Consumer : la fidélisation par le magazine
Le marché du consumer magazine se porte bien. « On peut même dire qu'à
l'heure actuelle en France, c'est un marché en plein essor », confie Marie
Wiriath, directrice customer magazine à L'Agence (Groupe Sorio). L'étude
réalisée par Mediapolis Ressources et Editum au premier semestre 1999 et
portant sur les 115 principaux titres français (représentant 491 millions
d'exemplaires par an), confirme cette opinion et montre que le "custom
publishing" continue de séduire les annonceurs. Entre 1997 et 1999, 53
nouvelles publications ont vu le jour. Au niveau des secteurs d'activité, on
peut dire qu'aujourd'hui, tous sont concernés par les enjeux liés à la
fidélisation de leur clientèle. Tous ont compris qu'il était moins coûteux de
fidéliser des clients déjà acquis que de séduire des prospects purs, et le
magazine de marque ou de consommateurs bénéficie de plus en plus d'arbitrages
favorables au détriment d'autres médias plus coûteux mais dont la rentabilité
est moins certaine. Des secteurs comme l'automobile, la grande distribution, la
téléphonie mobile ou encore les transports collectifs ont des taux d'équipement
élevés en consumers. Parmi les tendances les plus récentes, on peut noter
l'apparition en France, en 1999, des deux premiers customers magazines payants
du marché : Maisons en vie de Leroy Merlin et Epok de la Fnac, vendus 10 F dans
leurs réseaux de points de vente respectifs (gratuit cependant pour adhérents
de la Fnac). En Grande-Bretagne, des enseignes de la grande distribution comme
Ikéa ou Sainsbury vendent leur magazine de consommateurs en kiosque (au prix de
1 £) depuis déjà plusieurs années.
ACCROISSEMENT CONSIDÉRABLE DU NOMBRE D'INTERVENANTS
Au niveau des fournisseurs, c'est un marché
sur lequel le nombre d'intervenants s'est considérablement accru ces dernières
années. Lorsque le phénomène a commencé à arriver en France, dans le courant
des années 1990, les entreprises qui souhaitaient mettre en place des
programmes de ce type se sont tournées vers les agences de presse et d'édition
d'entreprise, connues à l'époque pour leur activité sur la presse interne.
Puis, avec le temps, des éditeurs se sont positionnés sur le marché. Depuis
quelques mois, preuve que le marché continue de se développer, on assiste à
l'arrivée de tous les grands groupes de publicité et de marketing. Chacun
d'entre eux créant une filiale spécialisée sur la création et la production de
magazines de marques ou de consommateurs. Selon Marie Wiriath, « on voit aussi
aujourd'hui de petites équipes indépendantes qui créent des projets éditoriaux
de façon autonome et qui, une fois bouclé, vont présenter leur dossier à des
entreprises. Ce sont la plupart du temps des journaux qui pourraient exister en
kiosque, pour lequel un lectorat existe, mais qui ne peuvent pas voir le jour
pour des raisons de coût ». L'entreprise ou la marque est alors sollicitée
pour prendre en charge une partie des frais de production du support ou
simplement pour l'héberger. Dans ce dernier cas, l'enseigne ne fait que prêter
de manière exclusive son réseau de distribution pour la diffusion du journal.
Parmi les magazines créés sur ce principe, on peut citer Zensë, diffusé par la
chaîne de parfumeries Sephora. « D'ailleurs, ici à L'Agence, nous nous
inspirons de cette tendance. Nous n'hésitons pas à proposer à des annonceurs de
façon tout à fait spontanée des projets clés en main, avoue Marie Wiriath. La
plupart du temps, les entreprises que nous approchons apprécient cette démarche
dans la mesure où elles ont déjà abordé la question du consumer ou sont en
pleine réflexion sur l'opportunité d'une telle démarche dans le cadre de leur
activité. »
DE GRANDES DISPARITÉS ENTRE LES TITRES
Quoi qu'il en soit, tous les magazines de marques ou de consommateurs ne se
ressemblent pas. On constate en effet, à la lecture de l'étude Médiapolis
Ressources/ Editum, de grandes disparités entre les titres. Disparités en
termes de diffusion, de pagination, de cible, de périodicité, d'accès à la
publicit... Avec 4,8 millions d'exemplaires par livraison (chiffre 99 tout
comme les suivants), le Magazine des abonnés de Canal+ ressort comme le
consumer le plus diffusé de France. Il est suivi par Bonne Route de la Macif
avec 4 millions de copies. Auto Peugeot, SFR Magazine et Tati Magazine sont
publiés pour leur part à 3 millions. La Poste et Vous, Vivre Champion, Danoé
(du Groupe Danone), Itinéris et Vous (France Télécom Mobiles) et Pour tout vous
dire (Unilever) dépassent également la barre des 2 millions d'exemplaires par
numéro. A l'inverse, des magazines comme Aérolyon magazine, un inflight
distribué sur les lignes de la compagnie AéroLyon ne tire qu'à 15 000
exemplaires, Saab Magazine à 25 000, L'S des restaurants Lina's à 30 000. Afin
de maintenir une relation régulière avec les consommateurs, la périodicité joue
un rôle important dans la mise en place d'une stratégie de fidélisation basée
sur l'édition d'une publication. Plus les rendez-vous entre la marque et ses
consommateurs sont éloignés, plus le lien qui s'instaure est fragile. En
revanche, plus les budgets à mettre en oeuvre sont importants. L'étude
Mediapolis montre que 28 % des consumers ont une parution mensuelle (Ça se
passe comme ça des restaurants McDo, Carrefour Savoirs - le magazine des
loisirs culturels des hypermarchés Carrefour - Tati Magazine par exemple), 20 %
sont des bimestriels (Move d'Orangina, Bienvenue chez vous de Century 21 ou
encore Contact, le magazine des adhérents de la Fnac, créé en 1954) et 27 % des
trimestriels (Mark's & Spencer Magazine, Kipsta de Décathlon, SFR Magazine, BMW
Passion...). Les hebdomadaires ne représentant pour leur part que 2 % du panel
(A Nous Paris de la RATP, par exemple) et les publications annuelles, 3 %.
CSP + : LES CIBLES LES PLUS COURTISÉES
Quant au mode de
diffusion, il participe pour une part non négligeable au budget nécessaire au
fonctionnement du consumer, dans la mesure où le poste routage et
affranchissement est, lorsqu'il existe, le plus onéreux. Toujours selon l'étude
Mediapolis/Editum, 46 % des consumers sont mis à disposition des consommateurs
en libre-service dans les points de vente et 33 % sont diffusés uniquement par
mailing. Les 21 % restants sont distribués par plusieurs canaux qui combinent
le libre-service sur le point de vente, le mailing, la vente en kiosque. Sans
surprise, les CSP + constituent les cibles les plus courtisées (30 % des
magazines étudiés) aussi bien par les marques des secteurs technologiques (SFR
Magazine, Mot de Passe Wanadoo) que par celui de l'automobile (Volvo Magazine,
Saab Magazine, BMW Passions, Versions Originales de Porsche), des transports et
des voyages (Air France Magazine, France Aéroport, France TGV, le Magazine
Accor, Instant Liberté d'Air Liberté, Corsair Magazine, AOM Magazine, etc.), de
la culture et des médias (Contact de la Fnac, Point Câble de la Lyonnaise
Câble) ou encore du luxe (Hermès). Les femmes constituent également une cible
privilégiée pour les annonceurs. 23 % des publications analysées par
Médiapolis/Editum leur sont en effet consacrées, elles émanent essentiellement
des secteurs de la grande distribution, de la mode, de l'hygiène et de la
beauté. Vivre Champion, Gagnant des hypermarchés Continent, Dessange Magazine,
Air France Madame, Nuptia de Pronuptia ou encore Tati Magazine s'inscrivent
dans cette problématique. En troisième position, on trouve la cible "Grand
public" (17 % des titres), segment sur lequel on retrouve la plupart des
journaux de mutuelles. En revanche, la cible enfants et adolescents réputée
pour son fort pouvoir de prescription est peu exploitée par les éditeurs de
consumers. 3 % des magazines étudiés lui sont consacrés. On trouve dans cette
catégorie : Ça se passe comme ça de McDonald's, Juniors des hypermarchés
Continent ainsi que le dispositif éditorial destiné à la clientèle junior de la
BNP : 1.2.3.BNP pour les 7-11 ans, BNP Découverte pour les 12-15 ans et BNP
Réussite pour les 16-18.
QUESTIONS DE COÛ...
Difficile
pour ne pas dire impossible de chiffrer avec précision l'investissement que
représente la publication d'un consumer magazine. Tout dépend de sa pagination,
de son tirage mais aussi de son mode de diffusion, répondent en coeur les
agences et les éditeurs. Yves Benouaich, créateur de l'Agence Verbe et de sa
filiale spécialisée Verbe Consumer, donne malgré tout dans son livre les
Consumer Magazines (Editions Les Presses du Management), quelques exemples
chiffré... « Au milieu des années 1990, Champion octroyait à son titre Vivre
Champion un budget de 30 millions de francs pour un tirage de 3,5 millions
d'exemplaires. A lui seul, le centre commercial Belle Epine investissait à la
même époque 2,7 millions de francs dans un magazine tiré à 300 000 exemplaires,
avec un budget total de communication de 8,5 millions de francs. Avec un tirage
proche, 250 000, la Lettre Picard évoluait sur un budget de 4 millions de
francs, tandis que Virgin Mégapresse, le consumer magazine du groupe Virgin
Megastore, revenait à 2,4 millions de francs pour 100 000 exemplaires. Quant à
Contact, fort de ses 800 000 abonnés, il constituait déjà le premier budget de
communication de la Fnac. » Quoi qu'il en soit, tous les annonceurs ne sont pas
complètement égaux devant les coûts de création, de production et de diffusion
des titres. Les annonceurs qui, du fait de leur activité, disposent d'un réseau
de distribution sont, par exemple, avantagés dans la mesure où les points de
vente peuvent être utilisés pour diffuser le magazine en libre-service. Ils
contournent les coûts liés au routage et à l'affranchissement du support qui
constitue généralement le poste de dépense le plus lourd. Autre poste de
dépense sur lequel les annonceurs peuvent faire des économies : le papier. Même
si la marge des agences est très faible - voire nulle - sur les achats de
papier, les annonceurs qui en consomment beaucoup par ailleurs (pour
l'impression de prospectus dans le secteur de la distribution par exemple)
préfèrent assurer eux-mêmes la fabrication de leur consumer magazine dans la
mesure où, par le jeu des économies d'échelles, ils peuvent obtenir de
meilleurs tarifs que leurs prestataires sur ces achat... Bien entendu, le
recours à la vente d'espaces publicitaires dans les colonnes du magazine
concourt également à une baisse du prix de revient du consumer, mais il n'est
pas toujours évident de trouver des annonceurs disposés à acheter des pages
dans un journal de marque ou de consommateurs. Pour ce qui est du retour sur
investissement, il est difficile à mesurer dans la mesure où le customer
magazine repose sur une politique d'image. Hormis les enquêtes de lectorat qui
permettent de vérifier la cohérence entre le message véhiculé et les attentes
des lecteurs, de nombreux annonceurs ont recours à des rubriques "interactives"
qui ont l'avantage de mettre l'accent sur la proximité et d'approcher la
rentabilité des investissements mis en oeuvre. Courrier des lecteurs,
jeux-concours, coupon-réponses, offres promotionnelles, parrainages,
possibilité de choisir le thème du numéro suivan... Les astuces sont nombreuses
mais restent peu fiables en matière de chiffre !
UN OBSERVATOIRE POUR LES CONSUMERS
Bien entendu, dans certains secteurs
d'activité, on peut aussi, à défaut de l'évaluer, au moins approcher le retour
sur investissement grâce aux corrélations entre la publication d'un article sur
un produit ou un service spécifique et l'éventuel pic de vente que l'on
constate dans les statistiques de vente. Pour être à la pointe de ce marché en
pleine croissance, l'agence de presse et d'édition d'entreprise parisienne
Textuel a créé en 1998 un Observatoire international de la presse consumer.
Reposant sur un réseau de journalistes indépendants chargé de veiller aux
évolutions du marché, cette structure permet d'être en permanence au fait des
dernières innovations sur le marché des magazines de marques et de
consommateurs en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Suède, en Italie, en Espagne
et aux Etats-Uni... Et d'apporter des idées neuves sur le marché français. « La
démarche de l'Observatoire consiste à identifier tous les nouveaux supports
consumer qui sortent dans chacun des 6 pays où nous avons des correspondants,
explique Laurence Vignon, directrice générale adjointe de Textuel. Le travail
de ces journalistes consiste ensuite à dresser une fiche technique, la plus
documentée possible sur la raison d'être, le positionnement et les
caractéristiques techniques de ce magazine. Chacune de ces monographies intègre
une interview des responsables du journal qui permet de connaître la façon dont
le support s'intègre dans la politique marketing ou de communication des
marques. A ce jour, nous disposons d'une base de données unique qui porte sur
plus de 150 magazines et qui est régulièrement actualisée. » Champion du monde
des consumers magazines, la Grande-Bretagne, qui aligne plus de 300 titres
différents, vendus dans de nombreux cas et qui contiennent très fréquemment des
coupons de réduction. Inventeurs de la "Custom Relation", les Anglais ont été
les premiers à se pencher sur la question de la relation client. « Aujourd'hui,
outre-Manche, le consumer est un outil essentiel des politiques marketing,
alors qu'il est encore un phénomène de curiosité en France », commente Laurence
Vignon. Le plus célèbre exemple de consumer anglais est sans doute celui de la
chaîne de supermarchés Sainsbury's. Tiré à 450 000 exemplaires, il est vendu 1
£ dans les 350 magasins de la chaîne. Ses 100 pages de publicité (sur 200 au
total) génèrent plus de 55 M£ de recettes annuelles, ce qui lui permet de
présenter un compte d'exploitation bénéficiaire. Et ce n'est pas tout !
Rivalisant avec la presse de kiosque traditionnelle, Sainsbury's Magazine est
aussi le quatrième titre de la presse féminine en Angleterre. Autre cas d'école
: Tesco. Ce consumer repose sur un club de clientèle créé autour d'une carte de
fidélité. Ce consumer a la particularité d'être proposé en 5 versions qui
couvrent 5 segments de clientèle : les adolescents, les couples avec et sans
enfants, les célibataires et les seniors. Chaque version proposant des contenus
communs ou spécifiques en fonction des rubriques et des numéros. Ce magazine
est envoyé par mailing 4 fois par an. Son tirage est compris entre 5 et 8
millions d'exemplaires ! La Grande-Bretagne n'est pas pour autant le seul pays
où le magazine de marque s'est implanté de façon originale. Ainsi en Espagne,
le groupe de grande distribution Eroski publie un mensuel gratuit de 40 pages,
Consumer, sans la moindre page de publicité. Diffusé à 250 000 exemplaires par
les 750 points de vente de la chaîne, il a la particularité d'être le premier
magazine de défense du consommateur espagnol. Au sommaire : enquêtes de fonds
sur des sujets de société, un vaste courrier des lecteurs et des tests
comparatifs. Détaché de la politique de marketing du groupe, ce magazine est
réalisé par une équipe de rédaction complètement indépendante. Un de ses
principes consiste à ne jamais consacrer d'articles à Eroski !
Consumers et Web : encore peu de liens
Il semble que les stratégies croisées entre supports de fidélisation papier et supports électroniques soient encore faibles. Certes, les renvois depuis les colonnes d'un magazine vers un site web sont de plus en plus fréquents dans la presse consumer comme dans la presse de kiosque. En revanche, le contraire est plutôt rare. La Fnac, Boulanger et quelques autres signalent l'existence de leurs consumers respectifs mais les adaptations de contenus sont pour ainsi dire inexistantes. La qualification de fichiers en vue du recrutement de nouveaux abonnés ainsi que la possibilité d'alimenter les colonnes du magazine à partir de sujets évoqués dans des forums de discussion ou à l'occasion de relations annonceurs-consommateurs par mail restent très marginales. Etonnant car en matière de communication globale comme de marketing direct, Web et consumer apparaissent pourtant comme des médias complémentaires aux multiples passerelles et opportunités croisées.