Stéphane Billiet (Hill & Knowlton Paris) : « L'opinion ne se conduit plus, elle se manipule »
Le P-dg de Hill & Knowlton Paris et président de Syntec conseil en relations publiques décrit les effets d'une multiplication des leviers d'influence.
Je m'abonneQui sont les leaders d'opinion?
Stéphane Billiet : Il y a quinze ans, les leaders d'opinion étaient les
décideurs économiques. Les politiques, pour être également des décideurs,
n'avaient pas le pouvoir de faire l'opinion. Quant à la presse, elle était
essentiellement un relais. Aujourd'hui, il est devenu beaucoup plus délicat
d'identifier les leviers de leadership sur l'opinion. Parce qu'ils se sont
démultipliés et parce qu'ils revêtent des formes très diverses : groupes plus
ou moins constitués, pôles plus ou moins mouvants, individus plus ou moins
isolés, qui interagissent en permanence les uns vers les autres. Les leaders
d'opinion ne sont plus forcément où l'on croit les trouver.
Comment les identifier ?
S. B : C'est, entre autres, le boulot des RP. Nous sommes là pour construire
des réseaux d'alliés, pour surveiller et commenter les risques potentiels et
pour préconiser des actions. Mais cette évolution nous complique terriblement
la tâche. Car plus il y a de manettes, plus les interactions sont fortes. Nous
avons structuré nos métiers de manière
sectorielle, afin de construire des
expertises, de pouvoir comprendre les différentes logiques d'intérêt, les
contextes réglementaires, les pratiques professionnelles.
Comment évolue la demande de vos clients ?
S. B : Les grands comptes ont parfaitement conscience du poids des groupes
d'influence. Leur demande se structure en ce sens. Dans mon agence, par
exemple, nous développons aujourd'hui trois types d'activités. Le métier
historique, les relations presse, se stabilise en termes de montants
d'honoraires vers le bas. Le conseil en communication se porte assez bien. Mais
la croissance se fait nettement sur l'anticipation des risques.
Cela peut-il aller jusqu'à obérer l'activité première des entreprises ?
S. B : Le poids des groupes d'influence peut altérer la sérénité de dirigeants
ou d'équipes dirigeantes. L'impact sur le management n'est pas à exclure, ni,
par effet de capillarité, sur les ventes. Nous sommes entrés dans l'ère de la
contestation. Tout ce qui est “main stream” est suspect. Et beaucoup de ceux
qui constituent les réseaux d'alliés des entreprises hésitent à s'exprimer, à
se porter caution de discours, d'actes et de politiques dans la ligne de mire
immédiate des acteurs de “l'alter”.
Y a-t-il une réflexion concertée de la profession des RP autour de cette problématique ?
S. B : La mission du Syntec n'est pas tant de s'interroger sur des questions
d'ordre pratique que de défendre une industrie. Néanmoins, il nous a semblé
utile d'initier une réflexion sur l'exercice de nos métiers, notamment face aux
grandes évolutions contextuelles. Nous allons donc réunir confrères et clients
pour discuter, entre autres, de ce que sont - ou ne sont pas - aujourd'hui les
leaders d'opinion. Je pense pour ma part que l'expression “leader d'opinion”
est obsolète. En Grande-Bretagne, on parle de “business decision makers”. Ce
qui laisse entendre que l'on n'est pas dans le leadership, mais dans le
“makership”. Pas dans la conduite mais dans la construction. La multiplicité
des médias, leur extrême réactivité, la souplesse et la malléabilité de l'image
participent
d'une corruption générale du système. L'opinion ne se conduit plus.
En revanche, elle se manipule.