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La typographie, nouveau parangon de l'efficacité marketing ?

Publié par Gwenaëlle De Kerret le

De tous les artifices de la publicité et du marketing, la typographie est longtemps apparue comme un parent pauvre. Mais dans un contexte où la communication tend à l'épuré, la qualité graphique des mots acquiert une importance nouvelle. Que penser de cette résurgence du signe le plus discret de la palette marketing ? Petite enquête sémiotique...

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Dans l’histoire du marketing, la typographie est souvent restée un outil délaissé. Que penser en effet de l’efficacité sémiotique d’une dimension aussi discrète du message ? Face à la prégnance visuelle des images et à l’impact mnésique des formules choc, la forme des lettres, leurs pleins et déliés peuvent paraitre bien dérisoires pour véhiculer un message. Jusqu’alors, seules les marques de luxe s’intéressaient véritablement à la typographie, considérant que la réserve et l’euphémisme étaient les premiers signes de l’unicité. Au discours hyperbolique des marques milieu de gamme, rivalisant dans leurs messages de couleurs et images bariolées, elles répondaient par le langage de l’euphémisme, se contentant de logos et même de publicités constitués du simple nom.

Retour sur scène de la typographie

Pourtant depuis quelque temps, la typographie semble revenir sur le devant de la scène, notamment parmi les marques de grande consommation. Un certain nombre d’affiches, d’annonces publicitaires, mais aussi de logos et de packagings, font ainsi le pari d’un univers graphique totalement homogène, voire blanc. Sur ce fond sobre et épuré, un nom ou une simple phrase se détache, dans une typographie d’apparence sobre, mais innovante.
La typographie recèle en effet un potentiel sémantique d’autant plus efficace qu’il est insoupçonné, presque subliminal. Derrière son apparence inoffensive, elle permet d’assoir 3 dimensions du message :

  • Sa visibilité, bien sûr. Plus la qualité de forme et de graisse des lettres est grande, plus la prégnance visuelle est importante. Elle permet ce que les graphistes appellent le jaillissement.
  • Sa tonalité : la typographie permet d’injecter dans le message un certain ton. Emphase ou discrétion, officialité ou intimité, etc. sont suggérés par la taille, la forme et la graisse des lettres, le choix entre romain ou italique, capitales ou bas de casse. Et indirectement, la tonalité évoque des valeurs qui permettent d’accentuer ou d’infléchir le message global.
  • Enfin, l’identité de la marque : la typographie « parle » de l’émetteur : posture d’autorité ou populaire, solennelle ou informelle ? Ancrage dans la tradition, ou modernité affirmée ? Le choix d’une typographie avec ou sans empattements*, mais aussi l’ancrage du texte dans son environnement sont déterminants. Bien orchestrés, ils participent à l’identité de marque, à l'expression de son engagement spécifique ; voire, ils appuient subtilement sa légitimité, en connotant la sincérité.

Un créneau pour les MDD et le marché de l’éthique

Parmi les annonceurs qui réhabilitent la typographie, les marques de magasin et les marques positionnées sur l’éthique (bio, développement durable notamment). Monoprix et Bio Secure se sont ainsi lancés dans un mode de communication construit essentiellement sur une expression typographique : charte graphique épurée, palette restreinte de couleurs, absence d’image et d’éléments pictographiques, et au contraire, développement d’une identité typographique très forte.

Les enjeux sémiotiques de ces deux marques, mis en scène dans leur identité visuelle, sont en fait très proches, et coïncident avec le potentiel sémantique de la typographie.

La sobriété pour émerger

Le premier enjeu est d’émerger, dans un environnement concurrentiel en développement permanent : comment être distinctif et visible, dans un marché surchargé de MDD de tous niveaux de gamme ? Comment proposer un nouveau créneau à des consommateurs de bio assaillis de nouvelles propositions ? Dans ces deux contextes, la visibilité passe paradoxalement par la discrétion : un emballage sobre se distingue de tous les autres, saturés de couleurs et d’images.

Le pari de la litote

Deuxième enjeu des marques Monoprix et Bio Secure : véhiculer de manière condensée des valeurs désormais banalisées par leur marché : l’économie et la simplicité pour les MDD, la naturalité et l’innocuité pour les marques bio. Jusqu’alors, la stratégie du marché était de revendiquer ces valeurs à grands frais de promesses, d’images et de labels visant à les accréditer dans la communication et sur les emballages. Au contraire, Monoprix et Bio Secure font le pari de la litote : en dire le moins, pour en signifier le plus.

Dans les emballages, la typographie véhicule ainsi, de manière subliminale, le positionnement de la marque. Bio Secure opte dans son logo pour une typographie très ronde, bas de casse et en police réduite : un ton feutré, intime, presque timide, dans lequel la virgule inversée sertie dans le « b » de « bio », suffit à évoquer la valeur de naturalité (cette virgule : une herbe, une feuille ?). Quant à Monoprix, il opte pour un détournement graphique de l’écriture : les mots sont agencés et scindés de manière à recouvrir l’emballage, quitte à en réduire la lisibilité. La taille des lettres et leur environnement chromatique sont variés à souhait, dans une typographie « bâton » de facture classique, mais très anguleuse. Ce style pourrait rappeler des banderoles de manifestations. Mais aussi, il évoque l’art moderne voire le pop art, dans son parti pris de minimalisme esthétique, survalorisant les signes graphiques**. Au final, l’effet sémantique est celui d’une marque qui « revalorise » les produits du quotidien, par un point de vue emprunt de spontanéité et d’humour.

Signifier l'engagement de la marque

Bien plus que de signifier le positionnement produit, le parti pris typographique de Monoprix et Bio Secure permet de signifier une identité et un engagement inédits de la marque. Le mode à la fois très esthétisant et très populaire de Monoprix inscrit la MDD dans une logique de proximité avec ses consommateurs : en fonction de leurs propres valeurs, les uns y liront un effort pour rendre les produits plus démocratiques et économiques, les autres, une orientation vers un style moderne, branché et bobo.
De son côté, Bio Secure se positionne comme l’initiateur de la deuxième génération du bio : un bio banalisé, quotidien, qui n’a plus besoin de se justifier pour convaincre. Ce message elliptique est sans doute efficace : le consommateur serait surpris de découvrir que derrière un nom et un graphisme signifiant le bio de manière si simple, si « évidente »… le produit ne contient souvent que 10% d’ingrédients d’origine biologique.

Le pari typographique est donc gagné : plus besoin de proclamer un positionnement de marque, de claironner les bénéfices du produit. Subrepticement, l’outil le plus simple de la palette marketing en imprègne l’esprit du destinataire. La « petite musique » typographique fait alors bien plus que tous les artefacts graphiques de la rhétorique publicitaire.
Les signes chuchotent, et le message passe.

*L’empattement, ou « sérif », correspond à la présence d’un patin plus ou moins marqué, au pied de la lettre. Outre l’effet d’assise de la lettre, cet élément graphique apporte souvent une tonalité classique.

**Lire aussi la page consacrée à Monoprix sur le blog ParisComLight : www.pariscomlight.com/2010/11/monoprix-parle-a-lelite/

Gwenaëlle De Kerret

Gwenaëlle De Kerret

Directrice d'études qualitatives

Gwenaëlle de Kerret est sémiologue et experte en études de public. Elle dirige des études internationales dans les secteurs de la consommation, [...]...

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