Transferts en toutes saisons sur les campus
Mondialisation et concurrence obligent, le marché des professeurs d'écoles de gestion est devenu, en tout cas pour les cadors, un grand «mercato».
Je m'abonneEn 2012, il manquera 2 500 profs de gestion outre-Atlantique. En France, les projections démographiques ne sont guère plus brillantes. Pour fidéliser, les écoles doivent déployer d'autres arguments que la fiche de paie. Garantir un bon déroulé de carrière, soigner les conditions de travail. Le 1er octobre, l'Essec inaugurait un nouvel immeuble de 6 000 mètres carrés dédié à son corps enseignant. Un immeuble lumineux, ouvert sur la ville nouvelle de Cergy-Pontoise. Coût de l'opération: 24 millions d'euros.
«70% de nos professeurs sont recrutés à l'international», remarque Alan Roberts, lui-même Britannique, débarqué en 2005 de Nouvelle-Zélande pour prendre la direction des programmes post-gradués de L'ESC Rennes. Le fait est devenu évidence, et les responsables de programmes sont nombreux à le déplorer: le marché des professeurs d'écoles de gestion est devenu un grand mercato. «Il va devenir de plus en plus difficile de trouver des enseignants répondant au niveau d'exigence requis par les meilleures écoles», affirme Robert Hansen, associé de Tuck School of Business at Darmouth (Etats-Unis), dont le MBA, ouvert en 1900, est le plus ancien au monde.
Sur les campus les plus prestigieux, le salaire des professeurs peut frôler l'inflation. «Sur le marché français, certains profs seront payés 10 000 euros la semaine. Aux Etats-Unis, ils peuvent gagner jusqu'à 10 000 euros par jour», affirme Emmanuel Métais, responsable des programmes internationaux de l'Edhec. Les business schools françaises, parce qu'elles ne veulent pas prendre le risque de déstabiliser le modèle de rémunération des enseignants permanents, ne jouent pas la carte de l'opacité salariale pratiquée outre-Atlantique. Aux Etats-Unis, où le salaire annuel moyen d'un professeur de gestion avoisine 100 000 dollars, les cadors des cam pus peuvent gagner 80 000 dollars par mois. Les professeurs éminents sont non seulement chers, mais également infidèles. Les responsables des programmes doivent construire un véritable dispositif de sourcing: référencement des interventions et des publications, veille sur les mouvements du personnel des écoles concurrentes, rencontre avec les enseignants...
Les contrats d'exclusivité font figure d'exception. Rien de choquant à voir des enseignants cumuler les contrats, y compris au sein d'institutions très directement concurrentes. L'insistance des écoles à détailler sur leurs sites web l'organigramme et les tableaux d'honneur de leurs équipes professorales témoigne bien du poids que peut avoir un casting dans l'argumentation commerciale. Or, la qualité de l'enseignement dépend aussi de la stabilité des équipes. «Il est essentiel d'assurer aux étudiants un suivi dans leur cursus. Nous préférons miser sur un maximum de professeurs résidents», conclut Valérie Claude-Gaudillat, directrice des programmes MBA d'Audencia. Si elles essaient, dans la mesure de leurs moyens, d'attirer sur leur campus les profils les plus prestigieux, les business schools doivent aussi, rentabilité oblige, exploiter au mieux leurs ressources internes. De fait, les directions de programmes puisent au maximum dans leur corps professoral permanent. Ne serait-ce que par diplomatie. Les professeurs affiliés bénéficient d'un modèle de rémunération pour le moins nébuleux, où l'heure se paie souvent au tarif d'une heure supplémentaire. De quoi vexer les profs permanents. Mais le recours à l'interne répond surtout à une demande de plus en plus exprimée par les étudiants eux-mêmes fatigués, semble-t-il, par une course aux transferts dont la justification dans les amphis ne semble pas toujours évidente.
VALERIE CLAUDE-CAUDILLAT (AUDENCIA): «NOUS PREFERONS MISER SUR UN MAXIMUM DE PROFESSEURS RESIDENTS.»
ALAN ROBERTS (ESC RENNES): «70% DE NOS PROFESSEURS SONT RECRUTES A L'INTERNATIONAL.»