Smart City : Comment garder la maîtrise de ses données ? (2/2)
Le Big Data a transformé chaque citoyen en émetteur de données, en échange de quoi il bénéficie de services sur mesure : Netflix propose des séries, Amazon des livres, Uber des destinations.
Cependant, ce type de service est à double tranchant : un nombre croissant d’utilisateurs s’inquiète des menaces sur leur vie privée. Selon Daniel Kaplan, délégué général de la Fondation Internet Nouvelle Génération, la majorité des citoyens considèrent que la collecte des données se fait davantage dans l’intérêt des collecteurs que dans le leur.
Dans notre précédant volet (Smart City: Vers un monopole des géants américains), nous évoquions l’appétit des géants américains pour le marché de la smart city (intégrer URL). Mais la firme de Mountain View n’a pas attendu de créer Sidewalks Labs pour devenir une alternative crédible à des services publics : à titre d’exemple, son application Google Maps fait office depuis nombre d’années maintenant de calculateur d’itinéraire pour des millions d’usagers.
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Le rachat de Waze en 2013 s’inscrit également dans le prolongement des objectifs du géant américain. La start-up israélienne a commencé à développer dès 2007 une application d’aide à la circulation fonctionnant sur la base d’un échange données contre services : les utilisateurs font remonter des rapports d’incidents (ralentissements, accidents…) et bénéficient en retour d’un service prédictif d’itinéraire en temps réel, fiable et gratuit. Elle peut ainsi compter aujourd’hui sur 50 millions d’utilisateurs dans le monde, dont 3 millions en France.
Depuis octobre 2014, Waze développe Connected Citizens un nouveau service dédié aux collectivités locales. Il s’agit ici d’un programme d’échange gratuit de données anonymisées visant à consolider son fonds d’informations dynamiques et prédictives en échange de services aux territoires. A ce titre, elle collabore déjà avec Boston pour restituer sa circulation en temps réel et permettre de la réguler ainsi qu’avec Rio pour piloter les parcours des véhicules qui collectent les déchets.
Moyen alternatif pour Google d’attaquer le marché de la smart city, le programme Connected Citizens propose une nouvelle forme d’incursion dans la gestion des villes en se basant sur l’usage de la multitude pour inciter les villes à adopter ses services. Malgré la demande croissante de leurs administrés en matière de numérique, les collectivités sont souvent confrontées à des problèmes de moyens, d’où la tentation d’accepter de partager les données. Et la start-up compte bien s’imposer à la ville par les usages plus que dans le seul cadre de la commande publique.
De fait, l’omniprésence d’un nombre restreint d’acteurs puissants à laquelle s’ajoute le constat que les collectivités apparaissent comme ne maitrisant pas suffisamment ces sujets amènent à s’interroger sur les risques d’une éventuelle perte de contrôle sur ces données.
La gestion des flux de données permettant de réguler la vie urbaine échappe parfois au pouvoir politique au profit des opérateurs du numérique. La détention de cette masse de données remet donc en cause la légitimité historique de la collectivité territoriale sur son territoire, trouble les limites du privé et du public, bouleverse les règles d’économie et de gouvernance de la ville. Toujours concernant Waze, l’application propose des services qui s’activent dans l’espace public mais qui relèvent de production et de diffusion privées. La société civile se retrouve donc prise en tenaille entre des bénéfices certains et l’inconnu sur le destin de leurs données.
Afin d’éviter ces dérives, en France, l’article 17 de la loi n°2016/1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique encadre les données issues des délégations de service public. Désormais, lorsqu’un organisme public – telle qu’une collectivité – choisit de déléguer à une entreprise la gestion d’un service public (eau, déchets, transports…), il peut exiger que l’entreprise lui fournisse le détail des données collectées dans ce cadre.
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D’autre part, le règlement européen relatif à la protection des données à caractère personnel adopté le 27 avril 2017 prévoit la désignation obligatoire d’un délégué à la protection des données personnelles (DPO) au sein des organismes publics, chargé notamment de veiller à la mise en œuvre des dispositions de protection des données personnelles.
Le Big Data génère à la fois de la simplicité au niveau des individus et de la complexité à l’échelle des collectivités. Repenser la gouvernance des villes implique notamment de (re)donner une place aux citoyens dans le débat public.
Remis au premier ministre le 18 avril, le rapport De la Smart City au Territoire d’Intelligence(s) attire l’attention sur les risques et enjeux de la smart city, soulignant que « la smart city appelle une approche décloisonnée, transversale de la ville ». Le rapporteur préconise ainsi la mise en place, au sein de chaque collectivité, d’une structure de gouvernance associant élus, services de l’administrations locale et acteurs économiques développant des offres de services urbains. Selon lui, il est essentiel d’engager des discussions et des collaborations avec l’ensemble des acteurs de la ville afin d’assurer une meilleure complémentarité entre les offres publique et privée.
La ville intelligente est appelée à devenir dépositaire de nombre de données, y compris individuelles. Les citoyens peuvent donc faire preuve d’une défiance vis-à-vis de l’usage de ces technologies et de la circulation de leurs données. Il est de fait nécessaire de les impliquer dans le développement des projets de smart cities, de les associer à la conception de nouveaux services publics, de s’appuyer sur leurs expériences et leurs attentes afin de les sensibiliser et de les investir.
Enfin, l’Etat a également un rôle à jouer en mettant en œuvre des évolutions réglementaires, notamment pour simplifier les procédures d’accès au marché publics et permettre de facto aux collectivités de mieux travailler avec des entreprise innovantes.
Pour être efficace, la smart city doit donc prendre en compte trois enjeux :
- Un enjeu de gouvernance, appelant une approche transversale et non sectorielle,
- Un enjeu de souveraineté sur la maitrise des données,
- Un enjeu de participation et d’adhésion citoyenne.
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