Gagner la confiance des clients est la meilleure façon d'accroître leur valeur
De passage à Paris pour une conférence sur le marketing de demain organisée par Everest en partenariat avec La Poste, Don Peppers évoque pour Marketing Direct les relations qu'entretiennent les entreprises avec leurs clients. Vision d'un expert international.
Marketing Direct Vous êtes l'inventeur du marketing one-to-one. Comment avez-vous vu le marketing évoluer ?
Don Peppers Quand
Martha Rogers et moi avons écrit The One To One Future, qui est paru en 1993,
le livre était en grande partie un travail de science-fiction. Tous les
exemples cités étaient hypothétiques. Ce que nous avons essayé de faire,
c'était d'imaginer comment le marketing allait changer avec l'interactivité.
Or, deux ans après la parution du livre, le World Wide Web est arrivé et le
monde est devenu interactif. Tout d'un coup, toutes nos prédictions sont
devenues exactes et la plupart des entreprises, qui ont intégré Internet, sont
devenues plus orientées vers le client. Ce qui a changé, ce sont les
technologies. Elles sont devenues meilleures, plus rapides et moins chères. Il
est maintenant possible de joindre quelqu'un par e-mail, sur son téléphone
portable, sur son PDA. Il y a des call centers automatiques, des SMS… Il est
difficile de trouver quelqu'un aujourd'hui qui ne soit pas d'accord avec cela :
si vous pouvez être en interaction avec vos consommateurs, vous engagerez une
relation avec eux. Cette relation peut être utilisée de plusieurs façons : pour
rendre votre consommateur plus fidèle, pour le rendre plus disponible. Mais
l'idée de base du marketing one-to-one est toujours la même. C'est ce que l'on
appelle aujourd'hui le CRM.
MD Quel est le thème de votre nouveau livre ?
DP Notre nouveau livre, qui sort cet été, est intitulé
Return on Customer, comme retour sur investissement mais il s'agit du retour
sur le client.
MD Comment les entreprises doivent-elles d'organiser en interne pour satisfaire leurs clients ?
DP Il y a
deux aspects à cela. L'un est le système d'information. Il doit permettre
d'accéder à toutes les données sur le consommateur par tous les canaux, car il
faut avoir une vue intégrée du consommateur. Un autre est l'aspect
organisationnel. Si vous voulez maximiser la valeur que crée chaque client,
vous devez penser à l'organisation. La plupart des entreprises aujourd'hui sont
bien organisées pour gérer des produits ou pour gérer des canaux de
distribution. Mais très peu le sont pour gérer des relations avec des clients
individuels. Mon sentiment est que l'organisation du futur va donner des
responsabilités aux responsables clients plutôt qu'aux responsables produits ou
aux responsables des canaux. Un responsable client sera responsable d'un groupe
de consommateurs. Il sera chargé de développer la valeur sur le long terme de
ces consommateurs et les profits qu'ils génèrent. Il aura probablement la
responsabilité de décider des offres, des prix ; il aura la responsabilité de
la communication. Il y aura toujours de la publicité qui, elle, s'adresse à
tout le monde de la même façon. Mais le responsable clients pourra dire si la
campagne de pub lui convient.
MD Aujourd'hui, les actionnaires veulent une rentabilité à court terme. Comment mettre en place une organisation qui permette de s'affranchir de cette pression ?
DP Un des
chapitres de notre prochain livre, Return On Customer, s'intitule “Lettre
ouverte à Wall Street”. Notre sentiment est que c'est dans l'intérêt des
actionnaires de voir une entreprise adopter une approche équilibrée, qui ne
soit ni du court terme, ni du long terme. L'astuce est de trouver cette
approche équilibrée et, pour y arriver, il faut trouver un système. Celui que
nous proposons est ce que nous appelons le retour sur le client. Nous avons une
formule qui permet aux entreprises de le faire. Si vous n'arrivez pas à
convaincre vos actionnaires, ensuite tôt ou tard, si vous réalisez un mauvais
trimestre ou si l'économie va mal, ils ne vont pas vous laisser vous concentrer
sur l'approche équilibrée. Ils vont vous dire : “Nous voulons des bénéfices
maintenant.” Ils vont revenir sur le court terme. C'est pourquoi nous pensons
que c'est important d'avoir des analystes financiers impliqués. Dans notre
livre, nous abordons la façon dont les entreprises peuvent éduquer les
analystes et les actionnaires. Si vous voulez conduire votre business dans une
approche équilibrée, vous devez les éduquer sur la façon dont vous le faites et
sur les ratios qu'ils doivent suivre. Par exemple, des entreprises de services
par abonnement, comme la télévision par câble, les opérateurs de téléphonie
mobile, reportent des chiffres pour leurs investisseurs, qui leur permettent de
voir la valeur sur le long terme, tels que, par exemple, le taux de
résiliation. Au début, les analystes financiers n'en tenaient pas compte. Les
entreprises ont indiqué que cela était important et qu'elles travaillaient à
garder leurs clients sur le long terme. Elles ont éduqué les analystes
financiers.
MD Pensez-vous qu'il est possible pour les entreprises d'avoir une stratégie de différenciation selon leurs consommateurs ?
DP Oui et non. Cela dépend du type de produits et de services
que vous vendez et si les besoins des consommateurs sont uniformes ou
différents. Par exemple, une librairie est l'endroit parfait pour différencier
les consommateurs selon leurs besoins. Car tout le monde achète un livre
différent ; c'est très personnel. Quand Amazon ou une autre libraire en ligne
se souvient des livres que vous aimez et vous fait des recommandations, c'est
un service très utile. D'un autre côté, je donne l'exemple de Total, qui veut
différencier ses clients. Mais c'est très difficile, car les consommateurs
viennent dans une station-service pour prendre de l'essence et la moins chère
possible. Si vous allez dans une librairie et que l'on vous dit “Nous avons le
nouveau livre de votre auteur préféré, je vous l'ai mis de côté juste pour
vous”, c'est un service très spécial. Mais si vous allez dans une
station-service, et que l'on vous dit “Nous avons le nouveau 95 ou 98 et nous
savons que vous l'aimez…”, cela ne produit pas le même effet.
MD Il semble que la personnalisation soit difficile à mettre en place ?
DP Oui, il y a des erreurs. Mais en même temps, la plupart des
clients ne réalisent pas quels sont les bénéfices de cette révolution. Quand
vous allez chez un loueur de voitures et que vous n'avez pas à remplir un
questionnaire parce qu'il sait ce que vous aimez comme véhicule, c'est du CRM.
Quand vous allez porter votre voiture à réparer dans un garage et que le
personnel n'a pas à vous redemander où vous habitez, c'est du CRM.
Fondamentalement, vous pouvez acheter tous les logiciels que vous voulez, vous
n'allez pas forcément avoir du CRM, il faut l'adapter. Et cela veut dire que
vos employés doivent vouloir traiter les clients différemment. Plus les
employés veulent le faire, plus les technologies doivent les aider. Là où les
entreprises ont échoué, ce n'est pas à cause des logiciels. Elles ont échoué
parce que les équipes, soit le management, soit les employés, ne savent pas
pourquoi c'est fait et ne font pas l'effort de mieux servir les clients. Ils
cherchent seulement à prendre de l'argent dans leurs poches.
MD Quels sont les autres chapitres du livre ?
DP Dans le premier
chapitre, nous introduisons le concept “Return On Customer” ; dans le deuxième,
l'importance de construire de la confiance avec les clients; dans le chapitre
trois, les besoins du client au sens large ; dans le chapitre quatre, les
décisions tactiques ; dans le cinquième, la croissance des clients ; dans le
sixième, les changements d'organisation, et dans le septième, la stratégie.
C'est un plan pour réussir dans un environnement hostile. Un autre chapitre
traite des organisations gouvernementales, de la protection de la vie
privée.
MD Comment évolue la protection de la vie privée aux Etats-Unis ?
DP De façon plutôt amusante, la protection de la vie
privée aux Etats-Unis va probablement être bientôt meilleure qu'en Europe. Le
fait de gagner la confiance des clients est la meilleure façon d'accroître leur
valeur. La confiance est très fortement liée à la protection de la vie privée.
Et je ne vais pas faire confiance à une entreprise qui fait intrusion dans ma
vie privée ou qui vend mes informations personnelles. C'est dans l'intérêt des
entreprises de respecter la vie privée de ses clients.
MD Avez-vous une représentation en France ?
DP Nous avons un
partenaire Everest, représentant de Carlson Marketing Group en France, et nous
travaillons avec eux. En Europe, nous avons un bureau à Bruxelles, à
Amsterdam, à Londres et à Madrid.
MD Voyez-vous beaucoup de différences d'un pays à l'autre ?
DP Oui, j'en vois. La plupart
des Américains pensent que l'Europe est un ensemble homogène. Mais moi, je sais
que les Français, les Allemands et les Anglais sont très très différents. Je
pense que les consommateurs français sont historiquement plus cyniques, plus
prudents, moins confiants envers leurs entreprises. Je pense que le message de
confiance résonne particulièrement bien en France.
Parcours
Don Peppers est reconnu internationalement comme le co-fondateur du “marketing one-to-one”, qu'il a formalisé au début des années 90 et qui est aujourd'hui mis en œuvre dans les plus grandes entreprises. Don Peppers et son associée Martha Rogers se sont imposés ces dernières années comme des experts des stratégies d'entreprise, développées à partir des besoins des clients. A ce jour, ils ont publié six best-sellers, traduits dans quatorze langues et vendus à plus d'un million d'exemplaires, parmi lesquels le One to One en pratique. Leur prochain ouvrage Return On Customer sortira en juin 2005.
ENTREPRISE
Don Peppers et Martha Rogers ont cofondé en 1993 le Peppers and Rogers Group, cabinet de conseil en management reconnu comme le spécialiste du développement de stratégies clients. Ce cabinet fait partie de Carlson Marketing Group depuis 2003 et s'appuie sur un réseau de 11 bureaux répartis à travers le monde, avec des clients tels que BMW of North America, Hewlett Packard, Merial, SAP, United States Postal Service, Verizon Communications, Inland Revenue.