Voyage, le rêve paradoxal
II fait patienter, rêver, puis permet de récupérer. Grâce à lui, on peut même vivre une autre vie. Le voyage est bien lié à une quête d'épanouissement de soi. Il est surtout l'occasion de rompre avec un quotidien qui aliène. C'est pourquoi sa vision symbolique n'a jamais été aussi forte.
Je m'abonneProche ou lointain, court ou long, itinérant ou sédentaire, sensationnel ou rassurant, quelles que soient les circonstances, le voyage invite toujours à se retrouver avec soi-même. Il touche toutes les cibles, toutes les CSP, tous les âges. Véritable produit de consommation, certainement le plus impliquant, il est simplement devenu essentiel. Pour chacun d'entre nous, réussir ses vacances est devenu vital. Jet Tour n'a-t-il pas très tôt averti que l'«on peut tout rater, sauf ses vacances»? Cette campagne, lancée en 2002, a d'ailleurs fait remonter la notoriété spontanée du tour-opérateur de 10 points, passant ainsi à 60%. Et surtout, elle a été parfaitement mémorisée. Sans doute parce qu'elle est tombée à point nommé.
Car voilà, comme le souligne Françoise Riera-Dabo, consultante en tendances et stratégie de marque, «le quotidien aliène. Dans les vacances, nous cherchons donc à rompre avec nos modes de fonctionnement». Pour cette dernière, «il y a certes une dimension rationnelle des vacances, mais surtout une dimension symbolique et immatérielle». Nous avons ainsi tous cet espoir que, dans cet ailleurs, nous allons nous transporter et nous réaliser. Parfois même, nous améliorer. Et c'est là que le bât blesse. «C'est d'ailleurs une des raisons des déceptions: il y a souvent un trop-plein d'imagination en amont», explique Jean-Pierre Nadir, fondateur d'Easyvoyage. Bref, les vacances sont un idéal d'épanouissement, à ne rater sous aucun prétexte, et qui se prépare très en avance. Pour preuve, le nombre croissant de sites web dans ce secteur permettant d'échanger ou de s'informer. Internet est d'ailleurs devenu, devant l'entourage, la première source d'information des internautes-voyageurs. Preuves aussi, les nombreuses collections de guides de voyages qui ont vu le jour depuis quelques années. De la collection «City Guide» de Louis Vuitton, qui fait voyager ses lecteurs dans 30 villes, à celle éditée par Wall Papers, devenue un signe de reconnaissance trendy, sans oublier les plus classiques, le guide est désormais inséré dans chaque valise pour réussir ses vacances.
Car, loin des contraintes du quotidien, l'expérience touristique est, dans tous les cas, un temps «où l'on souhaite vivre autre chose, toujours lié à une quête d'épanouissement de soi», estime Françoise Riera-Dabo, qui a présenté lors du salon MAP (le Monde à Paris) une étude Ceto (Centre d'études des tour-opérateurs) sur les attentes des clients des tour-opérateurs.
Françoise Riera-Dabo (consultante):
«Les vacances ont surtout une dimension symbolique et immatérielle.»
«Cocooning à sensation»
En outre, chacun de nous a bien sûr des attentes différentes et l'analyse des tendances aboutit à un portrait du voyageur contemporain toujours pétri de paradoxes. «Il veut avoir la sensation de voyager en liberté, mais adore que tout soit cadré. Il veut jouir de sensations inédites garanties, mais avoir le sentiment de les vivre comme si elles naissaient spontanément à son seul usage...», glisse la consultante. Des demandes paradoxales et différentes selon chacun. «Il est autant de modes de voyager que de modes de vie», résume simplement Jean-Pascal Billaud, dans son édito du Hors-Série Evasion de Marie Claire Maison, qui a concocté des échappées changeantes et multiples à l'image des envies de chacun. Reste que si ces dernières sont différentes, des tendances se dégagent. Si le voyage permet de «se transporter» ailleurs, comme a pu le faire Philéas Fogg dans Le Tour du monde en 80 jours, l'idée est généralement, de nos jours, moins porteuse de mystère, de risque et d'aventure. Même s'il existe toujours de grands imaginaires mêlés de paradoxes...
L'un d'entre eux étant de «se retrouver dans un cocooning à sensation» pour reprendre l'expression de Françoise Riera-Dabo. Certains l'ont compris depuis longtemps. A l'instar de Center Parcs, qui fête cette année ses 40 ans. «Le complexe répond à cette tendance. Il s'agit d'une bulle multisensations où l'on peut se lover tout en expérimentant un maximum de scenarii différents. Notamment en famille», illustre Françoise Riera-Dabo.
S'il y a encore quelques années, profiter des voyages à deux était usuel, les déplacements en famille vont, en effet, crescendo. «On est dans un monde déplus en plus virtuel et éclaté. Il n'y a plus de réunion de famille, ni d'ailleurs de maison de famille», explique Daniel Mougeotte, directeur général de Center Parcs. Le complexe a ainsi été l'un des premiers à surfer sur ces tendances. Pour répondre, par exemple, au besoin de se ressourcer, Daniel Mougeotte évoque le «homing», ici représenté par des cottages. Une multitude d'activités sont également proposées au sein de forêts n'autorisant aucune voiture, respect de l'environnement oblige. Le concept marche, puisque le groupe affichait en avril dernier des taux d'occupation de 91 %. «C'est la maison de campagne idéale sans les contraintes. Chacun a la possibilité défaire ce qu'il veut, puisque tout est à la carte», poursuit le directeur général.
Daniel Mougeotte (Center Parcs):
«Dans un monde de plus en plus virtuel et éclaté, il n'y a plus de réunion de famille, ni d'ailleurs de maison de famille.»
Amandine Morel (Club Med):
«Il y a une demande évidente d'expériences enrichissantes.»
Petits séjours, grands plaisirs
Avec l'augmentation du temps libre d'un côté et la baisse du pouvoir d'achat de l'autre, d'autres formes de voyages font florès, à l'instar des parcs de loisirs. Selon le cabinet Odit France, un Français sur deux en est consommateur et s'y serait rendu deux à trois fois par an en 2007. C'est un fait, les Français souhaitent désormais s'amuser ensemble. Ce qui a donné l'idée au propriétaire du zoo de Beauval (Loir-et-Cher), Rodolphe Delord, de créer, en mars dernier, un complexe hôtelier au sein du zoo. «Nous avons constaté que nos visiteurs n'avaient pas forcément les moyens départir longtemps en vacances mais que, durant les week-ends, ils souhaitaient réellement faire plaisir à leurs enfants en ne lésinant pas sur le budget. Nous avons donc ouvert l'hôtel, constitué de pavillons exotiques, où nous proposons également des rencontres éducatives.» Car, selon Rodolphe Delord, on ne visite plus un zoo comme auparavant. Désormais, au-delà d'observer les animaux, comprendre ou découvrir la faune et la flore est devenu primordial.
«Il y a une attente évidente d'activités en commun, par exemple entre parents et enfants», confirme Françoise Riera-Dabo. Et les vacances sont bien l'occasion de renouer des liens, quel que soit le niveau de vie. En témoigne le film Little Miss Sunshine où toute la famille se lance dans un périple pour faire corps derrière une petite fille inscrite à un concours de beauté. Pour Françoise RieraDabo, ce voyage permet ainsi à une famille disparate de se rapprocher. Ce qui est le cas de nombreuses escapades. La montée en puissance des croisières maritimes en est l'illustration. L'armateur Costa affiche un taux de croissance de 20% depuis cinq ans. Ses bateaux, devenus de véritables stations de vacances mobiles, attirent de plus en plus les familles qui souhaitent partager les excursions tout en se gardant des moments d'intimité.
Autre univers, même tendance: Jacques-Olivier Chauvin, directeur général de Relais & Châteaux constate, également, une hausse des séjours en famille. «A partir du moment où Ion est parent, si Ion visite un site en couple, on a l'impression de laisser de côté quelque chose. Il faut désormais transmettre de l'immatériel, des souvenirs et donc du voyage.» D'où une envolée des visites à thème. «La découverte des plus grands vins du monde est, par exemple, très demandée. Il faut désormais donner un sens au voyage», témoigne Jacques-Olivier Chauvin.
Depuis juin, Relais & Châteaux a d'ailleurs enrichi ses offres de séjours Passions saveurs & découvertes sur Internet. «Les hobbies étant devenus de véritables fils rouges des voyages, nous souhaitons, avec ces nouvelles offres, proposer de véritables souvenirs à partager», annonce le directeur général. Même tendance constatée au Club Med. Amandine Morel, directrice marketing produit, suit de près les évolutions des attentes des GM («gentils membres») . «Il y a une demande évidente d'expériences enrichissantes. Les touristes veulent même les rapporter de leurs vacances. Ces dernières doivent, en fait, nous changer, nous révéler.» En outre, le Club Med a mis en place, dans certains de ses villages, des ateliers ludo-éducatifs. Ainsi à Opio (Côte d'Azur), un apprentissage des plantes et légumes locaux est proposé depuis peu. Autre initiative du genre, le village de Gregolimano (en Grèce), entièrement dédié aux dieux grecs, rouvre en juin.
L'enrichissement personnel
En effet, pour Virginie Dhaze, responsable marketing tour-operating de Thomas Cook, la découverte thématique locale explose. «Tout ce qui se déguste, tout ce qui se sent, tout ce qui se touche séduit», confirme-t-elle. Avant de noter que certains des clients du groupe ne voyagent d'ailleurs que pour apprendre.
Il faut dire que l'explosion des chaînes TV thématiques sur le voyage ou la cuisine a réveillé nos envies. Ainsi, la tendance du «behind the scène», comme l'appelle Jacques-Olivier Chauvin, est définitivement devenue une des principales attentes des voyageurs. «On veut comprendre comment les choses sont faites. Il n'y a qu'à voir l'engouement pour les stages de cuisine.» Ainsi, s'il y a encore quelques années les escapades servaient de prétexte à dénicher des produits locaux, désormais l'on souhaite apprendre à les cuisiner. En outre, l'expérience touristique permet de dépasser le statut de simple spectateur (ce qui est désormais possible via le Net ou en regardant la télévision) pour devenir acteur et expert d'un domaine.
En effet, au-delà des souvenirs et du partage, Françoise Riera-Dabo fait ressortir le voyage comme une manière de «s'augmenter». Comprenez, une attente de pouvoir et de maîtrise de soi. Satisfaire ces demandes paradoxales implique forcément de proposer de nouveaux produits ou concepts. «Encore plus que par le passé, le voyage a pour mission de nous rendre à notre quotidien littéralement rechargé en force vitale, explique-t-elle. Le voyage est une forme de prolongement de soi». C'est là qu'il faut introduire de la personnalisation. Le voyage n'est-il pas devenu un miroir de ce que l'on est, voire de ce que l'on veut refléter? Ainsi, les séjours incluant un marathon ou un stage sportif remportent un vif succès. Notamment pour en revenir reposé, prêt à affronter ce quotidien souvent si loin de nos véritables aspirations. Pour cela, «il est devenu indispensable d'être libéré des contraintes d'organisation et d'argent. C'est pourquoi nous proposons des offres qui vont permettre à nos clients de vraiment se retrouver», ajoute Amandine Morel. Parce que chaque profil de clientèle est différent, le Club Med a été jusqu'à créer une segmentation par bonheur: vivre l'exceptionnel, se ressourcer, découvrir, se dépenser et se retrouver en famille. Ainsi, en dehors des traditionnels sports à volonté, le Club Med souhaite accroître dans les villages les sentiments de découverte, de dépaysement et de naturalité, qui sont des tendances fortes. «En 2009, nous ouvrirons à Sine Salloum, au Sud de Dakar, un concept tourné vers la nature», illustre Amandine Morel.
Virginie Dhaze (Thomas Cook):
«Tout ce qui se déguste, tout ce qui se sent, tout ce qui se touche séduit.»
Deux nouveaux impératifs: nature et environnement
Car, aussi différents soient-ils, les Français sont pour la plupart devenus des fous de nature. A l'heure où l'environnement préoccupe dans tous les secteurs, le tourisme n'est pas en reste. «Il existe aujourd'hui une prise de conscience grandissante du fait que nos modes de vie sont en train de menacer la planète», analyse Françoise Riera-Dabo. Mais là encore, le paradoxe du voyageur se fait sentir. Quoiqu'encore individualiste, il veut également se soucier de son environnement et même du respect d'autrui à travers un tourisme responsable. Si la démarche d'éco-conception des établissements ne séduit pour l'heure que 2% des Européens (source: Expédia Tendances Tourisme), la préoccupation est bien là. Reste que «l'on est encore dans un rapport qualité/prix et il n'existe toujours pas d'offres qui correspondent vraiment à ces attentes», souligne Virginie Dhaze. Un avis partagé par Françoise Riera-Dabo: «On veut voyager responsable, mais pas trop près des favelas», sourit-elle. «C'est un sujet très compliqué, ajoute Amandine Morel. Au-delà de l'éco-tourisme, nous observons une très forte demande de naturalité. Les gens vont avant tout être impactés par leur environnement.»
Une aspiration qui n'est bien sûr pas facile à satisfaire, mais qui mérite réflexion. Car c'est là, sans doute, une première étape. A l'heure de la hausse du prix du baril de pétrole, de sa raréfaction et des cris d'alarme sur le réchauffement climatique, cette question pourrait bien se faire de plus en plus pressante. Certes, le voyageur continuera à vouloir accroître ses expériences et augmenter son temps de loisirs. Mais à une condition: ne pas détruire sa planète. Ainsi, ne devrons-nous pas, par exemple, réduire nos trajets et par conséquent opter pour des destinations en fonction de leur proximité? Ou bien encore emprunter de nouveaux moyens de transport afin de ne pas causer plus de tort à notre planète? C'est, en tout cas, par là que le tourisme devra, d'abord, se réinventer.