auront jamais les mêmes réflexes culturels que des jeunes gens qui regardent la télé française depuis 10 ans. C'est un facteur beaucoup plus important qu'il n'y paraît dans la qualité des prestations », souligne Bernard Caïazzo. Soit, mais quand on pense à la qualité orale et lexicale cultivée sur certains plateaux de l'Hexagone pour des prestations à faible valeur ajoutée... Enfin, troisième écueil : l'infrastructure en matière de réseaux et d'équipements. Les échos ne tarissent pas sur la faible qualité des communications entre l'Ile Maurice et la France. « L'infrastructure télécom à Maurice est encore trop fragile, affirme Olivier Duha. Ils n'ont pas encore tiré le câble sous-marin. Je sais qu'ils doivent le faire, mais les prix seront encore lourds. Et avec le satellite, les taux de latence sont trop élevés. » Ce phénomène de délocalisation, qui, à entendre la majorité des acteurs du marché, apparaît comme une tendance aussi lourde qu'incontournable, ne sonnerait-il pas comme une riposte à l'échec des outsourcers français en matière de développement international ? Force est de constater que la prime à l'internationalisation n'a joué pour l'instant que pour de rares sociétés. Les implantations des prestataires français dans d'autres pays d'Europe ne sont pas choses exceptionnelles. B2S est présent en Grande-Bretagne. Call Center Alliance a développé depuis 1999 un tissu de partenariats en Italie, en Allemagne ou en Scandinavie. La société est également présente en Europe via Direct Dialog en Grande-Bretagne, CCA Benelux et CCA Espagne. Phonepermanence (D interactive) compte 400 positions outre-Manche, 200 en Espagne, 250 en Suède. C'est davantage la notion de réseau international et a fortiori mondial qui pèche. L'internationalisation des opérations et des budgets n'est pas encore au rendez-vous. « En France, pour tout ce qui est en dessous de Teleperformance, c'est plutôt le flop. Je ne pense pas que les patrons de SNT aient su démontrer qu'ils étaient meilleurs parce qu'ils étaient en France. Et c'est pareil pour les autres », remarque cet outsourcer. « Il y a six acteurs dans le monde qui couvrent des marchés mondiaux. Dont deux généralistes, c'est-à-dire présents au moins en Amérique et en Europe : Convergys et Teleperformance », souligne Maxime Didier, P-dg de B2S.

 
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Muriel Jaouën

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