L'influence digitale peut-elle s'automatiser ?
L'influence est un levier marketing depuis longtemps maîtrisé. Et si pour beaucoup, la complexité en la matière est de suivre les dernières plateformes et les nouveaux talents, pour Fidy Ranaivoarivelo, membre du CMIT et auteur de cette tribune, c'est avant tout un défi IT.
Les grandes entreprises françaises de l'IT s'intéressent au sujet de l'influence digitale depuis des années. La majorité d'entre elles font du Social Listening, d'autres s'essaient au Social Selling, ou font appel à des influenceurs. Mais alors que de nombreuses entreprises du BtoC, notamment du Retail, parviennent à fédérer de véritables communautés de fans, accroissant naturellement leur influence digitale, force est de constater qu'entre possibilités technologiques, vraies volontés et styles de management, le challenge de l'influence reste de taille pour l'IT.
Les contraintes de l'influence et de l'automation
L'influence, par essence, est la capacité à faire parler son écosystème de soi, de son entreprise, ou de ses solutions. Cela consiste à influer sur les comportements, créer ou nourrir une tendance en faisant partie des early adopters d'une marque ou d'un produit. Automatiser son influence digitale, dans ce contexte, signifie aller chercher des informations de tous types permettant d'alimenter un Storytelling de marque pour diffusion auprès d'une cible d'influenceurs, c'est-à-dire mettre à leur disposition un véritable panorama de la maturité technologique, de la maturité de la concurrence et des enjeux stratégiques liés aux bouleversements de son environnement. La première difficulté est de très bien choisir ses influenceurs externes. Il arrive fréquemment de payer des influenceurs ou blogueurs de manière assez conséquente sans qu'il y ait plus d'engagement. Ne leur jetons pas la pierre trop vite : les résultats sont fonction de la richesse des contenus qui leur sont poussés, et de leur capacité à provoquer une contradiction assez forte pour alimenter les passions. En effet, comment permettre une réelle authenticité en présentant seulement sa propre vision embellie de l'histoire ? S'appuyer sur des ambassadeurs en interne en transformant une équipe avant-vente en levier d'influence s'avère tout aussi délicat, car c'est une responsabilité à endosser pour celle-ci et son aisance dépendra beaucoup de l'impulsion donnée en amont. On mesure ici toute la complexité du sujet.
Le Marketing Automation, qui permet la génération de leads, a largement fait ses preuves dans les entreprises de l'IT. Aller chercher des leads et les qualifier est complètement entré dans les moeurs. Donc le Marketing s'automatise. On sait aussi que la Communication corporate, automatisée à travers des plateformes de publication et basée sur du Social Listening, fonctionne. Pourquoi ne sait-on pas faire de même avec le trait d'union entre les deux, cette fameuse influence digitale ? En réalité, l'influence en ligne, même si cela peut paraitre paradoxal, peut très bien s'automatiser. Or, dans la configuration actuelle, cela ne donne que peu de résultats, pour une raison simple. Dans la majorité des grands groupes technologiques, mener une campagne d'influence digitale se résume encore souvent à créer une véritable usine à contenus dans laquelle un comité éditorial (Directeurs Marketing et Communication de chaque filiale) se réunit chaque semaine pour valider des articles imposés par la direction, puis à lancer des programmes d'automatisation du marketing et de la communication via des publications sur les réseaux, en espérant du retweet. Aujourd'hui, les équipes se heurtent à un constat clair : cela ne fonctionne plus. Au moment où l'on n'a jamais autant parlé de remettre l'humain au coeur des préoccupations de l'entreprise, la problématique de l'authenticité se pose face à des contenus lisses poussés par des machines.
Si l'influence est par essence est une activité humaine, naturelle, qui permet d'impacter les comportements et points de vue, elle est monétisée en ce moment via des influenceurs donc en réalité son automatisation est déjà largement effective. Eux-mêmes ont des techniques d'automatisation pour aller curer du contenu. Avec tous les contenus digitaux produits à travers le monde (qui font partie du déluge de données) et leurs richesses, comment imaginer mettre à profit toutes ces informations au service de son innovation et de son go to market ?
Le contenu comme point commun
Des contenus sont actuellement produits sur des sujets partout sur la planète, aussi bien sur la cybersécurité que le supercalcul, et les entreprises ne s'en font pas la voix. Elles paient pour avoir des informations clés, qu'elles ne diffusent pas. Elles pourraient techniquement les mettre en socle commun sur une plateforme les utiliser pour créer un Storytelling contradictoire que chaque influenceur irait chercher pour son pays, son marché. Les difficultés rencontrées dans l'automatisation de l'influence digitale ne sont donc pas liées à une contrainte technique, mais plutôt à un souci de mentalité : les entreprises de l'IT communiquent comme si elles n'avaient pas de concurrents. Jamais elles ne se comparent publiquement, car ce serait reconnaitre qu'elles ont des forces mais aussi des faiblesses. Cela va encore plus loin dans certaines entreprises, où en interne la concurrence n'est jamais évoquée directement dans les argumentaires de vente, et où les équipes obtiennent les benchmarks détaillés de la concurrence une fois le deal acté. C'est bien dommage pour le client qui, dans son parcours d'achat, s'interroge toujours sur l'offre concurrente.
L'influence digitale repose sur deux leviers : nourrir la valeur de marque, mais aussi permettre le Social Selling. C'est le fait que les ambassadeurs d'une entreprise créent un lien et interagissent avec leurs prospects à travers les réseaux sociaux, LinkedIn ou Twitter pour ne citer qu'eux. Cela va au-delà du Social Listening, outil qui consiste à effectuer une veille stratégique sur les réseaux et à identifier ceux qui sont pour ou contre l'entreprise. Faire du Social Selling n'est pas non plus se contenter d'acheter Sales Navigator. Si l'on reprend la définition de l'automatisation de l'influence digitale, il s'agirait de fournir aux équipes d'avant-vente, des données leur permettant de réaliser elles-mêmes un Storytelling contradictoire, notamment des données sur les forces et faiblesses de leurs solutions, ou des données sur la concurrence... Regardons la réalité en face, très peu d'entreprises technologiques françaises fournissent un tel benchmark et surtout laissent la parole à leurs commerciaux pour faire cela. De telles ambitions restent bien souvent au stade de l'intention. Les commerciaux se voient remettre le guide des bonnes pratiques des réseaux sociaux, on leur dit de gérer leur compte librement, mais en fin de compte il y a tellement de restrictions que cela revient à leur dire de ne pas prendre la parole. Ou alors on leur demande de répéter, partager et retweeter la bonne parole, sans valeur ajoutée. Et de toute façon les contenus sont tellement loin des vraies préoccupations des clients que cela n'a pas de réel impact. Au final cet excès de contrôle coupe les équipes de la raison d'être du Social Selling...
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Quelle liberté donner aux forces de vente pour qu'elles puissent tisser un lien fort avec leurs cibles ? Tout dépend de la vision qu'entretient la direction envers sa force de vente. Dans une vision contrôlante, cela revient à renforcer le lien entre les commerciaux et leurs cibles, et à perdre la cible si le commercial quitte l'entreprise. Dans une vision entrepreneuriale, plus visionnaire, cela montre au contraire que les commerciaux ont des liens très forts avec leurs cibles et que ce lien a pu être créé grâce aux produits et aux solutions de l'entreprise. En cas de départ, il sera possible de recréer ce lien avec d'autres commerciaux, ce qui prend une autre dimension. Admettre la liberté des commerciaux devient synonyme de sérénité et de confiance. Sans lâcher-prise, une vraie démarche de Social Selling ne saurait donc être engagée. À la direction d'impulser une vision de l'évolution de l'influence au sens large du terme. Avec la distanciation sociale, les cercles d'influence vont changer et l'influence digitale va prendre son essor, son envol, qui a ses propres règles.
Opportunités et limites du contenu automatisé
Le paradoxe majeur de l'influence digitale tient à la recherche de l'authenticité face à des états-majors qui réclament un contrôle absolu du contenu et maîtrisent totalement ce qui peut être dit, doit être dit, est dit. Sous couvert de contenu de marque, la moindre initiative de prise de parole est anéantie. Or à l'ère des réseaux sociaux ce schéma s'avère obsolète. Si l'on veut augmenter son influence digitale, il faut un réel lâcher-prise. Cela peut paraître évident mais le sujet est réellement tabou dans le secteur de l'IT. Il y a pourtant de belles sources d'inspiration. L'un des facteurs de succès des webinars Livestorm réside dans le fait qu'un benchmark de tous leurs concurrents apparaît sur leur site Web. Ils vont jusqu'à faire des comparaisons entre solutions, comme Zoom et Meet de Google. Ils sont capables de mettre en avant leurs concurrents de manière très objective, tout en affichant une certaine assurance. Cette stratégie d'Inbound Marketing s'avère précieuse aux yeux de l'audience... Effet client garanti !
La limite éthique, ici poussée à son maximum, vient toucher à la notion de e-réputation. C'est certainement un peu plus compliqué que cela mais c'est à partir de là qu'un cercle vertueux peut se mettre en marche. Avec une stratégie gagnante, les influenceurs pourraient aider à mieux driver les ambassadeurs, à l'instar de ce qui se passe pour Aéroports de Paris par exemple. Quand quelqu'un prend la parole contre la marque, ADP ne réagit plus, ce sont les autres voyageurs d'ADP qui le font pour défendre l'entreprise, ce qui contribue à renforcer son influence digitale. Quand une personne prend la parole pour parler d'une entreprise, que ce soit en bien ou en mal, cela permet à celle-ci d'émerger donc c'est plutôt positif au final. Une entreprise doit être capable de comprendre que l'authenticité passe par là. L'automatisation permettrait de plus aux communautés de se considérer comme des ambassadeurs ou key opinion leaders. Et si l'automatisation était justement la clé pour répondre aux deux points : non seulement aux demandes des comités exécutifs, mais aussi au besoin d'authenticité, critique pour l'impact de l'influence ?
En conclusion, on ne pourrait imaginer un écosystème totalement nourri par du contenu automatisé, ce serait contradictoire avec l'être humain. C'est donc à nous de trouver les limites, et l'une d'entre elles est l'éthique dans la gestion de ces données, qui obligerait à suivre une vraie ligne éditoriale dans le respect le plus strict des réglementations en vigueur. La technologie n'est en rien une limite à l'automatisation de l'influence, bien au contraire c'est un levier. Mais pour l'activer, une autre vision des choses est nécessaire. En l'occurrence il faudrait oser affronter son comité exécutif et la force de la concurrence. Dans un environnement où tout s'automatise, le vrai sujet est donc le changement, de mentalité d'abord, de comportement ensuite, en acceptant de lâcher prise. Cela serait bénéfique pour le business, pour les salariés et pour les fournisseurs, tout le monde y gagnerait. Ensuite cela inciterait à travailler encore plus en continuité Marketing/Communication, et Marketing/Vente. Le Social Selling s'en trouverait légitimé et renforcé.
Aimer ses clients, c'est aussi accepter qu'ils fassent leur propre expérience, et viennent vers l'entreprise non par défaut mais parce qu'ils sont conscients qu'elle leur offre la meilleure solution, en toute transparence
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