Sur la piste des tweens
Les ados, ou «tweens», consomment les médias avec une jubilatoire voracité. Pour leur plaire, la presse chahute ses habitudes éducatives. et quel que soit le média, les filles, ces «geekettes» accros aux nouvelles technologies, sont particulièrement à chouchouter.
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«Qui veut la peau du dollar ?», «Peut-on comparer la crise mondiale actuelle à celle de 1929 ?» ou encore «Pourquoi Bruxelles dit non aux producteurs de lait» : autant de sujets parmi d'autres qui font l'objet d'articles traités par un hebdomadaire économique d'un nouveau genre. Sa spécificité ne réside pas unique ment dans les thèmes d'actualité abordés, mais plutôt dans le lectorat auquel il s'adresse. L'Actu éco, lancé le 18 septembre dernier, rejoint, en effet, l'offre à destination des 15-20 ans créée par Play Bac Presse (Le Petit Quotidien, Mon quotidien, L'Actu) et leur propose, en huit pages, «chaque vendredi, l'actualité économique vite et bien». Le ton est simple et pédagogique, dans la ligne de l'idée qui lui a donné naissance : « Ne pas parler d'économie à la manière très théorique des manuels scolaires du lycée et dans le jargon des publications pour adultes », explique François Dufour, rédacteur en chef et cofondateur de Play Bac Presse. Lancé à la suite de tests concluants, L'Actu éco vise une diffusion de 10 000 exemplaires et reste fidèle à la politique maison : « 100 % abonnement à la maison », précise François Dufour qui s'appuie déjà sur les 150 000 abonnés et les 2,5 millions de lecteurs réguliers des quotidiens d'actualité pour enfants et ados du groupe (enquête TNS-Secodip) . Et pas question non plus de décliner une version de l'hebdomadaire sur le Web pour l'instant, comme peut le faire Milan avec les Clés de l'Actu junior, par exemple. « Notre dernier développement en ligne consistait à tester la diffusion de l'abonnement sur iPhone avec l'Actu pour le lancer le 1er novembre dernier », indique François Dufour. Par son sujet et par sa diffusion, L'Actu éco marque clairement sa différence dans l'univers des nouveaux titres de presse proposés aux pré-ados et ados cette année.
Les filles, coeur de cible
Est-ce dû au fait qu'on les sait plus lectrices que les garçons ? Reste que les filles sont, en effet, les premières visées par les lancements récents. Full FX qui a déjà à son actif plusieurs titres pour divers éditeurs, notamment Panini, mise, par exemple, sur leur amour des animaux avec le nouveau mensuel Les Animaux et Moi. Ce sont plutôt des bêtes de scène que met à l'honneur, pour sa part, Disney Hachette Presse avec le magazine Disney Jonas arrivé dans les kiosques le 23 octobre dernier et dont le deuxième numéro est prévu pour paraître le 18 décembre. Un numéro destiné aux 9-14 ans en transe à la seule vue de Kevin, Joe et Nick, les Jonas Brothers propulsés du statut de chanteurs amateurs à celui de stars mondiales de la chanson et de la télévision grâce à la série «Jonas» diffusée sur Disney Channel. Ce titre arrive dans la foulée de Hannah Montana Magazine lancé en mars dernier en direction de la même cible, capitalisant sur le succès de la série diffusée depuis trois ans sur Disney Channel. « Nous avons commencé ces développements avec High School Musical Magazine qui marche très bien, mais la difficulté que l'on a avec ce genre de magazines est de trouver le bon timing, relate Jean-Charles Lajouanie, directeur des rédactions de Disney Hachette Presse. S'ils sont lancés trop tôt, on n'en vend pas assez et si nous les lançons plus tard, nous prenons le risque que la mode soit passée. C'est très empirique, l'actualité de ces jeunes acteurs est suivie quasi quotidiennement pour savoir quelle impulsion donner. » Le volet people pèse évidemment très lourd pour les adolescentes qui veulent tout savoir sur leurs jeunes stars. C'est ce volet qu'a choisi d'ouvrir Yellow Media en lançant le bimestriel My Lovely Star le 15 octobre dernier, à destination des adolescentes de 10 à 15 ans. Une première pour le groupe de presse spécialisé qui compte une vingtaine de titres dans l'informatique et le jeu vidéo pour le grand public (Micro Actuel, PC Achat, Internet Pratique, Consoles +, etc.). Par ailleurs éditeur exclusif des magazines officiels de marques high-tech comme Microsoft, Nintendo, Sony, Pokemon, EA Electronics. «L'ouverture à d'autres secteurs de presse n'est pas un phénomène nouveau chez nous, mais elle s'est le plus souvent concrétisée par des numéros uniques, indique Cyrille Tessier, directeur du développement de Yellow Media. Nous espérons que le ton, le nombre d'interviews, de posters et la qualité des plus produits de My Lovely Star nous amènent à trouver notre place sur ce marché. »
Le passage obligé des nouvelles technologies
Le «plus» du groupe est d'y arriver avec la connaissance de l'univers du jeu vidéo et des nouvelles technologies, un passage obligé aujourd'hui pour s'adresser aux filles. « Elles ont pris d'assaut ce marché avec leur univers propre et cela va en s'accélérant », confirme Gabrielle Loeb, chef de groupe produits grand public d'Ubisoft, premier à avoir cru à ce marché avec Léa Passion et qui lance la nouvelle gamme Girls Life, quatre jeux fashion incarnés par Jennifer Ayache, la chanteuse du groupe de pop-rock Superbus. «Toutes branchées !» titrait, en outre, le numéro d'octobre de Julie qui demandait à ses lectrices «Pourquoi es-tu accro aux nouvelles technologies, quelle geek es-tu ?». Le mensuel de Milan marque là sa différence au sein de la galaxie Bayard dont l'évolution historique n'est pas de s'adresser différemment aux garçons et aux filles. « Ce qu'il y a d'intéressant dans les rapprochements, c'est d'avoir des aspérités, sourit Pascal Ruffenacht, directeur de Bayard Jeunesse. Le groupe s'est, en effet, construit sur le combat pour la mixité. Et Okapi a maintenant bien intégré la différence de ton à avoir pour s'adresser aux filles qui représentent 55 % du lectorat et qui sont les plus actives dans l'interactivité, mais aussi aux garçons que nous avons pu garder en créant ces espaces dédiés. » Visiblement, cela marche puisque, comme l'indique Pascal Ruffenacht, « Okapi est en progression constante depuis trois ans ».
Fidélisation en ligne
Le magazine des 10-15 ans a également modifié la manière de traiter ses sujets, moins exhaustive car complétée sur le Net. D'après Pascal Ruffenacht, quelque 20 % des lecteurs d'Okapi s'y connectent régulièrement et s'y expriment sur le blog. Mais le directeur de Bayard Jeunesse reconnaît que le groupe ne fait « pas d'efforts démesurés sur ce site qui est davantage un lieu de fidélisation que de conquête ». Le groupe, qui vient de lancer le site I Love English à destination des collégiens et lycéens, a surtout jusqu'à présent fait financer ses développements sur le Web par le biais de ses abonnements à ses magazines, dont le prix. « Il s'agit de donner un signe très fort de la valeur du contenu de nos magazines papier. Leur niveau de prix est en relation avec leur mission éducative », estime Pascal Ruffenacht. On retrouve la même stratégie orientée sur la fidélisation chez Disney Hachette Presse (DHP), l'autre groupe historique de la presse jeunesse qui vient (seulement) de lancer le site Journaldemickey.com, dans la foulée de sa nouvelle formule papier de mai dernier. Jusqu'alors, DHP ne comptait qu'un seul site, dédié aux filles, décliné sous les couleurs de Witch Mag. « L'idée de Journaldemickey.com est de fidéliser les 97 000 abonnés autour d'un club dédié, de les remercier par des infos supplémentaires, explique Jean-Charles Lajouanie. Nous allons avoir un premier test de réussite sur le numéro 3 000 qui sort le 16 décembre. » En effet, l'hebdo poids lourd des 8-13 ans (DFP 140 019 ex., OJD 2008, audience 1 802 000 lecteurs, Consojunior 2008) publiera un poster réalisé sous forme de mosaïque à partir des photos scannées et envoyées par les lecteurs sur le site. Mais chez DHP comme chez Bayard Jeunesse, pas de site global. « Nous n'avons effectivement pas encore trouvé l'alpha et l'omega d'un grand site ado », concède Pascal Ruffenacht. Pour le trouver, il faut, en fait, se tourner vers des pure players comme Ados.fr. Fondé il y a dix ans par un ado et entré il y a cinq ans dans le groupe Doctissimo qui compte également dans son portefeuille Mômes. net pour les 5-12 ans et leurs parents, ce site est, en effet, pionnier du genre. « Nous avons un coeur de cible de lycéens, à 70 % des filles, qui viennent chez nous prioritairement chercher des infos sur un artiste et sur son univers, explique Ada Mercier, éditrice d'Ados.fr chez Lagardère Active. Thomas, le créateur du site, a été le premier à le faire et nous bénéficions toujours d'une prime au premier, avec une volonté de parler aujourd'hui des artistes qui seront connus demain . » Trente pour cent de l'audience d'Ados.fr sont constitués d'une partie communautaire. En septembre, selon Médiametrie Cyberestat, Ados.fr pouvait se prévaloir de plus de 19 millions de pages vues par mois et de près de 5,2 millions de visites mensuelles. Des résultats propres à déclencher des vocations, telle celle de Billy, l'ex-animateur de Disney et Canal J. Celui-ci vient, en effet, de s'allier au spécialiste des licences Kazachok pour lancer Billyweb, « un site dédié à l'univers du divertissement au sens large, car on considère que c'est via cette thématique que l'on peut intéresser et garder les ados », déclare Nathalie Chouraqui, directrice associée du cabinet de conseil Kazachok. Ce nouveau site se fera déjà connaître par deux pages de publicité dans le catalogue de Noël de JouéClub, tiré à 12 millions d'exemplaires, en attendant la signature d'accords croisés avec des médias dédiés aux juniors. « L'objectif est de passer du stade de blog à une version 360° avec une web radio, une web TV, voire une application iPhone », ajoute Billy. Cible visée : les 8-14 ans, et plus particulièrement les 10-14 ans. Plutôt des filles là encore...
« Le succès couronne notre stratégie de repositionnement »
Interview Le multiplex des chaînes Disney pèse à lui seul 44 % de la part d'audience totale des chaînes jeunesse payantes. Un bilan positif commenté par Hélène Etzi, vice-présidente et directrice générale de Disney Channels France.
MM : Le groupe a poursuivi son repositionnement TV avec le lancement de la chaîne pour garçons Disney XD le 1er avril dernier : quel en est bilan ?
Hélène Etzi : Le bilan est très positif, car les derniers résultats MediaCabSat de la vague 17 placent Disney XD en position de leader sur les garçons de 4-14 ans avec 4,8 % de part d 'audience (PdA), c 'est-à-dire sur la cible que nous avions bien identifiée comme non traitée jusqu'alors par une concurrence plutôt mixte. Le numéro 2, Canal J, a 3,4 % de PdA avec une pénétration plus forte que Disney XD car la chaîne est également diffusée sur le câble analogique. C'est une vraie performance d'être arrivé à ce niveau-là, d'autant plus que Disney XD est aussi la deuxième chaîne payante pour enfants. Elle est ainsi la plus regardée par les 4-14 ans avec 3,8 % de PdA, juste derrière Disney Channel (3,9 %) qui se renforce, pour sa part, sur les filles. Sur les sept chaînes jeunesse payantes les plus regardées, quatre sont donc des chaînes Disney (Playhouse Disney pour les 3-6 ans, Disney Channel pour les filles de 8-14 ans, Disney XD les garçons de 8-14 ans, et Disney Cinemagic pour toute la famille). Et notre multiplex marque des points par rapport à l'an dernier (NDLR : 12,1 % de part d 'audience contre 9,9 %). C'est la preuve que notre stratégie de repositionnement est un véritable succès.
Quelle est votre stratégie pour fidéliser les tweens ?
Passer d'une chaîne unique à des offres ciblées implique un important travail sur les contenus. Ils sont imaginés et programmés pour s'adapter à leur monde, parler leur langage, coller à leurs envies, leurs rêves. Par exemple, quand nous avons relancé Disney XD, nous avons pensé que la série Phinéas et Ferb, qui met en scène l'imaginaire délirant de deux demifrères, était mieux adaptée à cette chaîne qu'à Disney Channel qui la diffusait jusque-là. En septembre, nous avons aussi mis à l'antenne la nouvelle série Zeke et Luther destinée aux fans de skate et d'humour, et des programmes dédiés aux sports extrêmes. Pour parler aux filles sur Disney Channel, des programmes inédits qui mettent en scène leurs stars préférées, comme High School Musical, Hannah Montana, Les Sorciers de Waverly Place, etc. n'ont pas beaucoup de concurrence sur les autres chaînes et nous allons lancer d'autres nouveautés toutes aussi ciblées en 2010. On fidélise aussi beaucoup en développant l'interactivité. A l'instar du prolongement à valeur ajoutée de l'antenne. Nous venons notamment de lancer le concours «trop Disney XD» invitant à envoyer une vidéo qui caractérise le plus l'esprit de la chaîne et qui sera mise à l'antenne et sur le site.
Le groupe communique-t-il beaucoup sur ses chaînes ?
Nous investissons entre 5 et 6 millions d'euros bruts et avons la plus grosse part de voix des chaînes jeunesse, entre 40 % et 50 %. C'est très important de soutenir nos chaînes et nous le faisons toujours via un lancement de contenu. C'est un mix de TV, presse et Web avec une augmentation de la part dévolue au Web, qui est passé de 5 % il y a trois ans à 15-20 % de nos investissements aujourd'hui. Cela implique notamment un partenariat avec les sites qui s'adressent aux tweens, comme Windows Live Messenger avec qui nous avons réalisé une opération pour le lancement de la série des Jonas Brothers. Cette série a donné lieu à 288 millions d'éléments téléchargés en un mois. C'est un résultat énorme comparé à la moyenne de ces packs qui est de l'ordre de 20 millions d'éléments téléchargés. La campagne a été déclinée dans le même temps en affichage, TV et radio.
Valérie Chebassier (Lagardère active) :
« Cette génération écran est difficile à capter, il faut communiquer auprès d'elle de façon impliquante. »
Canal J prend la route
- « Entre la presse ado sur laquelle ils ont une consommation média toujours en devenir ; la TV où ils regardent les émissions jeunesse mais aussi de téléréalité, les séries, etc. ; le cinéma où ils vont beaucoup mais qui est surtout abordable en montant des opérations de suivi de films ; et bien sûr le digital, impératif, on sait où aller les chercher mais ce n'est pas toujours facile budgétairement parlant. » Cette analyse de Nadine Medjeber, directrice des études d'Havas Media, s'applique à toutes les marques qui souhaitent communiquer auprès des tweens, à commencer par les marques médias elles-mêmes. Les plus en pointe dans ce domaine sont les médias audiovisuels, qui ont une nette longueur d'avance, voire plus de moyens, que la presse. Disney Channel en est un exemple (voir interview page 42) mais pas uniquement. Son concurrent direct, Lagardère Active, est aussi très actif en la matière. « Cette génération écran est difficile à capter, quel que soit le média choisi, il faut communiquer auprès d'elle de manière impliquante », analyse Valérie Chebassier, directrice de la communication publicitaire des chaînes TV et radios musicales de Lagardère Active. Canal J communique ainsi beaucoup au travers de ses héros. Canal J, mais aussi Gulli, sont également mis en avant lors des tournées d'été et le seront aussi cet hiver, le groupe ayant décidé de renouer avec les tournées hivernales pour les vacances de février prochain. Une voiture Canal J, dans le cadre de l'opération «Stick et Gagne» (qui après le repérage de l'autocollant Canal J sur le pare-brise arrière de la voiture des parents) offre, outre des cadeaux la diffusion du moment de joie les écrans de la chaîne.